Sleep Disorders (Marion Auburtin et Benjamin L. Aman) [ENTRETIEN]

Sleep Disorders (Marion Auburtin et Benjamin L. Aman) [ENTRETIEN]

Snares and temptations, performance sleep disorders (benjamin l. aman marion auburtin), Cité des arts, paris, 2015

Démultipliant les formes et les projets, passant du livre à l’exposition dans un espace de type white cube, de l’enregistrement audio aux soirées de performances, Sleep Disorders est un duo qui se plaît à jouer avec les codes. Entre projet artistique et projet curatorial, chaque évènement est porté et pensé par ses deux artistes fondateurs : Marion Auburtin et Benjamin L. Aman.

Alex Chevalier : Pourrions nous commencer cet entretien avec un peu d’histoire et sur la façon dont vous avez décidé de former Sleep Disorders ? Dans quel contexte et avec quelles envies ?

Sleep Disorders est né de la convergence de plusieurs faisceaux : notre intérêt pour les objets éditoriaux, les formes collectives et les avant-gardes historiques, notre présence au sein de la scène artistique et musicale berlinoise où tout semblait possible et notre envie de faire les choses sans attendre, et de manière indépendante. Il y avait un lieu étonnant à Berlin-Kreuzberg à cette époque, le Forgotten Bar, tenu par Tjorg Douglas Beer, artiste lui aussi, qui nous a proposé d’organiser une exposition d’un soir en juin 2010 (c’était le principe du lieu). Le titre de l’exposition était Sleep Disorders. Notre duo était né.

Sleep Disorders, c’est une entité à deux têtes composée de deux artistes qui proposent à d’autres artistes un projet curatorial spécifique ; que celui-ci prenne place dans un lieu d’exposition, au travers de publications et d’enregistrements audio, ou dans votre espace d’exposition, La Chambre. Comment en êtes-vous arrivé à vouloir démultiplier les formes et à proposer ces types de projets spécifiques ?

Sleep Disorders voyage avec nous depuis le début, physiquement et conceptuellement parlant. Il s’adapte à notre vie, à nos rencontres. Nous n’avons jamais eu envie de figer la forme ou le cadre de ce projet. Les artistes que nous invitons influencent eux-aussi la forme des projets.  Il y a eu des revues, des expositions en plusieurs volets, comme à La Box (la galerie de l’École Nationale Supérieure d’Art de Bourges) lors de notre résidence en 2015, des expositions collectives, des soirées de performances… Il y a maintenant La Chambre qui propose des expositions personnelles et des entretiens.

Il se dit souvent que le contexte est important et considéré dans telle ou telle exposition, mais j’ai l’impression que chez vous, le contexte est véritablement l’élément moteur au développement des projets que vous proposez. Pourriez-vous nous parler plus en détail de La Chambre ?

Cela faisait quelque temps que nous avions envie de montrer des projets solos d’artiste mais nous n’arrivions pas à définir la forme que cela  prendre, les évènements Sleep Disorders prenant justement leur sens dans le collectif. Alors, lorsque nous avons obtenu notre atelier-logement et que nous avons découvert cette pièce étrange, exigüe et triangulaire juste en face de la porte d’entrée, nous y avons immédiatement vu le lieu d’intimité que nous cherchions pour ce projet. Avant même d’installer les meubles dans notre logement, nous avons repeint une partie du mur en noir et c’est devenu un espace d’exposition. C’était une évidence, La Chambre s’est imposée à nous. Après il nous a fallu nous organiser pour mettre en place une programmation au cœur de notre espace de vie.

De là, se pose aussi la question de la temporalité. À une époque où chacun communique énormément sur ses activités, sur ses projets en cours et à venir, mais aussi dans le but de se mettre en avant, à l’inverse, chez vous, les projets se font sur un rythme décousu (en une année, La Chambre peut accueillir une exposition, comme elle peut en recevoir 4 ou 5 par exemple). Cette question du rythme et de la respiration entre les projets vous semble elle moteur dans votre démarche ?

Sleep Disorders est un projet d’artiste, ce serait difficile de tenir un rythme constant, d’autant qu’on tient à conserver une proximité humaine, et cela passe aussi par des choix comme des éditions à tirage (très) limité, des expositions dans une pièce de notre appartement… De ce fait, le temps s’étire entre les projets et parfois se fige. L’énergie, l’envie, les possibilités, les disponibilités, l’économie varient selon les périodes. Il y aussi nos pratiques artistiques personnelles qui nous laissent parfois très peu de temps libre. Les moments de respiration sont effectivement importants au sens où Sleep Disorders est une démarche artistique, avec ses projections, ses désirs, mais aussi ses ralentissements, ses temps de recherche, ses doutes, et même ses stagnations.

Une chose me semble intéressante dans votre position, c’est que vous revendiquez le fait que vous soyez des artistes qui travaillent avec d’autres artistes.

