ZINES OF THE ZONE

ZINES OF THE ZONE

ENTRETIEN / Julie Hascoët fondatrice de Zines of the Zone et Martin Payot 

Né dans les années 70 à partir de l’illustration, le fanzine est devenu dans le début des années 2000 le vecteur privilégié de la culture skate et d’une imagerie Life style qui allait conquérir tous les continents. Son développement dans l’ouest de l’Europe a connu un essor considérable dans les années 2010, répondant à un besoin, notamment pour les photographes, de promouvoir leurs travaux dans un contexte économique où le milieu de l’édition était saturé. Un médium pouvant prendre toutes les formes, avec la particularité de rester au plus près de son sujet, d’en être même une sorte d’émanation, voire de prolongement. La création en 2012 de Zines of the zone par Julie Hascoët et Guillaume Thiriet répond au besoin de répertorier mais aussi de donner plus de visibilité aux productions de fanzines partout en Europe sous la forme d’une bibliothèque nomade et d’un site internet. Une initiative qui rend compte d’une réelle effervescence et d’une créativité qui méritent d’accéder à une plus large diffusion.

Zines of the zine- Passerelle Brest
Zines of the zone- Passerelle Brest

Julie Hascoët pourrais-tu nous raconter comment a commencé le projet Zines of the zone ?

Nous sommes deux à l’origine du projet, Guillaume (Thiriet) qui étudiait la photographie à Louis Lumière et moi-même qui étais étudiante à l’École de photographie d’Arles. À cette période, entre 2009 et 2012, le phénomène du fanzine photo était apparu en 2005 aux US comme dérivé de la scène skate, et s’est répandu partout dans l’ouest de l’Europe. Le fanzine servait alors de support pour véhiculer des images liées à la culture skate, mais proposait également du portrait, du paysage, des scène de vie, quelque chose de très lifestyle. Beaucoup de gens ont commencé à s’inspirer de cette imagerie et à composer des objets similaires, se détachant progressivement de la culture skate pour aborder finalement le fanzine comme un support pour des photographies, d’une manière de plus en plus artistique, jusqu’à interroger le fanzine comme medium à part entière. 
Ce mouvement de l’auto-édition photo avait comme héritage la pratique du fanzine telle qu’elle existait depuis le début des années 1950 puis son retour dans les années 70 (qu’il soit politique, de musique, de bande-dessinée, de science-fiction) et la pratique, moins populaire et plus cloisonnée, du livre d’artiste. Depuis peu, on observe un basculement du fanzine qui n’est plus seulement un support (qui diffuse un contenu ou une information) mais un objet artistique à part entière. Nous avons observé ce cheminement, et constatés que des sites Internet répertoriaient ces productions mais qu’il demeurait quasi- impossible de les voir physiquement. De même, il exist ait très peu de librairies qui accueill ai ent de l’auto édition et quand c’ était le cas, les tirages (étant souvent en faible quantité), se vend ai ent très vite. Maintenant que beaucoup de gens font de l’édition, qu’il existe de nombreux événements partout en Europe. On ne peut assister à tous. 
Nous avons pensé à créer une plateforme pour les répertorier et créer une bibliothèque nomade pour les faire connaître du public. Nous avions 22 ans à l’époque, un diplôme en poche avec ce sentiment qu’à cet âge on n’a pas grand-chose à raconter parce qu’on n’a pas encore expérimenté ce que la vie pouvait offrir, et nous nous sommes lancés pleinement dans ce projet avec l’idée de monter une bibliothèque sans l’inscrire dans un lieu précis.

Un projet qui a très vite suscité un vif intérêt !

