TIMOTHÉE SCHELSTRAETE [ENTRETIEN]

TIMOTHÉE SCHELSTRAETE [ENTRETIEN]

« Je monte une image comme on le fait d’une peinture, par couches, estompant, gommant, travaillant les contrastes, j’y reviens par-dessus non sans amusement, il faut bien l’avouer. »
Timothée Schelstraete

Depuis sa sortie de l’École des Beaux-Arts de Rouen en 2010, Timothée Schelstraete n’a laissé aucun répit à l’image, multipliant les procédés d’impression, de collage, interférant avec peinture et dessin afin d’en extraire son essence. En superposant des grilles, il en analyse la composition, la fragmente. Mais ce n’est pas son mouvement qu’il observe, ni sa dynamique, mais plutôt l’artifice qui, il y a près de 200 ans l’a fait naître et apparaître sur le papier. Une étude qu’il mène à travers un processus complexe, une chimie expérimentale, qui prend à rebours les mêmes expérimentations opérées par les pionniers de l’image et tous ceux qui, aujourd’hui, pensent encore qu’elle est saisissable alors qu’elle ne nous offre qu’un moment fugace du réel. 

Quelles ont été tes premières recherches plastiques avant de centrer ton travail sur l’image ?

Aux Beaux-Arts, j’ai travaillé exclusivement la peinture et la gravure. Dans la période toujours un peu compliquée qui suit le diplôme, je suis revenu au dessin en reprenant mes peintures comme source parce que c’était les seuls éléments que j’avais sous les yeux. Une manière pour moi de travailler l’image différemment, a contrario de l’usage qui veut que les artistes fassent des études préparatoires. Cette distanciation m’a permis de me focaliser sur l’idée d’image plutôt que de sujet.

En fait, il s’agit d’un aller-retour permanent entre le geste et ce qu’il vient représenter.

Un passage d’un médium à l’autre avec pour objectif de s’attaquer à l’image dans ce qu’elle a d’immédiat, de consommable, d’esthétique et parfois même de décevant ?

En effet, je ne cherche pas à créer un sujet identifiable mais plutôt non figuratif, familier mais étrange la plupart du temps, généralement en plan assez rapproché pour accompagner le tableau du hors-champ. J’essaie de rendre le tableau incomplet. C’est une recherche que je mène depuis 2014 avec pour principe initial de travailler par association d’idées. Certaines formes sont rapidement devenues récurrentes puisqu’une image en amène toujours une autre.

Quelles sont ces formes sur laquelle ton attention s’est fixée ?

Elles ne sont pas définies. Je capte spontanément avec mon téléphone portable et à la va-vite des éléments qui m’intéressent de mon environnement. Et si je fais plusieurs photos, j’avoue être plus souvent attiré par l’image un peu ratée et sélectionne au final souvent la première. Rien n’est calculé au départ mais si je peins une forme circulaire, quand je vais en croiser une autre, il y a de fortes chances que je la photographie.

Peux-tu nous parler de ce rapport à la lumière qu’entretiennent ces éléments ?

Au fur et à mesure je me suis rendu compte qu’on retrouvait beaucoup de matériaux métalliques qui sont réceptifs à cette lumière et propices aux reflets. Souvent pris au flash, ils deviennent irréels, brulés par la lumière une demi-seconde. Ils sont très présents dans mon travail, mais surtout je pense toujours à une enveloppe. Une carrosserie est en soi déjà une peinture, elle est une surface et en même temps volume et ce sont ces deux questions-là qui décident de mes choix. J’ai toujours été attiré par les peintres qui composent leurs volumes en travaillant la lumière, comme Le Caravage ou Le Tintoret. Pour moi, tout le plaisir vient de là.

Tu as récemment éliminé la couleur de tes travaux. Est-ce pour avoir un rapport encore plus direct avec la lumière ?

Oui parce qu’il n’est plus question que de valeurs. Cette disparition de la couleur est aussi due à un procédé d’impressions lasers en noir et blanc. J’applique des feuilles transparentes imprimées avec du liant acrylique sur la toile. La colle garde le toner à la surface quand j’enlève les transparents. C’est une sorte d’empreinte qui est presque de l’ordre du monotype. J’interviens ensuite dessus en peinture. J’ai présenté des travaux à l’exposition Columbia qui relevaient de ce procédé, où l’image imprimée était partiellement recouverte, puis réimprimée, et ainsi de suite, en montant par strates, et avec à chaque étape des défauts d’impression, des accidents.

