PRÉSENCES VOYAGEUSES, 49 NORD 6 EST – FRAC LORRAINE – METZ

PRÉSENCES VOYAGEUSES, 49 NORD 6 EST – FRAC LORRAINE – METZ

Lotty Rosenfeld, Panamerican Highway (Atacama Desert), Chile, 1981, 1981.
Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Metz (FR) Photo Juan Castillo © L. Rosenfeld

Depuis plus de 35 ans les Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) permettent partout en France l’accès à l’art contemporain à tous les publics. Les 23 Frac, nés d’une collaboration entre l’état et les régions, ont constitué chacun et de manière autonome une collection publique, qu’ils rendent accessible dans leurs propres murs mais aussi à travers une politique active de diffusion dans de nombreux lieux en France comme à l’étranger.

L’exposition Présences Voyageuses au Frac Lorraine permet de se rendre compte à quel point les œuvres des collections originellement destinées à être montrées dans le périmètre de leur région ont largement dépassé les frontières et même voyagé sur d’autres continents pour enrichir le propos de commissaires d’expositions. La documentation de l’exposition donne un aperçu de ces « déplacements »  et des distances parcourues. Ainsi l’œuvre vidéo The Studio de Geta Brātescu, tournée dans l’intimité de l’atelier à l’abri du régime dictatorial de Ceausescu, présentée une première fois à la galerie Cāminul Artei de Bucarest a été exposée au Musée d’art contemporain de León (2013), au Centre d’art de Camden (2014), à Noisiel au centre d’art La Ferme du Buisson, lors d’une rétrospective à la Hamburger Kunsthalle (2016), à la Biennale d’art de Venise en 2017, et enfin lors de l’exposition personnelle de l’artiste à Berlin en 2018. La directrice du Frac Lorraine Fanny Gonella rappelle que 25% en moyenne des oeuvres de la collection font l’objet d’un prêt pour des expositions.

Si l’exposition Présences Voyageuses donne des exemples de ses destinées d’œuvres, on peut aisément imaginer qu’il en est de même pour toutes les collections des 23 Frac quand on sait que les fonds recèlent près de 30 000 œuvres de 5 700 artistes autant français qu’étrangers, montrées sur plus de 500 expositions et 1 300 actions d’éducation artistique et culturelle (1). Des chiffres éloquents qui témoignent d’une effervescence qui ne s’est jamais essoufflée. Au-delà des statistiques, il convient tout autant de mettre en lumière la capacité des équipes à « inventer » l’exposition, et à renouveler les formats des médiations qui feront que la rencontre entre les œuvres et le public sera effective. Les Frac sont animés par des équipes souvent jeunes, dirigés par des personnalités dont le parcours témoigne d’une connaissance approfondie de l’art et de son écosystème. Des lieux d’art toujours très vivants et qui osent des formes d’interactivité que l’on pourrait imaginer parfois peu aisées avec des œuvres d’art contemporain. L’installation The Elegba Principle (1995-97) de Willie Cole implique pour le visiteur de faire des choix, de pousser une porte plutôt qu’une autre selon le mot s’y trouvant inscrit, tandis que la Poupée(1993) de Marie-Ange Guilleminot nous invite au toucher.

Une autre particularité est que chaque Frac a développé une collection dont l’identité lui est propre. Ainsi le Frac Lorraine a constitué une collection d’œuvres majoritairement « immatérielles ». Par le fait d’être aisées à transporter, les oeuvres répondent parfaitement au « nomadisme » d’une collection qui a pour vocation d’être amenée à voyager fréquemment. L’orientation de la collection du Frac Lorraine nous rappelle combien l’art contemporain est avant tout une pensée en mouvement, qui s’appuie sur la multiplication des points de vue et dont le propos ne cesse de s’enrichir dès qu’on le porte dans de nouveaux contextes. Ainsi les travaux de Sister Corita Kent ont une portée qui se fait plus grande quand les valeurs qui fondent les démocraties sont atteintes. Des oeuvres universelles, militantes et humanistes autour desquelles chaque militant pour un monde meilleur se rallie instinctivement.

Une pensée qui se redéfinit selon les époques et les situations, mais qui est aussi appréhendée différemment selon l’histoire de chacun. Les oeuvres s’inscrivent à la fois dans une unité, celle de la collection, mais aussi par une capacité à intégrer par fragments d’autres unités, celles des expositions qui les accueillent, pourtant très différentes. Une œuvre comme celle de Stanley Brouwn 1m – 1 step (1987) composée de barres d’aluminium peut ainsi étayer le propos d’architectes mais aussi répondre à des propos curatoriaux qui mettent en avant la mesure du corps selon les lieux qui l’accueillent.