Oui, nous sommes tous les deux artistes, avec des pratiques bien différentes et nous abordons le projet Sleep Disorders de la même manière, avec une précieuse absence de recul. Il nous arrive régulièrement de montrer notre travail personnel au sein des expositions Sleep Disorders. C’est d’ailleurs une remarque qui pourrait tout à fait ouvrir à la question de « l’objet de l’exposition » et de la pratique du commissariat. Notre volonté d’aborder l’univers de la nuit et ses revers sous un angle poétique nous protège peut-être d’une approche trop analytique ou d’un objet trop immédiatement palpable. Beaucoup de choses nous échappent dans ce projet. Souvent les œuvres que nous exposons elles-mêmes nous échappent, et c’est ce que nous aimons, cela fait partie des raisons pour lesquelles nous allons vers un artiste. L’ombre qui rôde autour de son travail agit sur nous comme un médium, et lorsque nous invitons un artiste, la plupart du temps il est libre de nous proposer ce qu’il veut.  

Parce que vous le nommez et qu’évidemment, la question se pose, pourrions-nous parler de « l’objet de l’exposition » ? L’exposition, au sein des différents projets que vous avez menés jusqu’à ce jour prend des formes très libres et indépendantes les unes des autres. J’aimerais prendre un exemple précis, celui du Sleep Disorders #17. La dernière édition que vous avez réalisée et dans laquelle vous avez invité une trentaine d’artistes à intervenir sur une page de la revue. Une exposition est née. Ensuite, pour le lancement de cette publication, vous avez fait une tournée européenne, en faisant un lancement à Paris en juin dernier (Under Construction Gallery), à Berlin en juillet (au Kosmetiksalon Babette) et enfin à Bruxelles (à Greylight Projects). À chacune de ces dates, vous déballiez votre malle et l’exposition prenait une nouvelle forme ; permettant alors à celles et ceux qui ont eu la chance de voir plusieurs de ces évènements, de peut-être découvrir des œuvres qu’ils n’avaient pas remarqué la fois précédente. Pourriez-vous nous en dire plus quant aux motivations d’un tel projet et sur la façon dont s’est construit un tel projet ?

Le plan n’était pas pré-établi depuis le départ. D’abord nous voulions éditer un nouveau magazine, car la partie éditoriale du projet Sleep Disorders nous intéresse beaucoup. Et puis, considérant la publication comme un espace d’exposition, nous avons pensé qu’il serait intéressant de mettre en miroir la revue et les œuvres ayant donné naissance au contenu de cette même revue. Le projet s’est construit dans, ou par cet écart. Ensuite, cela fait longtemps que nous cherchions un moyen pratique de faire voyager physiquement une exposition. La revue étant un objet qui se déplace facilement, elle a provoqué le déplacement de l’exposition également. Nous avons utilisé cette malle qui était déjà un élément apparaissant régulièrement au sein de Sleep Disorders, depuis une performance de 2014 à la Cité internationale des arts où nous l’avions enterrée.  En ce qui concerne la publication de ce dernier magazine et sa tournée, on aimait l’idée de se laisser porter par l’aura des lieux qui nous accueillaient et très rapidement ce projet nous est apparu comme une suite de métamorphoses.

Peut-être fais-je fausse route, mais il y a quelque chose qui se recoupe avec l’univers de la musique dans votre démarche, non ? Vous parlez de Sleep Disorders comme d’une formation composée de plusieurs artistes, et à la façon d’un concert, les évènements que vous organisez durent le temps d’une soirée, quitte à les renouveler et à les faire voyager de ville en ville à la façon d’une tournée… Et puis, Sleep Disorders ferait un bon nom de groupe, non ?

Tout à fait – d’ailleurs c’est un secret que nous dévoilons en exclusivité pour Point Contemporain : Sleep Disorders se produira en concert pour ses 10 ans, en juin 2020…

Entretien réalisé par Alex Chevalier © 2019 Point contemporain

Sleep disorders, l’heure du loup, sommeil léger, 2015
L’heure du loup, mural sleep disorders (benjamin l.aman & marion auburtin),
la box bourges, 2016
Colin cook, Gilles berquet
L’heure du loup, sommeil paradoxal, la box, bourges, 2016
La chambre #15, Bettina Samson, Aubervilliers, juin 2017
Sleep disorders #6, DMDKT, berlin, 2014
Benjamin L.Aman, Marthe Krüger, Barbara Breitenfellner, Myriam Mechita, Katharina Ziemke
La chambre #18, Barbara Breitenfellner, Aubervilliers, septembre 2018
Sleep disorders #17, flyer & couverture du magazine, 2018
Sleep disorders #17, 09.2018, Greylight Project, Bruxelles,
Agnès Geoffray, Julien Tiberi, Bettina Samson, Benjamin Hochart, Sébastien Gouju & Hélène Bleys, Leila Brett, Emmanuelle Castellan, David de Tscharner
Sleep disorders #17, Bar Babette, Berlin, 07.2018,
Anthony Freestone, Alexandre & Florentine Lamarche-Ovize, Benjamin L. Aman, Laura Gozlan, Joan Ayrton, Marion Auburtin
Sleep disorders #17, Galerie Under Construction, Paris, juin2018

Actualités :

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