Un succès qui est en partie dû à l’intérêt croissant pour ce médium. Nous avons commencé le projet en 2012 et un an plus tard nous décidions de faire une tournée en Europe pour rencontrer les gens qui pratiquent le fanzine. Nous avons commencé à faire des salons consacrés à l’édition pour parler du projet et récolter de table en table des fanzines qui allaient constituer le fonds, puis nous avons commencé par lister les gens que nous connaissions, les éditeurs et lieux qui les promouvaient et leur avons envoyé un mail pour les prévenir de l’arrivée d’une bibliothèque de fanzine dans leur ville et leur avons demandé s’ils voulaient eux-mêmes alimenter le fonds que nous étions entrain de constituer. Partant de rien, nous avons organisé notre circuit en fonction des réponses. Les gens ont très bien réagi, nous envoyant leur exemplaire ou nous l’apportant quand nous étions dans leur ville. En janvier 2014, nous sommes partis en tournée avec 250 livres, nous en avions à la fin de la tournée 800 et maintenant le fonds en référence 2000 .

Zines of the zine- La semencerie Strasbourg
Zines of the zone- La semencerie Strasbourg

Le fanzine s’est développé de manière uniforme en Europe ?

Avant d’envisager son développement de manière géographique, le fanzine est avant tout lié à un phénomène de milieux : il est particulièrement présent dans la scène squat, anarchiste, dans le milieu du skate, du graffiti, de la teuf ou du punk hardcore. Pour ce qui est du fanzine comme objet artistique tel qu’on le voit se développer depuis le milieu des années 2000, c’est autre chose. En effet, certaines villes sont des pôles importants où la culture du zine artistique a explosé. En Allemagne, il a connu un essor considérable. Aussi quand nous avons présenté la bibliothèque à Urban Spree à Berlin et que nous avons parlé du projet, nous avons eu le sentiment que beaucoup d’initiatives similaires existaient déjà. En revanche dans des villes comme Prague, Bratislava ou Sophia qui sont des villes qui ont des scènes artistiques très actives, nous avons constaté qu’en 2014, peu d’événements étaient consacrés au fanzine bien que beaucoup d’artistes utilisaient ce format. Nombreux sont venus nous amener leur production.

Que révèle cette vitalité du fanzine qui s’épanouit hors du circuit traditionnel de l’art contemporain ?

Nous avons créé la bibliothèque en 2010 en pleine période de crise. Dans ce contexte difficile, il n’y avait plus trop d’argent consacré à la culture. Étant étudiants, nous nous demandions comment nous allions faire sachant que le système de l’édition traditionnelle était verrouillé et qu’il fallait mettre beaucoup d’argent sur la table pour éditer un livre photo quand bien même l’éditeur acceptait le projet. Le seul moyen pour éditer était de tout faire soi-même, de mutualiser les outils, de travailler sans moyens en utilisant cette esthétique de la crise pour façonner des objets qui forcément sont un peu plus vibrants, un peu plus intéressants parce qu’ils portent en eux tout ce qui se passe dans la société. Ils ne sont pas là que pour porter un discours, par leur format, le papier, le contenu transversal pouvant être tout autant de la photo documentaire, des textes, des graffitis, ils expriment complètement cet état de la société.

Comment à évolué le fanzine face au développement de réseaux sociaux liés à l’image comme Instagram ou Tumblr ?

Le développement des réseaux a changé la donne. La production d’imprimés est moins spontanée, elle est plus aboutie, travaillée. Cela s’est ressenti dans le milieu du graffiti où le fanzine a été longtemps utilisé pour garder en images les interventions dans la rue appelés à un moment ou à un autre à disparaître, cela en préservant leur anonymat. Le format papier indépendant reste intéressant parce qu’il se situe entre les réseaux et les magazines qui sont eux devenus les supports marketing des grandes marques de la culture street et qui ne relaient pas du tout les scènes alternatives. Ce qui est intéressant dans le fanzine, est qu’il est entièrement créé par les artistes, du contenu à la maquette. Il est important que persiste une authenticité qui passe par la culture du do it yourself, afin que le fanzine ne dérive pas comme cela a été le cas pour ceux axés sur la photographie, vers le catalogue ou l’édition de luxe qui répondent aux codes du marché de l’art.

Zines of the zine- Prague 2014
Zines of the zone- Prague 2014

Quelles sont les conditions pour qu’une création puisse intégrer la bibliothèque de Zines of the zone ?

