VALENTIN VAN DER MEULEN, DEEP BLUE, GALERIE VALERIE DELAUNAY

VALENTIN VAN DER MEULEN, DEEP BLUE, GALERIE VALERIE DELAUNAY

Apparition/disparition

Habituellement Valentin van der Meulen réalise sur le papier des dessins au fusain et à la pierre noire dont il s’emploie à faire disparaître dans un second temps des éléments dans un jeu d’effacement et de disparition du motif ou du visage afin de nous rendre plus frappante leur présence. Dans cette nouvelle exposition à la galerie Valérie Delaunay, c’est au processus inverse qu’il invite. L’ensemble est conçu comme une grande installation constituée d’une gouttière qui court tout au long des murs de la galerie. Dans ce chéneau se trouve de l’encre bleue Waterman, la même que celle des stylos plumes, qui, par capillarité imbibe une trentaine de papiers buvards blancs sur lesquels il a préalablement dessiné. Le dispositif lui-même est révélateur de l’intention de l’artiste. Il intervertit le procédé de l’effacement par le geste de l’artiste qui gomme et efface, puisqu’ici il laisse l’opération se faire par elle-même. Il s’agit alors plutôt d’une altération de l’image produite par l’absorption de l’encre par le papier. Poreux, celui-ci boit doucement le bleu de l’encre fraîche qui envahit peu à peu comme par vagues la presque totalité de la surface. L’artiste laisse le temps agir, c’est lui seul qui reste maître de ce recouvrement de l’image selon les conditions atmosphériques et les mystères de ce phénomène de pénétration de l’encre dans le papier qui s’en trouve imbibé. L’objet ou le visage s’estompe au point de devenir à peine perceptible et peu lisible. Ce protocole de détérioration de l’image et du souvenir qui s’y attache n’est pas sans rappeler les travaux de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Tout particulièrement leur projet Faces de 2011 où ils photographiaient des images d’hommes morts tragiquement au Liban qu’ils nomment « martyrs » et dont les affiches recouvrent les murs des villes. Les artistes gardent en mémoire ces visages par la photographie prise à différentes étapes de leur disparition progressive. Ou encore, rappelle le projet d’Emeric Lhuisset réalisé en Iraq en 2010/11, J’entends sonner les cloches de ma mort, en hommage à l’étudiant Sardasht Osman dans son installation constituée de photographies tirées sur papier salé non fixé et collées dans l’espace urbain, disparaissant progressivement à la lumière du soleil.

Images du quotidien

Valentin van der Meulen glane dans les médias des images d’actualités :  migrants, traders, enfants, anonymes.  Images sans importance ou images immortalisées : l’artiste nous parle du désir d’arracher le souvenir d’un être humain à sa destruction et à l’oubli. Happés au passage, comme par inadvertance, ces fragments de la vie quotidienne  de Valentin Van der Meulen parlent également de notre société. Ses figures proviennent d’affiches aperçues dans le métro, de visages de gens croisés dans la rue ou découverts au hasard de la une d’un journal ou d’un coup d’œil à un documentaire télévisé ou encore sur le fil d’un réseau social, et sont retenues comme en un clin d’œil ou un cliché, fixés sur un papier buvard avant d’être à leur tour brouillées et envahies par l’encre qui vient les réduire à l’état de traces éphémères. Le but que l’artiste contemporain s’assigne est de hisser l’ordinaire au rang de l’universel. Depuis Marcel Duchamp et Robert Filliou, il s’arroge le droit de considérer sa vie mais aussi celle de tout être humain comme une œuvre d’art, selon la formule bien connue de Filliou: « l’art est un moyen de rendre la vie plus intéressante que l’art ! ». Si unique que soit l’individu, il ne se sent pas moins concerné dans ses pensées les plus secrètes par l’histoire de l’humain. Son présent individuel ne peut se concevoir qu’en tenant compte du passé collectif, qu’il ne peut oblitérer. C’est dans l’interstice entre l’individu et l’histoire qu’il rend compte du monde où il vit. Subjective par excellence, la mémoire qui se dit ne se livre pas totalement, elle conserve ses zones d’ombres, ses oublis volontaires ou non, ses périodes passées sous silence et se fait délibérément sélective. Dans ses choix, ses arrêts sur image ou ses amnésies, Valentin van der Meulen ne dit pas autre chose, ne rend perceptible que la mémoire personnelle confrontée à la mémoire collective où l’histoire croise l’Histoire.

Deep blue 

Etrangement dans l’univers des requins, Deep Blue est un requin blanc femelle connu pour sa taille extraordinaire, devenu une légende. Pour Valentin van der Meulen cette série évoque les eaux profondes, les vagues, le flux et le reflux de l’eau mais également du temps et d’une certaine façon la fragilité de la vision que peut nous offrir le numérique. Le pas vers le mythe est vite franchi. Parler de mythologie personnelle dans le domaine artistique revient à tenir compte des interrogations que pose l’artiste à la société dans laquelle il vit et qui le préoccupent. Notamment comme Valentin van der Meulen l’exprime avec de subtiles nuances par une attention au glissement dans la routine des formes du quotidien, aux phénomènes de visibilité des minorités, à l’habitude qui s’installe et fait s’émousser les réactions, à la toute puissance des images et paradoxalement souligne l’extrême obsolescence de celles-ci programmée à notre insu.

Isabelle de Maison Rouge, historienne de l’art

 

 

Valentin van der MEULEN
Né en 1979, à Lille.
Vit et travaille à Paris et Bruxelles.

www.valentinvandermeulen.com