A period room – Christoph Gossweiler, Olivier Mosset, Camille Besson, Raphaël Rossi, Maxime Testu – Atelier B, Marsannay-la-Côte [EN DIRECT]

A period room – Christoph Gossweiler, Olivier Mosset, Camille Besson, Raphaël Rossi, Maxime Testu – Atelier B, Marsannay-la-Côte [EN DIRECT]

Dans une period room, il n’y a pas d’ordinaire d’art contemporain. Il n’y a même parfois ni peinture ni sculpture, comme, par exemple, dans le salon du château de Cartigny (fin XVIIIe siècle), reconstitué au Musée d’art et d’histoire de Genève dans le seul but de montrer des meubles et des objets d’époque dans le décor des boiseries de l’ébéniste Jean Jaquet. Quand une institution de l’art contemporain comme le Palais de Tokyo s’empare du concept en 2014, c’est pour accueillir les oeuvres de « créateurs » à l’occasion d’une journée européenne des métiers d’art et, selon un jargon passe-partout, pour y réévaluer les objets et les usages de notre quotidien (sic).

A period room se détourne de cet usage muséographique et déforme le concept en lui faisant faire une sorte de twist, par anachronisme et distorsion stylistique. Camille Besson, Raphaël Rossi et Maxime Testu souhaitaient revisiter le concept de « studio sculpture » avec un environnement pictural. Nous leur avons proposé de réaliser l’expérience en confrontant leurs sculptures de 2017 à des monochromes d’Olivier Mosset et Christoph Gossweiler de 1980 et 1981.

Les Archives modernes

A studio sculpture

Les sculptures que nous montrons on été placées en regard d’oeuvres que l’on peut déjà qualifier d’« historiques », même si leurs auteurs sont encore vivants. Le cadre de la period room, ici, n’est pas décoratif et mobilier mais pictural, un environnement qui se réduit en l’occurrence à deux peintures de 1980 et 1981, particulièrement remarquables : deux grands monochromes respectivement d’Olivier Mosset et de Christoph Gossweiler.

Le choix est de situer nos sculptures non seulement dans l’espace temps d’une autre génération, mais aussi dans un cadre formellement très différent. Une sorte d’expérience. L’expérience, du reste, pourra se poursuivre avec d’autres types de confrontation : musicale par exemple…

Ce ne sont donc pas les noms au mur qui priment, même si leur effet est indéniable. Au-delà de l’écart historique et formel, il y a aussi la présence massive de ces monochromes, leur picturalité, la texture de leur surface, l’efficacité propre de la quantité de couleur offerte sur les murs blancs, leur aptitude à créer un fond qui rende visible les sculptures.

La « confrontation avec » est le destin de la sculpture. Les sculptures publiques doivent prendre en compte un certain nombre de facteurs, faire face à l’adversité. Elles ne gagnent pas toujours à ce jeu, comme quand, sur un rond-point, elles doivent affronter la concurrence de mats d’éclairage et de panneaux de signalisation routière. Une telle lutte, inégale, se solde souvent par un échec.

Isamu Noguchi qualifiait de « studio sculpture » le type de solution qu’il a imaginé pour le Billy Rose Sculpture Garden de l’Israel Museum, terminé en 1965. Certaines des sculptures à mettre en scène étaient de petites tailles, a priori plutôt des sculptures d’intérieurs, dépourvues de cette échelle monumentale qui sied aux espaces extérieurs. Pour pallier ce défaut, Noguchi a placé des murs derrière lesdites sculptures, des murs qui recadrent le regard, rassurent par leur échelle humaine et restituent une certaine intimité.

Pour A Period Room, les deux peintures d’Olivier Mosset et Christoph Gossweiler constituent l’environnement des sculptures et, telles un paysage, leur donnent une échelle. Une peinture de chevalet apaise d’ordinaire le regardeur en lui donnant un élément générique reconnaissable. Ici, les peintures en tant que fond jouent un tout autre rôle. Leurs dimensions inhabituelles ne permettent pas une mesure efficace de la sculpture. La confrontation est bien moins rassurante !

