Robin Lopvet [ENTRETIEN]

Robin Lopvet [ENTRETIEN]

Loin des procédés classiques de création de l’animation ou de l’imagerie virtuelle au caractère lisse, les vidéos de Robin Lopvet nous projettent dans une succession vertigineuse d’images. Fruits de multiples croisements, dans les techniques comme dans les médiums, elles nous entraînent dans un rythme effréné, nous faisant tour à tour sourire, franchement rire ou nous conduisant, par leur caractère lancinant, jusqu’à la nausée. Robin Lopvet donne à ses compositions un caractère palpitant, rendant apparents les gestes de la réalisation tout comme les traits de sa personnalité. 

Comment génères-tu une vidéo ?

D’une base photographique et axé sur l’image fixe, mon travail est devenu cinématographique par la création de GIF (Graphics Interchange Format) que j’ai ensuite allongés en durée et en nombre de pixels. J’ai utilisé Photoshop avant d’avoir un appareil photo, et j’utilise tout type d’image que je transforme en collage numérique, ce qui donne une dimension ludique à mes réalisations. Mes vidéos sont réalisées en image par image, ce qui leur donne leur côté organique, mais tout est entièrement numérique. J’essaye de créer un nouvelle manière d’animer les images grâce aux outils de retouche photo. Toutefois, son format m’intéresse de plus en plus. J’allonge progressivement mes compositions qui avoisinent maintenant les vingt minutes tout en tendant à rendre plus apparentes les traces de mes interventions sur les images afin de conserver visible ce travail de croisement entre GIF et vidéo.

Est-ce dans cet esprit de croisement que tu as entrepris un travail de transformation de l’image ?

Je travaille à partir d’une petite zone de pixels choisie pour le motif, la couleur, la texture, que je duplique et mixe à l’infini. Je procède toujours à partir de cette idée de répétition et je crée ensuite des transitions. Rien dans ce travail n’est prémédité et je progresse de manière très intuitive. Le rendu est aussi en rapport avec le dessin, car on voit l’image changer petit bout par petit bout, on peut suivre mon geste de retouche. Cela donne l’illusion que c’est fait en temps réel. Je passe d’une image à une autre en apportant de multiples variations. J’ai une réelle pratique du faire, sans forcément qu’il y ait une intention qui conditionne en amont ma production. 

Une pratique qui te rapproche de celle du peintre…

Le croisement ne porte pas uniquement sur l’image fixe et la vidéo, il porte aussi sur la photographie et sur l’expression quasi picturale avec laquelle je la modifie. Il me permet de faire un travail de recouvrement progressif de l’image, de remplissage, tout comme un peintre couvre la surface de la toile. Le numérique a une  véritable matière, avec une texture, une épaisseur et une gamme chromatique. Les coups de tampon que je donne s’apparentent à des coups de pinceaux. Comme dans une peinture, le motif gagne sur la surface de l’écran et de la même manière je rajoute des cadres, des ombres, des effets… 

Quelle place tient la narration dans tes compositions ?

En laissant apparent le geste de recouvrement avec le tampon Photoshop, je mets en évidence le déroulement de la composition. Par la retouche, j’estompe les couleurs et je gomme des reflets, détails et tous les éléments susceptibles d’attirer le regard pour simplifier l’image et créer un rapport plus direct, presque frontal avec la scène. Parfois, je dessine dans l’image afin de suggérer d’autres narrations. Mes interventions peuvent être très diverses. Cadrage, couleurs, effet d’ensemble, tous ces éléments participent à une mise en scène et alimentent une fiction. Dans le hasard de la création, une sorte de cohérence narrative qui fait que la scène continue à exister se prolonge artificiellement par le numérique. 

Quelles sont ces images à partir desquelles tu travailles ?

Mes sources sont multiples. J’ai utilisé pour ma première vidéo des images venant de mes archives personnelles autour d’un motif principal, Le Serment des Horaces de David. J’utilise beaucoup d’images iconiques dans un processus qui reste très expérimental pour les amener dans des registres très différents, parfois même un peu kitsch. Je n’hésite pas à mélanger du contenu de sources différentes si cela sert mon propos. J’ai fait une pièce qui parle de la différence de rapport aux produits stupéfiants dans le cadre chamanique (le rite, l’ésotérisme, le religieux) donc plutôt des dessins, et des photos de soirées trouvées sur internet. 

