Ernest Thinon et Zoé Viala, casse-croûte

Ernest Thinon et Zoé Viala, casse-croûte

EN DIRECT / Exposition Ernest Thinon et Zoé Viala, casse-croûte, le 17 mai 2022, cafétéria de l’isdaT Toulouse

Prendre le temps le temps d’arpenter les galeries et les musées pour se faire l’œil est l’un des devoirs de l’étudiant.e en art. S’intéresser et comprendre le monde dans lequel iel s’inscrit. Qui arpente les vide-greniers et recycleries en cherchant à comprendre le monde dans lequel on vit ?
Pourtant il y a tout à interpreter, à voir et à s’émouvoir. Avez-vous déjà donné d’anciennes affaires à vous dans un de ces lieux ? Il m’est parfois arrivé de retrouver certains de mes objets donnés sur les étagères que j’inspecte à la recherche d’une nouvelle acquisition. Quelle étrange sensation ! Le rappel frappant que chacun de ces objets est rempli de la même histoire que celle que j’avais avec le bibelot désormais sur l’étagère, il est à la fois familier et hors de portée. Lorsque l’on traîne sans idée précise dans un vide-grenier, une brocante ou une friperie alors notre oeil ne s’attarde pas sur les choses lisses et convenues, il est comme agrippé par un détail, celui d’une surface rugueuse, d’un éclat ou d’un motif. La curiosité et le désir nous font parcourir chacune des rangées débordantes, guidé.e seulement par l’instinct et la pulsion.


On trouve en ces lieux souvent dans un petit espace, une étagère ou un carton coincé entre deux armoires normandes, des toiles, des dessins et des cadres de toutes tailles. Chaque représentation est une surprise par sa couleur, son sujet ou son support. Zoé et moi nous sommes baladé.e.s et avons arpenté avec avidité ces lieux à la recherche de croûtes délaissées, mal jugées voire moquées parfois.
Que se passe-t-il lorsque des étudiant.e.s en art regardent avec sérieux et intérêt ces travaux abandonés?
Nous avons eu à cœur de soigner l’accrochage, de regarder encore et encore chaques dessins et peinture, en tant que pièce seule et puis comment certaines pouvaient communiquer. Cellui qui peint professionnellement ou non y accorde le même sérieux dans ses intentions, il nous a donc semblé évident d’accorder la même exigence dans l’accrochage de ces peintures que si c’était des œuvres célèbres.
Bien qu’étant surtout commissaires et médiateur.ice.s de ce moment, nous avons aussi choisi d’ouvrir l’exposition par un moment de lecture performée. Cette performance reprend la même démarche que celle que nous avions expérimenté dans les friperies; commencer par flâner et glaner au hasard des phrases et puis être pris.e.s au fûr et à mesure d’une fièvre, d’un élan compulsif.
Les phrases lues tour à tour se mélangent et se répondent pour former un texte chimérique dont nous formions l’entité à deux têtes, à deux voix.

Ernest THINON

Un travail d’archéologie modeste, une récolte entre flânerie et chasse au trésor dans les recoins poussiéreux des vide-greniers, brocantes et autres antiquaires. Une expérience de sélection, à quatre mains, d’œuvres manquées, oubliées : dessins, huile, acrylique, aquarelle, pas de discrimination. 

Dans notre quête de la croûte parfaite, Ernest et moi tenions à conserver une ligne de conduite claire : dénicher des objets sans valeur apparente, ne prétendant à aucune exposition muséale, mais sans moquerie ni condescendance aucune. Reconnaître dans les défauts techniques et les inspirations désuètes de quelques anonymes déçu.e.s une grâce, une émotion sincère. Essayer de porter un regard dépouillé des a priori dont se pare inévitablement l’initié.e à l’art contemporain dans sa formation ; retrouver un œil neuf, une capacité d’émerveillement face à un objet immunisé à la critique par son statut.

Redorer le blason de l’artiste du dimanche, et extraire de l’ombre des images reniées.

Nous avons donné à voir un ensemble d’œuvres choisies et accrochées avec soin pour leurs qualités discrètes, teintes inédites, textures ébréchées ; peintures tordues, moisies, écorchées, repenties. Dans le même temps, nous proposions des moments de performance textuelle : chacun.e autour de la table, face à une collection d’ouvrages divers – magazines, revues, romans, tracts publicitaires – nous piochions à tour de rôle un extrait à lire à haute voix. Un jeu où le sens vole en éclat, prend forme à nouveau, se délite, réapparaît au loin, transfiguré. Autre proposition : la diffusion de l’épisode pilote de “Confession sur toile”, radio pseudo-fictive aux inspirations oulipiennes. 

Tantôt enthousiasmante, tantôt déroutante, incertaine et jubilatoire, l’exposition Casse-croûte reposait sur un geste, une petite utopie. Mais surtout un moment de partage ludique. Une invitation au jeu, à composer avec l’existant ; s’en saisir un instant, avant de le laisser repartir.

Zoé VIALA