Camille Besson, Raphaël Rossi et Maxime Testu, 11 août-8 septembre 2017

Deux notes

Notes sur deux monochromes

La peinture d’Olivier Mosset – sans titre, 1980, acrylique sur toile, 7 x 21’ (213,36 x 640,08 cm) –, est un monochrome rouge qui été montré pour la première fois à C Space, à New York, en 1980, lors d’une exposition personnelle de l’artiste. Elle fut jointe en 1986 aux toiles néo-géo composant son exposition One Step Backwards, au Centre d’art contemporain de Genève, (27 janvier-15 mars – dans une salle séparée) et à la Villa Arson, la même année (30 avril-29 juin). Nous l’avons remontrée à l’entrepôt 9, à Quetigny, l’an dernier, dans le cadre de l’exposition Tous les tableaux sont à l’envers. Selon Olivier Mosset, il y a deux autres toiles rouges, de ce format triple carré : l’une de ces deux toiles, appartenant alors à Mark Hostettler, a figurée en 1988, dans la grande exposition du musée de Lyon, La couleur seule, le monochrome – passée dans la collection Richterich (Ricola), elle est actuellement en dépôt au Kunstmuseum de Lucerne ; l’autre (anciennement collection Jacques Schaer), réapparue sur le marché en 2015, est au Musée cantonnal des beaux-arts de Lausanne. Ces deux autres toiles sont postérieures.

La peinture de Christoph Gossweiler – sans titre, 1981, acrylique sur toile, 144,5 x 912 cm – est un monochrome bleu, de même hauteur et longueur que le Bluebird CN7 de Donald Campell (voiture mythique destinée à battre le record du monde de vitesse sur terre, 1960-1964). Ce monochrome, montré pour la première fois lors de l’exposition Amaretti, Gossweiler, Herzog, Nussbaum, à l’Aargauer Kunsthaus, du 14 août au 20 septembre 1981 avait un frère, de longueur et de largeur identique au même véhicule, un frère qui, lui, était étalé à la même époque sur le toit d’une annexe de Fri Art, à Fribourg, avec un cartel dans le style d’un panorama touristique. Acheté par Jean Brolly sur photographie, le monochrome d’Aarau n’avait jamais été remontré avant l’exposition Abstraction extension, une scène romande et ses connexions II, à la fondation Salomon, à Alex (74), du 5 juillet au 2 novembre 2008. Dans la documentation du Freistillmuseum qui l’accompagne, on remarque un article sur le record de Campell publié dans la livraison 798 de Paris-Match (25 juillet 1964) – signé de Serge Lemoine !

Ces peintures de grand format sont d’ordinaire conservées roulées. La toile de Mosset est tendue pour la quatrième fois, celle de Gossweiler, pour la troisième. Elles témoignent des aventures du monochrome aux alentours de 1980, au croisement des scènes suisse et new-yorkaise.

La vogue du monochrome, dans les années 1970 existe déjà ; les qualificatifs de peinture fondamentale ou analytique étant tour à tour avancés. Marcia Hafif s’inscrit dans ce courant, mais le texte « Beginning again » qu’elle signe en 1978, dans la livraison automnale d’Artforum, marque un tournant. Elle y fait le bilan d’une période marquée par la déconstruction et l’analyse des différents paramètres constitutifs de la peinture et annonce une nouvelle phase « synthétique ». Ce texte, remarqué par Olivier Mosset, est à l’origine de la réunion d’une sorte de groupe, et de discussions dont certaines seront publiées dans Flash Art ou Cover, puis de deux expositions en 1983 et 1984, dont la plus connue est Radical Painting (Williamstown, 3 mars-22 avril 1984).

