SARAH TROUCHE, SEULE LA FEMME QUI GRATTE LE SOL…

SARAH TROUCHE,  SEULE LA FEMME QUI GRATTE LE SOL…

Vue d’exposition Sarah Trouche, Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens
CAC La Traverse Alfortville
Photo Maurine Tric

ENTRETIEN / Sarah Trouche et la commissaire d’exposition Bettie Nin

Entretien réalisé en décembre 2019 à l’occasion de l’exposition personnelle Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens
du 06 février au 28 mars 2020 au CAC La Traverse Alfortville.

Bettie Nin – Tu lis beaucoup, tu t’informes beaucoup sur les sujets que tu traites. Le titre « Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens » est d’ailleurs une citation tirée du roman « L’amour humain » d’Andreï Makine*, un des livres de référence de cette exposition. Cette phrase, à peine tronquée, est un emprunt plein de sens.

Sarah Trouche – Ces mots d’Andreï Makine m’ont tout de suite intéressée car ils mentionnent un geste, le corps, la femme et l’autre, le regard de l’autre… Je trouvais ça beau qu’un titre poétique réunisse un certain nombre des sujets de l’exposition comme la fraternité, le social et le politique. En tant qu’artiste je mets mon corps en action autour d’un enjeu de dépassement de soi. Le titre questionne ce rapport regardé/regardant et les processus actifs et réceptifs. Comment les autres perçoivent-ils nos actions ? Décident-ils à leur tour de devenir acteurs, de s’impliquer ou restent-ils complètement étrangers ?

BN – Lorsque nous préparions l’exposition, tu m’as souvent parlé de « vulnérabilité ». Est-ce cela que tu évoques là encore ? Du fait que l’on doive accepter sa propre vulnérabilité ?

ST – Oui. La vulnérabilité c’est admettre ses faiblesses pour dépasser et montrer son courage. « Vulnerare » veut dire « qui peut être blessé ». Nous sommes vulnérables lorsque nous sommes blessés, endommagés, froissés, lorsque nous sommes dans la précarité du corps finalement. La vulnérabilité c’est donc accepter de se regarder et de se faire face, c’est accepter ses blessures et ses cassures pour mieux rebondir. Nos fragilités deviennent du courage et de la force lorsque nous nous sommes totalement compris. Il peut y avoir dépassement de soi quand nous avons compris les contours de nous-même.

C’est pour ça que le miroir est un symbole qui m’est cher. Il permet à la fois de voir son reflet et de déplacer son regard vers un au-delà. Il symbolise le fait que nous devons accepter de faire face à nos plus grandes hontes, à nos plus grandes faiblesses pour les dépasser et aller vers autre chose.

BN – Le miroir est, tu viens de le dire, un des symboles à l’aide duquel tu t’exprimes… Dans tes œuvres les objets et les matières sont presque toujours chargés symboliquement. Déjà dans tes premières performances, tu recouvrais ton corps d’une couleur qui ajoutait du sens au geste… Aujourd’hui c’est la terre, en tant que matériau, tantôt glaise à sculpter, sol à gratter ou encore pâte à enduire qui a cette place de choix… Peux-tu nous en parler ?

ST – La terre est une matière extrêmement chargée symboliquement, que ce soit par ses propriétés géologiques et ses différentes strates, par son origine ou d’une façon plus philosophique et poétique parce qu’elle nous emmène quelque part et qu’elle prend la forme qu’on lui donne, elle garde l’empreinte des gestes fait sur elle. Peut-elle transformer un corps ? Peut-il à son tour y laisser des marques ? Dans le titre, il y a également la notion de sol. La femme qui « gratte le sol » reste à la surface parce qu’elle est face à quelque chose qui la dépasse. La terre grattée est aussi un prétexte à réconcilier les strates géologiques et l’histoire actuelle.

BN – Le geste, le corps sont donc primordiaux dans ta manière d’appréhender le monde. Le corps est chez toi un territoire politique, un lieu de contestation…

ST – Ici, c’est le corps qui a subi des violences, un corps sidéré, un corps résistant, un corps de sacrifice, un corps qui agit qui m’intéressait. Lorsqu’il y a sidération, il y a arrêt dans le temps. Nous sommes bloqués et ce blocage nous empêche d’agir. Cette exposition est une sorte de déambulation autour d’un corps sidéré qui souhaite se dépasser pour agir et s’impliquer. C’est un corps qui a envie de devenir acteur, actif et activé. Il y a donc à la fois cet arrêt, cette pause de vie, et ce questionnement, comment re-agir ? se réactiver ? se réengager en tant que regardant et que regardé ? L’action, le mouvement sont des gestes de réaffirmation engagée, de réaffirmation politique, de réaffirmation sociale.

BN – Pour toi donc l’action témoigne, dénonce et guérit aussi. Elle contient par essence une forme de radicalité…

ST – …une résistance. Elle permet de sortir de l’immobilité, de la torpeur. Ce n’est pas évident de bouger les lignes comme ce n’est pas évident de se regarder dans le miroir et de dépasser son simple reflet, d’accepter ses faiblesses, ses défaillances et toutes ces choses à améliorer. Dans la radicalité du corps ce qui m’intéresse c’est que nous sommes parfois obligés d’être violents pour faire passer un message sociologique ou politique. Le corps devient alors un prétexte, un lieu, un outil d’action, une extension d’action, une page blanche pour révéler le monde… Le corps devient le moteur d’une histoire à jouer et à défendre. Dans l’exposition même s’il y a des sculptures, des photographies et des bas-reliefs, le corps reste omniprésent parce que ces objets ont tous été, à un moment donné, activés, sortis, extraits d’un corps porteur.

*Andreï Makine, né en 1957, est un écrivain d’origine russe qui écrit en langue française. Prix Goncourt 1995, prix Goncourt des lycéens et prix Médicis pour Le Testament français. Depuis 2016 il est membre de l’Académie française.

SARAH TROUCHE – BIOGRAPHIE

Sarah Trouche, née en 1983, vit entre Bordeaux et Paris.
Cette artiste plasticienne travaille la performance, la photographie, la vidéo et la sculpture. Elle s’inspire des rencontres qu’elle fait au cours de ses voyages et utilise son corps comme un outil pour faire passer un message social et politique.

https://www.sarahtrouche.com

Vue d'exposition Sarah Trouche, Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens CAC La Traverse Alfortville Photo Maurine Tric
Vue d’exposition Sarah Trouche, Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens
CAC La Traverse Alfortville Photo Maurine Tric
Vue d'exposition Sarah Trouche, Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens CAC La Traverse Alfortville Photo Maurine Tric
Vue d’exposition Sarah Trouche, Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens
CAC La Traverse Alfortville Photo Maurine Tric
Vue d'exposition Sarah Trouche, Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens CAC La Traverse Alfortville Photo Maurine Tric
Vue d’exposition Sarah Trouche, Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens
CAC La Traverse Alfortville Photo Maurine Tric
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Vue d’exposition Sarah Trouche, Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens
CAC La Traverse Alfortville Photo Maurine Tric
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Vue d’exposition Sarah Trouche, Seule la femme qui gratte le sol semble totalement étrangère à la folie des gens
CAC La Traverse Alfortville Photo Maurine Tric
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CAC La Traverse Alfortville Photo Maurine Tric

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