YANN BAGOT

YANN BAGOT

Yann Bagot, Eaux vives
Installation dans une fontaine, deux dessins à l’encre de chine sur aluminium, 51 x 78 cm
Exposition en plein air dans le parcours de la Few 2018, Wattwiller
Courtesy et photo Yann Bagot

ENTRETIEN / Entretien avec Yann Bagot réalisé par Pauline Lisowski
préalablement publié dans la revue Point contemporain #15

« Dessiner dans un biotope préservé, c’est disparaître, observer, agir parmi une profusion de processus vivants. Cet atelier naturel donne de l’élan à mes expérimentations, met en mouvement mes dessins, m’aide à retrouver une pratique instinctive. »

Yann Bagot développe une pratique de dessin à partir d’expériences in situ au contact de la nature. Les paysages dans lesquels il travaille, l’amènent à prendre le temps d’expérimenter la relation de l’encre avec l’eau qui l’entoure. Ses séries de dessins peuvent donner naissance à des installations comme cet été à l’exposition Y croître au Centre d’art contemporain du Luxembourg Belge. Invité par Vanessa Gandar qui a récemment repris la direction artistique de la Galerie Octave Cowbell, Yann Bagot y présente À l’écoute des sources, une sélection de dessins inspirés par le cycle de l’eau créant un environnement capable de transmettre les sensations qu’il a éprouvées en dessinant. Une exposition qui s’inscrit dans la démarche de cette artiste et commissaire d’exposition, qui est de présenter des artistes qui interrogent la relation de l’homme à notre environnement.

Le commissariat du premier cycle d’expositions à la galerie qu’elle a intitulé a posteriori « La tempête des échos » s’est tourné vers de jeunes artistes, chercheurs et inventeurs, témoins dans leur pratique artistique de l’état de la relation que nous entretenons aujourd’hui avec la nature, les mondes du vivant et le cosmos. Par des oeuvres à la fois contemplatives et immersives, proches souvent du laboratoire de recherche scientifique, allant même jusqu’à créer des sciences-fictions pour évoquer un constat devenu réel, les artistes qui exposent dans cette « galerie où l’on entre par la fenêtre », nous proposent de faire l’expérience de regarder, d’écouter et de ressentir différemment notre paysage fait de mondes complexes. En partant d’une fascination pour les astres, d’une image d’une plante invasive, de données sur la hauteur des marées ou encore d’une collection de noirs de carbone, ils font de cas particuliers une manière sensible d’aborder des enjeux universels, des questionnements environnementaux et le devenir du vivant. Ces artistes nous amènent à éveiller nos esprits, notre curiosité, et à nous questionner sur nous-mêmes et sur notre manière de vivre dans le monde.

Pauline Lisowski : Comment ta relation et ton immersion au contact des éléments naturels nourrissent ta pratique artistique ?

Yann Bagot : Souvent, des contraintes fortes me plongent dans une urgence personnelle qui génère des solutions inattendues, à l’image des lieux. L’accident fait irruption dans mes dessins, les terrains portent leurs empreintes et bousculent mon désir de « bien faire » qui souvent ne trace que l’apparence formelle du paysage. Dessiner au plus près de la marée montante, à la nuit tombante, sous la pluie, ou sous la neige : ces contraintes activent des choix radicaux, ouvrent des voies imprévues.
Ces instants d’urgence sont souvent des déclencheurs, mais c’est surtout le temps qui permet de m’imprégner des lieux : le territoire se révèle avec patience et présence.

Quel est pour toi l’enjeu de travailler avec l’eau comme environnement et matière pour tes oeuvres ?

C’est en dessinant en plein air que l’eau a changé de statut dans mon travail ; en laissant agir la pluie sur mes dessins, en les plongeant dans la mer, dans les rivières, l’eau du paysage est passée de sujet à médium.
Le cycle de l’eau reste une source d’émerveillement perpétuel. L’observation assidue de ses transformations ont donné lieu à plusieurs séries qui s’attachent à des aspects spécifiques : la course fugitive de l’eau dans la montagne, les mouvements de la mer, la disparition de l’immensité glaciaire, …
L’idée de l’eau révélatrice m’intéresse. Bain révélateur, elle transforme l’oeuvre lors de sa conception, mais également devient élément scénographique qui active le dessin.
L’installation Eaux vives (2018) présente deux dessins aluminium dans l’eau d’une fontaine, en extérieur. Soumis au débit de l’eau et aux mouvements de la lumière, l’oeuvre ne s’offre jamais identique au spectateur.

Tes dessins prennent parfois la forme d’une installation. De quelle manière le lieu t’amène-t-il à faire découvrir l’environnement extérieur à l’intérieur ?

Tout comme je m’imprègne des grands espaces où je dessine, la découverte d’un lieu d’exposition et de son histoire est source de nouvelles oeuvres et de manières de les montrer. Par exemple, c’est la rencontre avec la crypte romane de l’église de Wattwiller qui m’a inspiré l’installation Cartographie d’une cascade (Few, 2018). De même, l’installation Une forêt, une rivière, une forge, réalisée à l’occasion de l’exposition Y Croître en juillet 2019, au CACLB, est inspirée par l’histoire du lieu, où une forge médiévale était activée par la rivière et alimentée en charbon par la forêt environnante. Dix dessins réalisés sur place en résidence, face à la rivière, s’assemblent et suivent le tracé de l’eau qui court quelques mètres en dessous. Ce qui compte pour moi, dans ces installations immersives, c’est de partager avec le visiteur les impressions qui me traversent en découvrant ces sites singuliers.