Marcia Hafif a alors déjà réalisé des monochromes monumentaux. Le premier, Grayed Cobalt Blue (en trois parties), aux proportions des Nymphéas de Monet, du Moma (200 x 424.8 cm), est disposés en courbe à la galerie Sonnabend, à New-York, en 1975, un dispositif architectural qui rappelle la scénographie des Nympheas de l’Orangerie, à Paris. Un second, Ultramarine Blue, est montré la même année dans les locaux parisiens de la même galerie et couvre toute la longueur d’un mur.

Pour la Biennale de Paris de 1977, Mosset a déjà réalisé un monochrome rouge qui conserve cependant les traces au crayon de bandes verticales ; il est aux dimensions du mur (300 x 610 cm). C’est le précurseur d’un grand monochrome rouge « 300 x 600 cm, de 1978, qui, lui aussi, a eu des variantes assez proches, comme celui du Kunstmuseum de Berne (1981), et celui de la galerie Susanna Kulli (1983).

Cette même année 1977, Christoph Gossweiler présente des carrés monochromes formés de trois bandes verticales pour les bourses fédérales à Lausanne. Dans une exposition au Portugal (22 Artista Suiço, Belém, 10 octobre-9 novembre 1980), il figure une autre oeuvre liée à la couleur de voitures : quinze monochromes de petit format, renvoyant à la projection de quinze diapositives de voitures de course de mêmes couleurs, les vues ayant été prises au circuit de Dijon-Prenois. Nous l’avons remontrée dans le cadre de Abstraction étendue – une scène romande et ses connexions, à l’Espace de l’art concret, Mouans-Sartoux (10 février-25 mai 2008).

La même année que son exposition personnelle à C Space, Mosset y organise une exposition de peintres suisses amis, Armleder, Federle, Gowssweiler (21 septembre-4 octobre 1981). Le carton d’invitation reproduit une vue en couleur du Cervin. « Gossweiler est représenté par une oeuvre téléphonée et réalisée par ses collègues : le travail est composé de cartons bleus et de cartons blancs exposés avec des posters de voiture de courses. Il expose également un “livre” avec des pages de couleur “brique” en rapport avec l’espace lui-même… »

Le monochrome a en soi son propre dépassement. Dans la documentation du Freistilmuseum accompagnant le monochrome d’Aarau figurait une carte postale de pin-up ; la vue du Cervin, distrayante ou le motif de départ des voitures de Gossweiler annoncent un art de l’appropriation, sachant observer, collectionner, prélever, pour en tirer des motifs formels.

En 1983, Mosset dira déjà qu’il en a « assez de cette peinture fondamentale », annonçant en cela son virage néo-géo. Il redonnera des titres à ses peintures… Mais c’est déjà une autre histoire.

Notes sur trois sculptures

Camille Besson, Maxime Testu et Raphaël Rossi partagent (avec d’autres artistes) l’atelier du Marquis à l’Île-saint-Denis. Ils y ont déjà co-organisé deux expositions : La Ronde (17 février 2017), et

Ristretto (23 juin 2017), Ils ont aussi en commun une approche décomplexée de la sculpture qui se passe de tout alibi conceptuel. C’est de la fabrication d’atelier, point. Assemblages grossiers, serrages apparents, placages à peu près, rivets de travers et serre-cables incertains, le tout avec un brin de sauvagerie. Y aller carrément. Ils lorgnent du côté de la Côte Ouest peu soucieux de l’héritage hexagonal, quitte à revisiter des poncifs : acier soudé et art de l’assemblage.

Les sculptures de Maxime Testu semblent échappées de Game of Throne : épée gothique, objet dangereux, maquette de quelque mystérieux monument, trophée-récompense de quête initiatique. Avec une once de participation imaginaire : l’arme étant potentiellement disponible à la manipulation. Au final l’objet s’inscrit comme une sombre idéographie sur fond monochrome de couleur.