Les accidents ne sont-ils pas justement ce que tu recherches dans ces multiples transferts ?

Ils ont toujours été très importants pour moi, parce que c’est ce qui me surprend en travaillant, l’impossibilité de dompter l’image / la peinture. La toile présentée ChezKit a longtemps servi de martyr et reçu de nombreux coups de pinceau. D’autres types d’accidents encore. De toute manière il s’agit toujours de recouvrement.

Un procédé qui rapproche la toile de la texture de la peau avec cette mue qui transforme l’image…

Exactement. Ce geste rejoint aussi l’idée de reproduction mécanique catégorisée par Walter Benjamin. Pour l’exposition à Yvetot, j’ai travaillé par un procédé mécanique à partir d’un motif unique sur 16 images différentes avec cette idée sous-jacente de multiplier les accidents afin de créer des variations. Je fais aussi naître ces accidents selon des procédés tout autres, en laissant par exemple une toile à plat sur le sol de l’atelier. Comme une peau, elle va être marquée par l’activité qui s’y déroule, recueillir des traces de peinture, parfois d’acétone et alors prendre par endroits des teintes plutôt violettes. Je vais ensuite la reprendre, refaire par-dessus un travail d’impression avec des trames et ainsi multiplier les couches. La peinture peut aussi venir comme un pansement, comme pour enrober l’image. De la même manière, je peux aussi laisser une image très longtemps dans mon ordinateur avant de la retravailler. 

L’image ne se défend-elle pas de ces transformations ?

Justement, j’aime faire le choix d’éléments de défense dans les motifs initiaux, un fragment de carrosserie, un casque médiéval, un store… 

Cela donne le sentiment d’un blocage et en même temps cela ouvre sur de multiples potentialités. L’image résiste toujours et si dans mes premières peintures, je travaillais avec une texture assez épaisse pour venir affirmer la touche, aujourd’hui j’essaie de jouer davantage sur les transparences et une couche de peinture assez mince qui viendrait se fondre dans l’image.

Ne poses-tu pas au final la question de la pérennité de l’image, ou du moins celle des conditions de sa présence ?

Il y a évidemment de cela même si c’est très difficile à exprimer. Se pose pour toute notre génération d’artistes qui vit à l’ère du fichier numérique, la question de l’aura de l’image. Sans chercher à amener de réponse, ces problématiques de l’image fixe, de la peinture comme trophée, traversent mon travail. Ces objets forment une collection avec cette vision sans doute un peu nihiliste à essayer de vouloir posséder leur image.

Une manière aussi de désacraliser ces objets ?

Sans doute. Pour l’exposition qui a eu lieu suite au coup de cœur Art [ ] Collector à Jeune Création, je suis arrivé entre autres avec une trentaine de dessins qui prenaient tous pour référence la même image. J’ai cherché à poser la question de la reproduction manuelle, de la valeur de l’image, et de leur lisibilité. Une succession de gestes propres à déstabiliser tout collectionneur. Or pour moi, elles étaient d’autant plus uniques que l’on pouvait développer une relation spécifique, plus intime, avec chacune d’elles. Un exercice assez risqué car chaque dessin s’offre à la comparaison.

Entretien avec Timothée Schelstraete réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2019 Point contemporain

Timothée Schelstraete
Né en 1985 en France
Vit et travaille à Paris
www.timotheeschelstraete.com

Timothée Schelstraete, Sans titre, 2018. Toner, acrylique et aérosol sur toile, 140 x 100 cm. Courtesy artiste et Galerie Valérie Delaunay Paris
Timothée Schelstraete, Sans titre, 2018.
Toner, acrylique et aérosol sur toile, 140 x 100 cm.
Courtesy artiste et Galerie Valérie Delaunay Paris
Timothée Schelstraete, Sans titre, 2018.  Toner, acrylique et aérosol sur toile, 140 x 100 cm.  Courtesy artiste et Galerie Valérie Delaunay Paris
Timothée Schelstraete, Sans titre, 2018.
Toner, acrylique et aérosol sur toile, 140 x 100 cm.
Courtesy artiste et Galerie Valérie Delaunay Paris
Timothée Schelstraete, Sans titre, 2018. Toner, acrylique et aérosol sur toile, 35 x 24 cm.  Courtesy artiste et Galerie Valérie Delaunay Paris
Timothée Schelstraete, Sans titre, 2018.
Toner, acrylique et aérosol sur toile, 35 x 24 cm.
Courtesy artiste et Galerie Valérie Delaunay Paris