Présences voyageuses propose un voyage autant physique que mental, une expérimentation qui passe aussi par le langage. Un voyage qui implique une disponibilité, d’avoir en soi une ouverture pour accueillir une image inconnue comme avec les Anywhere Recollections (2012) de Tanja Koljonen, qui présente des diapositives sans visuels et dont les titres ont été partiellement raturés. L’exposition reflète ces multiples mouvements au moyen d’œuvres qui viennent nourrir des réflexions sur le monde contemporain. Dans ce principe dynamique du déplacement, le mouvement est celui de l’idée, du débat, de la pensée qui se déplace d’un argument à un autre, qui fait reculer les conservatismes, les frontières, l’inertie de certains régimes politiques. L’espace de l’exposition fait désormais partie de ces derniers lieux où sont encore possibles et sans entraves les échanges d’idées, où s’interrogent l’actualité, les phénomènes sociétaux, les événements et bouleversements qui rythment nos vies.

L’exposition Présences Voyageuses montre combien tous ces mouvements, de la pensée… de l’œuvre… du contexte…, activés en même temps produisent du sens, combien les œuvres résonnent entre-elles selon les « situations ». Il en est ainsi entre la boule de cristal (History makes a young man old, 2008) de Nina Beier and Marie Lund qui se couvre des impacts lorsqu’elle roule sur le sol et l’intervention A thousand crosses on the road (1979-2009) de Lotty Rosenfeld qui transforme les pointillés de la signalétique routière en croix, couvrant la planète d’un millier de signes. Au fil de l’exposition, des liens se tissent, parfois tenus parfois plus marquants, dans une même salle ou d’une salle à l’autre, entre les discussions (Time (spoken), 1982) de Iam Wilson et les commentaires appliqués à la lettre de la visite guidée du musée Guggenheim de Bilbao d’Andrea Fraser. Des réflexions sur le langage, le dire et le dit, et les stimulis que ceux-ci peuvent produire.

Le Frac Lorraine, dont le nom bien visible, est placé sur la haute tour carrée d’un des plus anciens bâtiments de la ville de Metz, l’hôtel Saint Livier, indique une géolocalisation 49 Nord 6 Est, comme pourrait le faire un phare en bord de mer, est un point central à partir duquel circulent les œuvres mais aussi le sens, les idées. Des œuvres comme parfois des notions et des idées, qui se déplacent à perte de vue avant de revenir au premier plan, avec souvent plus de force encore. Des oeuvres qui bien que créées dans un contexte bien précis, permettent d’éclairer avec beaucoup de pertinence notre présent. Toujours dans cette métaphore du point de repère, dans lequel on trouve du sens, le Frac Lorraine est un havre accueillant, proposant une déambulation intérieure mais aussi un passage dans un éco-jardin qui aboutit au fond de documentation, où chacun à la possibilité de découvrir des expositions et méditer à partir des réflexions qu’elles développent.

Texte Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2019 Point contemporain

Infos pratiques

28/02 AU 02/07 – PRÉSENCES VOYAGEUSES – 49 NORD 6 EST – FRAC LORRAINE, METZ

Avec les oeuvres de Nina Beier & Marie Lund, Geta Brătescu, stanley brouwn, Willie Cole, Winfred Evers, Andrea Fraser, Marie-Ange Guilleminot, Sister Corita Kent, Silvia Kolbowski, Tanja Koljonen, Claire Pentecost, Lotty Rosenfeld, Hito Steyerl, Ian Wilson

Geta Bratescu, The hands, for my eye, the hand of my body reconstitutes my portrait, 1977 Collection 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine, Metz (FR) © Geta Bratescu
Geta Bratescu, The hands, for my eye, the hand of my body reconstitutes my portrait, 1977. Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Metz (FR) © Geta Bratescu
Willie Cole, The Elegba Principle, 1997 Vue de l’exposition Digression à la frontier, Stadtgalerie, Saarbrücken (DE), 2002 Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Metz (FR) Photo : Tom Gundelwein © W. Cole
Willie Cole, The Elegba Principle, 1997. Vue de l’exposition Digression à la frontiere, Stadtgalerie, Saarbrücken (DE), 2002 Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Metz (FR) Photo Tom Gundelwein © W. Cole
Sister Corita Kent, Eye Love, 1968 Collection 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine, Metz (FR)
Sister Corita Kent, Eye Love, 1968 Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Metz (FR)
Nina Beier & Marie Lund, History makes a Young Man Old, 2008 Collection 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine, Metz (FR)
Nina Beier & Marie Lund, History makes a Young Man Old, 2008. Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Metz (FR)