Raphaël Rossi et Camille Besson puisent dans le même stock de boulons. Ils mettent aussi en jeu des éléments qui transitent de sculpture en sculpture : auto-recyclage. Raphaël Rossi suspend une sculpture de tôle pliée peinte, auparavant accrochée au mur. Portique monté sur place avec moult cables inutiles. Objet désaffecté, en attente. La sculpture jaune condense des images mêlées de banc de jardin, de scorpion et de Marsupilami. Principe d’équivalence : — Pourquoi des tubes jaunes ? — ils auraient pu être rouge.

Les placages de bois et de métal de Camille Besson conservent le souvenir dessiné de projets antérieurs. Les formes découpées, quoique tracées manuellement, semblent avoir été dessinées au perroquet. L’anthropomorphisme n’est jamais loin : le double chevalet supporte un double « gisant », l’autre est une figure « debout ». Marabout-de-ficelle.

Ces six sculptures ne ressemblent à rien, et l’on peu y projeter beaucoup de chose. Lâcher prises, laisser faire, sans retenue. La disposition est volontairement des plus convenues. Une ponctuation de l’espace en quinconce. Refus de l’installation, pont aux ânes de la sculpture contemporaine. Même pas l’excuse de la citation ou de l’allusion cultivée. Pas de déni de la sculpture pour autre chose. En dépit de toutes les tables rases et de toutes les déconstructions. Sans oublier cependant que ces dernières ont eu lieu. OEuvrer après, en avant.

Louis Chatel

Infos pratiques

A period room
Atelier B,

12 rue Moreau, 21160 Marsannay-la-Côte
Ouverture : 9 septembre 2017, 11h-18
Ensuite sur RV, les fins de semaine, jusqu’au 11 novembre

Contact : 06 08 62 57 01

Olivier Mosset
Né en 1944 à Berne.
Vit et travaille à Tucson (Arizona).
Représenté par la galerie Caratsch, Zurich.

Christoph Gossweiler
Né en 1950 à Hüttlingen.
Vit et travaille à Strengelbach (Argovie).
Représenté par la galerie Hubert Bächler, Zurich.

Raphaël Rossi
Né en 1988, à Dijon.
Études à l’ESAD de Reims (Master 2015).
Vit à Paris.

Camille Besson
Né en 1990 à Nîmes.
Études à la HEAD, Genève (master, 2016).
Vit à Paris.

Maxime Testu
Né en 1990.
Études aux Beaux-arts de Lyon (DNSEP, 2014) et à la HEAD, Genève (master 2016).
Vit à Paris.

De gauche à droite : Raphaël Rossi Too lazy to leave the house (2017), Olivier Mosset Sans titre (1980), Maxime Testu Les épées (4) (2017). Photo : Marielys Lorthios
De gauche à droite : Raphaël Rossi Too lazy to leave the house (2017), Olivier Mosset Sans titre (1980), Maxime Testu Les épées (4) (2017). Photo : Marielys Lorthios

 

De gauche à droite : Christoph Gossweiler Sans titre (1981), Raphaël Rossi Banc (2017), Camille Besson A ten minutes break (2017). Photo : Marielys Lorthios
De gauche à droite : Christoph Gossweiler Sans titre (1981), Raphaël Rossi Banc (2017), Camille Besson A ten minutes break (2017). Photo : Marielys Lorthios

 

De gauche à droite : Maxime Testu, Christoph Gossweiler Sans titre (1981), Raphaël Rossi Banc (2017), Camille Besson A ten minutes break (2017). Photo : Marielys Lorthios
De gauche à droite : Maxime Testu Les épées (3), 2017, Christoph Gossweiler Sans titre (1981), Raphaël Rossi Banc (2017), Camille Besson A ten minutes break (2017). Photo : Marielys Lorthios

 

De gauche à droite : Raphaël Rossi Too lazy to leave the house (2017), Maxime Testu Les épées (4) (2017). Photo : Marielys Lorthios
De gauche à droite : Raphaël Rossi Too lazy to leave the house (2017), Maxime Testu Les épées (4) (2017). Photo : Marielys Lorthios