Tu es membre d’un collectif de dessinateurs et travailles parfois avec d’autres plasticiens à la conception d’oeuvres.
Comment cette pratique enrichit-elle ta création personnelle ?

J’aime bien basculer d’un contexte de création à l’autre, aller vers d’autres formations, me confronter à d’autres rythmes de dessin. Au sein du collectif Ensaders, avec Nathanaël Mikles et Kevin Lucbert, je libère des idées et des formes qui ne trouvent pas de place dans mes recherches personnelles. Plusieurs fois par an, lors de résidences, nous dessinons simultanément et mélangeons nos traits sur la même feuille, pour faire apparaître des univers foisonnants et décalés, inspirés par les contradictions, les excès et les merveilles du monde d’aujourd’hui. Nourris par l’expérimentation, nos dessins jouent avec différents vocabulaires graphiques, empruntant à la bande dessinée, à l’illustration, autour de thèmes qui nous amusent ou qui nous révoltent.

Je poursuis également une collaboration artistique avec le vidéaste Didier Legaré-Gravel. En manipulant mes dessins à l’encre de chine comme matière première, il crée des vidéos hypnotiques, inspirées par les visions abyssales (Bathysphères, 2018), ou l’observation du flot marin (Tempestaire, 2019). La musique est composée par des musiciens qui improvisent face aux images, dans l’idée de concevoir des oeuvres immersives. Ces collaborations sont autant d’échanges qui augmentent les terrains de jeux, étendent les possibilités de la création.

D’où vient le titre de l’exposition, À l’écoute des sources ? Tu présentes un ensemble de différentes oeuvres chacune évoquant l’eau. Quelle atmosphère veux-tu créer dans l’exposition ?

Le nom de l’exposition À l’écoute des sources vient de la lecture du livre de François Cheng, Le vide et le plein, le langage pictural chinois (Éditions Seuil, 1979), de l’idée d’ubiquité mentale du peintre dans le paysage. Avec la commissaire de l’exposition, Vanessa Gandar, nous avons choisi de rassembler des oeuvres incarnant différents territoires de l’eau : glaces, flux de rivières, eaux souterraines, flots de la mer, abysses marines.

« La galerie devient un cabinet de perception de spectacles naturels lointains où les transformations de l’eau entrent en dialogue. »

Dans chaque oeuvre, l’action de l’homme est sous-jacente, elle agit hors champ de l’image : accélération de la fonte glaciaire (Titans, 2015), irréversibilité de la pêche en eaux profondes (Extractions, 2017), surveillance de la mer et protection des marins (, 2019), usage de l’énergie hydraulique (Une forêt, une rivière, une forge, 2019). Mes dessins évoquent les enjeux qui façonnent et mettent en péril ces spectacles naturels, expériences du proche (littoral, rivières européennes) ou images du lointain. Les différences entre les formats sont des jeux de surprises et d’expérimentation : composition circulaire murale, installation de dessins au sol, dessins en série au mur.

Quelle relation avec la science et les phénomènes naturels proposes-tu au travers de tes oeuvres ?

Ma fascination pour les sciences naturelles est toujours présente dans mes recherches. L’exploration océanographique m’a toujours attiré. Par mes dessins, nourris de protocoles dans lesquels je laisse agir la nature, je cherche à saisir comment fonctionnent les phénomènes, les écosystèmes, en fonction des paramètres de mon environnement. Selon les contextes, en plein air, ou en atelier, je cherche à me relier à la nature qui m’entoure, ou explorer le lointain, l’inaccessible. Au fond, je cherche à communiquer avec la nature, à éprouver son unité profonde.

YANN BAGOTBIOGRAPHIE

Né en 1983
Vit en région de Fontainebleau, travaille à Montreuil
Diplômé de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Paris (Ensad) en 2008

www.yannbagot.com
www.ensaders.fr

ACTUALITES
http://agenda-pointcontemporain.com/tag/yann-bagot/

Yann Bagot, Là, 2019 Installation circulaire formée de 24 dessins à l’encre de chine, 140 cm de diamètre Où le regard s’arrête, exposition personnelle Sémaphore de la Pointe du Grouin, avril 2019 Courtesy et photo Yann Bagot
Yann Bagot, , 2019
Installation circulaire formée de 24 dessins à l’encre de chine, 140 cm de diamètre
Où le regard s’arrête, exposition personnelle Sémaphore de la Pointe du Grouin, avril 2019 Courtesy et photo Yann Bagot
Yann Bagot, Une forêt, une rivière, une forge, 2019 Installation de dix dessins à l’encre de chine sur papier, 330 x 110 cm Exposition collective Y Croître, CACLB, Montauban-Buzenol Courtesy et photo Yann Bagot
Yann Bagot, Une forêt, une rivière, une forge, 2019
Installation de dix dessins à l’encre de chine sur papier, 330 x 110 cm
Exposition collective Y Croître, CACLB, Montauban-Buzenol
Courtesy et photo Yann Bagot
Yann Bagot, Titan #01, 2017 Encre de chine sur papier, 50 x 65 cm Courtesy et photo Yann Bagot
Yann Bagot, Titan #01, 2017
Encre de chine sur papier, 50 x 65 cm
Courtesy et photo Yann Bagot
Yann Bagot, Cascade du Siehlbaechle, 2018. Encre de chine sur papier, 76 x 56 cm Travail in situ en résidence à Wattwiller, invité par la FEW et accueilli par la Fondation François Schneider Courtesy et photo Yann Bagot
Yann Bagot, Cascade du Siehlbaechle, 2018
Encre de chine sur papier, 76 x 56 cm
Travail in situ en résidence à Wattwiller, invité par la FEW et accueilli par la Fondation François Schneider
Courtesy et photo Yann Bagot