RÉMY BRIÈRE, ELVIS KISSES, ARNAUD DESCHIN GALERIE PARIS
Rémy Brière est artiste et set designer. Il va sans dire que la relation dialogique entre l’art et la publicité est ambiguë et qu’elle pointe du doigt une certaine passivité collective… une question se glisse donc d’emblée entre l’harmonie visuelle de ses installations et les narrations qu’elles dessinent : sommes nous à l’endroit de simulacres scéniques employés à désacraliser l’histoire de la représentation?
À première vue, les oeuvres semblent en filiation avec l’Arte Povera : le refus d’une assignation d’identité, la valorisation de processus qui mettent en relation des matériaux pauvres et sophistiqués, naturels, culturels… Mais dans une lecture distanciée qui investit la notion d’image.
Toutes ces catégories sont-elles bien en jeu? Non. Rémy Brière me répond avec une sensibilité et une décomplexion désarmante. Il préfère que l’on sépare ses deux pratiques. Elles n’ont rien à voir. Il me parle de sa passion pour les lignes claires, les cintrages de métaux qui « esquissent des narrations, tout en convoquant le maniérisme ». Il cherche des glissements de référence « difficiles à assumer »: Elvis par exemple, un fétiche ? tout autant qu’un « lieu commun » ! C’est précisément ce trouble qui l’intéresse. Il ne veut pas avoir à se heurter à un art conceptuel pensé comme un « art savant », son travail est plutôt une « gymnastique de pensée » dont les étirements renversent les protocoles.
Sa pratique est avant tout processuelle: fabriquer des contenants, floquer, faire disparaitre l’objet, n’en garder qu’une silhouette, se livrer à des « gestes premiers ». Une tige de laiton ? une fleur ? Un diamant ? Une pastèque ? Qu’est ce qu’un « rapport immuable » ? Celui qui permet à « une porosité » de résister à « un quadrillage de références »… celui qui fait vivre une « gestation » à l’endroit même de son « arrêt ». De plus, il accorde une légitimité aussi grande au temps du plaisir qu’au temps de la conceptualisation: quelles sont les durées engagées dans une pratique ? Il n’est surtout pas question d’efficacité, mais de corps qui vibrent dans leur relation à « l’espace », un espace à entendre comme l’endroit d’un « doute ». Car il est d’abord question de rapports de distance qui ne seront « jamais d’actualité », toujours antidatés, incernables, « mais sans aucun obscurantisme »: juste des signes ouverts.
Pour « Elvis Kisses », il détermine « un terrain de jeu dans le terrain de jeu », avec de la moquette et du sable coloré, puis y dépose un extincteur dont les instructions effacées font place à un poème. Plus loin, sur un passe-partout, il dessine une ligne enlevée au crayon puis s’emploie à la retrouver en studio avec un serpent sous son objectif. Ce sera au serpent d’adopter la pose, là ou une logique classique aurait suivi le rapport inverse, c’est à dire le mouvement d’un serpent et sa reproduction. Plus loin encore, une partition gravée d’un morceau de House, Artists with attitudes. Une « attitude » ? Un faux ami pour les anglicistes. Le problème de traduction l’intéresse : non il ne s’agit pas de « mesquinerie » juste de « danse ».
Alors que le climat artistique nous pousse à penser chaque forme en terme de visualité médiatique, Rémy Brière, placé au centre de l’ouragan, ne vibre qu’en terme de processus, d’expériences de durées et d’espaces. Il débine ainsi l’enjeu politique du regard contemporain : celui d’un positionnement par rapport à l’image. À la manière d’un jeu spontané qui, envers et contre tout, déroute la perception pour livrer une réalité métaphorique.
Texte Lucille Uhlrich © 2018 Arnaud Deschin Galerie
Rémy Brière
Né en 1987.
Vit et travaille à Paris.
Visuel de présentation : Vue de la première exposition personnelle de l’artiste Rémy Brière “Elvis Kisses” Avec le soutien aux galeries/première exposition du CNAP, Centre national des arts plastiques
Photographies Romain Darnaud.