La publication doit être indépendante / faite-maison / auto-éditée. Il est assez difficile de définir clairement où commence et où s’achève la notion d’indépendance. Nous refusons les ouvrages qui contiennent de la publicité, nous n’acceptons pas l’édition traditionnelle, mais nous pouvons accepter des ouvrages publiés par des maisons d’édition au fonctionnement associatif et à but non-lucratif, nous avons également déjà accepté des livres auto-édités pour lesquels les artistes avaient demandé et obtenu une aide d’une institution publique (dans ce cas, ils n’étaient pas exactement auto-financés). La publication doit contenir de la photographie. Enfin, il ne doit pas s’agir d’une maquette, elle doit réellement exister comme multiple.

« La création d’un fanzine relève d’un geste très spécifique, spontané, qui contient la nécessité du faire sans pour autant demander un temps de conception trop long ni des coûts trop importants. » Julie Hascoët

Comment a évolué le fanzine depuis 2012 ?

Son évolution est importante. Le fonds est riche de livres dont certaines formes sont plus abouties et élaborées, aux reliures ou aux plis plus complexes. Comme on le précisait plus tôt, le fanzine est passé de l’état de simple support à celui d’objet à part entière. L’intérêt n’est plus seulement porté sur le contenu, mais aussi sur le contenant : une vraie recherche autour de la forme se met en place. Les artistes s’attachent à travailler davantage les reliures, les maquettes, le papier, la narration . Dans le domaine de l’auto-édition photo – et cela va au-delà de la culture du zine, mais plus globalement du livre auto-édité – le design graphique et l’attention portée à l’objet sont de plus en plus poussées.  
Mais heureusement aussi, la production de fanzine traditionnel, fait sans ordinateur, à la photocopieuse, avec des collages de photos découpées dans de vieux livres, continue encore. Une manière de faire assez brute qui peut donner un fanzine très beau et poétique. 

Avez-vous des des lieux privilégiés dans lesquels vous présentez le fonds ?

Notre volonté est de présenter la bibliothèque tout autant dans des institutions que dans des lieux alternatifs. Nous ne voulons pas que Zines of the zone soit identifié à un milieu ou un autre mais qu’il puisse vraiment proposer une démarche transversale. Le terme « zone » renvoie à une neutralité mais aussi à un espace non figé et non définitif. La tendance à la sectorisation empêche souvent les projets de se déplacer, c’est dommage. Une transversalité qui se retrouve aussi dans la programmation car souvent une présentation de la bibliothèque répond à une invitation lors d’un événement qui peut être musical, une performance ou tout autre. Parfois c’est nous qui invitons. Une manière de partager les énergies et aussi de diminuer les coûts. Nous fonctionnons beaucoup sur le principe de la tournée, basculant d’un univers à un autre, d’une ville à une autre.

Zines of the zine- Millefeuilles Nantes 2014
Zines of the zone- Millefeuilles Nantes 2014

Quel est votre dispositif de présentation ?

Nous avons juste la volonté de sortir du format de la table et de proposer un dispositif ergonomique dans la présentation. Au Centre d’art Passerelle à Brest le mobilier triangulaire était assez imposant tandis qu’à Cosmos à Arles nous avons présenté les fanzines sur des mini étagères qui ne permettaient que la présentation de mini fanzines. À Berlin, nous avons présenté les fanzines sur de petits meubles en forme d’accordéon qui nous ont servi sur une centaine de dates et que l’on a eu envie de renouveler. Il nous arrive parfois hors de la tournée, quand on est en balade, de présenter la bibliothèque. Nous avons pour cela toujours avec nous une installation portative.

Peut-on acquérir les fanzines que vous présentez ou répertoriez sur votre site ?

Nous ne vendons pas les fanzines car le but n’est pas qu’ils se retrouvent sur l’étagère d’un collectionneur, parce ce que cela les rendraient invisibles. Nous faisons uniquement un travail d’archivage et de présentation. Avant de recueillir notre premier fanzine nous avions déjà préparé le formulaire de dépôt. Nous numérisons la couverture et détaillons les informations le concernant sur le site afin que les internautes puissent le commander par mail directement à l’auteur. Les contacts ne concernent pas uniquement des achats mais aussi des rencontres ou des collaborations. Un outil qui permet aussi de faire des invitations aux artistes.

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