[ENTRETIEN] Double séjour – Sous un soleil à briser les pierres

[ENTRETIEN] Double séjour – Sous un soleil à briser les pierres

Entretien avec Thomas Havet porteur du projet curatorial Double séjour à l’occasion de Sous un soleil à briser les pierres une exposition collective réunissant vingt artistes du 24 au 26 juin 2016 dans l’espace de son appartement parisien du XXème arrondissement de Paris.

Artistes : Alice Didier Champagne, Antinomia (Céline Andreassen + Hélène Blanc), Yoan Beliard, Rémy Briere, Damien Caccia, Emilie Duserre, Emmanuel Le Cerf, Ronan Le Creurer, Guillaume Linard Osorio, Hugo Livet, Benoît Magdelaine, Romain Metivier, Matthieu Raffard, Alexandra Sá, Ludovic Sauvage, Timothy Schweizer, Laurence Sturla, Capucine Vanderbrouck, Romain Vicari.

Pour ce deuxième opus de son projet curatorial Double Séjour, Thomas Havet invite vingt artistes à perturber l’espace de son appartement, lieu d’expérimentation où s’engage un dialogue permanent avec les artistes. Non soumis aux contraintes auxquelles doivent répondre une galerie ou un lieu institutionnel, il libère les œuvres des procédés conventionnels de monstration et même d’élaboration allant jusqu’à la superposition, l’entassement et l’amalgame des pièces présentées.

Propos de Thomas Havet recueillis le 20 juin 2016 :

 » Le point de départ de cette nouvelle proposition est le poème de Baudelaire « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans », une métaphore du cerveau du poète qui, à la manière d’un cimetière, d’un boudoir ou d’un meuble, accumule objets et souvenirs. Le poème est composé comme un inventaire en prenant en compte une dimension spatiale. Une accumulation d’éléments aux prises avec le temps où il est question de fleurs fanés, de flacons débouchés, de ce moment où l’on arrive au terme de quelque chose. J’ai voulu projeter cette expérience du passage du temps dans l’espace d’un appartement qui, dans son histoire, voit se succéder plusieurs générations d’habitants.

A la différence de la précédente exposition, PARAGES, tous les objets présents dans le double séjour ont été enlevés et toutes les traces de mon occupation effacées. Les oeuvres des vingt artistes invités sont condensées dans une seule partie du double séjour, la deuxième étant laissée totalement vide, ce qui crée une forte densité. Tout est entreposé à la manière d’une collection d’œuvres ou d’un cabinet de curiosités. Certaines œuvres se superposent à d’autres, et sont par conséquence en partie masquées ou peu visibles. Le positionnement devient même par endroit injurieux quand des vidéos sont directement projetées sur des peintures.

Cette disposition répond au poème de Baudelaire qui parle d’encombrement ainsi qu’à l’idée d’inventaire. Je voulais donner l’impression au visiteur d’être le témoin d’un emménagement ou un déménagement, d’entrer dans un appartement laissé à l’abandon dans lequel aurait été rassemblés le reste des affaires des anciens propriétaires.

L’exposition parle de la trace, de la mémoire, dans l’esprit des carottages qui portent toutes les marques de sédimentations comme autant de strates de souvenirs. Je voulais qu’il y ait cette épaisseur, cette même densité dans la matière. Beaucoup de pièces sont en plâtre, en béton, en résine, des matières pouvant être assez brutes, et renvoie à la fossilisation ou à la ruine. Plusieurs œuvres installent une temporalité artificielle par des procédés alchimiques. Un mur craquelle grâce à un procédé chimique, Rémy Briere transforme des fleurs en bronzes éphémères, Romain Vicari intervient sur une cheminée en lui donnant l’apparence d’un vestige, les pièces de Capucine Vandebrouck par un procédé de cristallisation de sel ou de salpêtre paraissent avoir passés plusieurs années au fond d’un cave ou au fond de la mer.

Sous un soleil à briser les pierres - exposition collective - Double séjour
Sous un soleil à briser les pierres – exposition collective – Double séjour

Alors que Baudelaire fait référence dans son poème à la lune, à un cimetière plongé dans le noir total, je voulais transposer cette atmosphère un peu mortifère à un tout autre moment de l’année qui est l’arrivée de l’été. Une saison qui est pour moi mélancolique et liée au spleen. Le soleil à briser les pierres, évoque cette chaleur de plomb, les ruines des temples grecs ou romains, ce mythe du Sphynx qui se met à chanter aux rayons du soleil couchant. Une chaleur propice aux hallucinations qui renvoie à la pièce Plein Soleil de Ludovic Sauvage qui rejoue ce faux souvenir avec des diapositives qu’on lui a offertes et qui sont projetées sur les plâtres d’Émilie Duserre. En grattant le papier calque avec du graphite et de l’encre, Yoan Beliard donne à ses pièces l’apparence de pétrole répandu sur du macadam avec des effets très colorés. La seule entrée de lumière dans la pièce durant toute la durée de l’exposition se fait par une pièce de Ludovic Sauvage, un disque de 90cm de diamètre découpé dans du tissu. Une lumière qui plonge l’ensemble des autres œuvres dans un contre-jour permanent.

En face de la pièce de Ludovic, se trouve la seule œuvre sur cimaise de l’exposition. C’est une pièce de Guillaume Linard Osorio. Il a récupéré un tissu de verre époxy d’une des plus anciennes quincaillerie de Paris qui, n’ayant jamais été vendue a été déplacée, au fil des années de rack en rack. Une décoloration qui l’apparente à un colorfield painting de Rothko et dont Guillaume a figé définitivement le processus en la protégeant d’une vitre anti UV.

Les pièces interfèrent entre-elles, créent des formes nouvelles, parfois inattendues en se superposant. La question se pose si l’on a toujours, dans cette accumulation, des œuvres autonomes ou une seule et même installation. Cela est d’autant plus vrai pour les vidéos comme celles de Benoît Magdelaine, qui sont projetées sur les peintures de Damien Caccia, un artiste dont j’ai découvert le travail à Jeune Création, qui peint sur le verre. Il joue sur l’épaisseur des couches, détériorant ses peintures en les essuyant, puis les repeint encore. J’apprécie ces effets de matière car ils ressuscitent les souvenirs, comme le mur d’un appartement qui est plusieurs fois repeint.

Les artistes se sont aussi appropriés des objets déjà existants sur lesquels ils sont intervenus. Des objets qui, en perdant leur fonctionnalité, prennent une dimension un peu surréaliste comme le livre mutique d’Emmanuel Le Cerf. J’ai voulu rendre compte de l’idée de projection, de la réanimation d’un souvenir dans un objet, une odeur. Dans le grand chaos qui règne au centre de la pièce, des pièces s’animent, prennent du volume, se consolident et acquièrent plus d’épaisseur au contact des unes et des autres, pour prendre vie. « 

Pour en savoir plus :  doublesejour.tumblr.com
Le lien pour s’inscire : http://goo.gl/forms/BxZHb2U69OwS4S3x2