« Les images dont je suis l’auteur et celles récupérées ont le même statut pour moi. Tout est matière à utiliser. »

Ta pratique repose beaucoup sur la récupération…

J’alimente ma banque d’images sans me soucier de la source parce qu’on ne crée rien qui sort du néant et qu’elles-mêmes sont issues d’un héritage. La réutilisation et le croisement créent des formes de tension. Vendredi Gras est une vidéo en forme de dédicace à beaucoup de photographes ou vidéastes comme Édouard Levé, Roger Ballen,… mais aussi de musiciens qui me nourrissent en continu. J’ai produit cette vidéo avec cette idée que l’on passe d’une société de consommation à une société de récupération. 

« Afin de pouvoir continuer à créer, il devient nécessaire de toujours réduire les coûts, de revenir à des formats d’échange plus collaboratifs, des mises en synergie, et finalement à des dimensions plus humaines. » 

Qu’est-ce qui détermine le déroulement de tes vidéos ?

Pour mes deux premières réalisations Voyage Voyage Voyage et Vendredi gras, j’ai vraiment enchaîné les images au feeling, intervenant sur une image puis sur une autre avant d’assembler le tout. À chacune d’entre elles, je me demandais ce qui allait venir après. Un mode de fonctionnement somme toute limité qui rendait impossible toute synchronisation musicale. Or, comme je fais aussi de la musique et des clips, ce mode de travail image par image ne permet pas de maîtriser la notion de temps, et le calcul à la seconde près des enchaînements. Pour pallier ces difficultés, j’ai développé un nouveau procédé qui consiste à travailler en amont sur de petites boucles vidéo que je juxtapose et sur lesquelles je peux caler plus aisément une bande sonore.

As-tu un exemple de l’utilisation de cette technique ?

À l’occasion des Rencontres de la photographie d’Arles 2016, j’ai réalisé pour Cosmos, la partie éphémère du festival dédiée à l’édition sous toutes ses formes, la vidéo DigitHorse qui utilise cette technique d’assemblage de vidéos qui durent entre une et vingt secondes. On y retrouve aussi ce parallèle avec la photographie ou la peinture car ce corpus de boucles de vidéos peut être présenté seul, assemblé avec une grande liberté ou selon des montages qui peuvent même être thématiques. Il me suffit de mettre bout à bout les boucles que je modifie avec des effets. Une technique qui, d’un point de vue plastique, permet un mixage des médiums et la rencontre d’éléments très divers.

On remarque un certain effet de vitesse dans tes enchaînements…

Encore une fois, cela dépend du propos. Pour des vidéos très courtes, l’aspect presque épileptique ne me dérange pas, et encore, cela dépend du sujet. Pour mon dernier film photographique, Tout doit disparaître (2017), qui dure une heure, le rythme est plutôt lent, sinon c’est insoutenable. Mais c’est vrai que j’ai une tendance naturelle à aller vers l’all-over plutôt que vers le minimalisme formel.

Pour la création de la musique es-tu dans une technique similaire ?

Le travail sur le son suit le même processus. Je suis musicien et fais aussi partie d’un label de musique. Ma démarche se rapproche un peu de l’idée d’un art total susceptible de rassembler dessin, photo, vidéo et même performance.

Avec l’idée de composer une vidéo en direct ?

En ce moment je conçois des micro-boucles adaptées pour faire du vjing (vidéo-jokey). Le montage pourrait se faire de manière improvisée, en live. Les morceaux seraient composés en fonction de l’ambiance avec l’ambition de monter un spectacle. 

Texte Valérie Toubas et Daniel Guionnet initialement paru dans la revue Point contemporain #4 © Point contemporain 2017

 

POUR EN SAVOIR PLUS SUR L’ARTISTE

 

Robin Lopvet, Félure (en cours)
Robin Lopvet, Félure (en cours)

 

Robin Lopvet, Lutteurs de saison, 2014. Extrait de la série Stupides Sculptures. Courtesy artiste.
Robin Lopvet, Lutteurs de saison, 2014. Extrait de la série Stupides Sculptures. Courtesy artiste.

 

Visuel de présentation : Robin Lopvet, image extraite de la vidéo Voyage Voyage Voyage. Courtesy artiste.