AU BORD DE L’ÂGE ADULTE, PLEIN JEU #2 AU FRAC CHAMPAGNE-ARDENNE

AU BORD DE L’ÂGE ADULTE, PLEIN JEU #2 AU FRAC CHAMPAGNE-ARDENNE

Le Frac Champagne-Ardenne accueille à l’occasion de l’exposition  Plein Jeu #2, Camille Besson, Raphaël Rossi, Maxime Testu et Victor Vaysse, quatre artistes, tous nés entre 1988 et 1990. Une nouvelle occasion pour ces membres de l’artist-run space Le Marquis d’exposer leurs réalisations ensemble quelques mois après l’invitation de Neïl Beloufa au Vingtième Prix Ricard à la Fondation d’entreprise Ricard où ils avaient présenté Has been, hélas. Portés par cette expérience à se produire collectivement, ils ont émis le souhait de développer dans l’exposition  Plein Jeu #2 une proposition autonome mettant l’accent sur la notion d’expérimentation. Une idée de prospection qui répond complètement à l’ambition du Frac qui a fait le choix d’offrir aux artistes un espace d’expression en se plaçant dans la perspective de leur recherche. Une liberté dont ils ont su pleinement profiter avec  Au Bord de l’âge adulte un titre qui, pour reprendre les mots de la directrice du FRAC et commissaire de l’exposition Marie Griffay, « nous transmet ce sentiment de flou, d’incertitude, de positionnement. »

Les propositions de Camille Besson, diplômé de la HEAD de Genève, traduisent cette idée d’indécision qui passe par des changements de supports, des tentatives pouvant se muer dans une nouvelle inflexion en tout autre chose. Ils décrit ses réflexions comme des allers-retours entre des espaces dissociés que sont un atelier et un chez-soi. Ainsi, il a commencé par faire la copie de la table basse de son salon en lui donnant le statut de socle pour présenter « une autre pièce » qui concourt elle aussi à affirmer qu’il existe bel et bien un dialogue entre les objets avec lesquels nous cohabitons. Camille Besson cherche à travers des sculptures à déterminer « la signature » de ce langage. Pour lui, les éléments qui habitent nos espaces se répondent et forment une sorte de corpus. De même, il prélève sur des anciennes productions des fragments qui participent eux aussi à créer une famille, « des déchets » qui viennent répondre à des éléments déjà présents comme la froideur de la plaque d’aluminium répond à des textes écrits sur des feuilles colorées ou des dessins. Il crée ce qu’il appelle des « combinaisons nonchalantes », dont les critères de sélection ne sont pas prédéterminés mais relèvent d’un processus fortuit d’adjonction. Il présente aussi une série de petits cadres pliés à la main au format de l’objet dont le processus de fabrication relève de la même indécision, avec là comme critère le rapprochement avec des petits objets de peinture, avant finalement de les « écrabouiller dans la sculpture », créant ainsi une sorte d’objet peinture. Un travail d’atelier nécessitant des gestes simples, voire spontanés « qui font que les pièces ne sont pas trop figées ». Son travail exprime une démarche spéculative, qui vient sans cesse se préciser sans jamais atteindre un point final et qui ouvre à un dialogue permanent.

Les travaux photographiques de Victor Vaysse sont conçus à partir de transferts d’images sur des supports en résine. L’artiste a abandonné la photographie classique argentique en laboratoire lors de son entrée aux Beaux-Arts de Paris pour mener des recherches sur l’image elle-même. Une recherche qu’il poursuit au Fresnoy au travers de deux installations While True (2016) puis We, now, you ! (2017) , une oeuvre qu’il présente en 2017 à collection Lambert en Avignon. Au moyen d’un appareil numérique, il réinterroge l’accumulation d’images dans l’espace public et la manière dont elles apparaissent à l’œil du passant dans son parcours. Il s’est ainsi défait du rectangle photographie pour sonder le fragment, la déformation, l’illusion ou le reflet et analyser ces caractéristiques qui suscitent attirance ou dégoût. Il présente pour l’exposition Plein Jeu #2, une série qui transpose cet intérêt pour l’image aux magazines et catalogues, à travers des photographies d’emballages, de pages de magazines et de catalogues de chaînes de grande distribution. Il porte son intérêt sur la source même des images qu’utilisent les publicitaires pour, comme eux, les exposer au regard dans un espace public.

Un prélèvement ou une sélection qui montre à la différence d’un positionnement marketing leur accumulation, leur ressemblance, leur surabondance. Le processus de transfert sur résine par l’assemblage « fait perdre à l’image sa notion de représentation qui est la fonction première de la photographie ». Si certains éléments restent reconnaissables dans les produits et dans la typographie employés par les marques, l’image révèle ses mécanismes de séduction dans le cheminement inverse des étapes qui ont jalonné leur production pour satisfaire, par des choix stratégiques de formes, textures et couleurs, un jeu de séduction. La résine par son aspect brillant, sa douceur au toucher accentue cette attirance, répondant à des critères plus essentiels, rétiniens et affectifs qui activent certaines fonctions du cerveau. L’entreprise chimique de la photographie, respectée dans son mode opératoire, renvoie à la chimie vitale du désir. Un travail que l’artiste a aussi déplacé dans le vitrail, rappelant une éducation par l’image qui est aussi et forcément une éducation à l’image. Un travail en germe depuis longtemps avec « cette idée de travailler avec un contour qui dessine une forme et à l’intérieur de cette forme de voir une image peinte ou des aplats colorés ».

Diplômé de l’ESAD de Reims,  Raphaël Rossi s’intéresse au mobilier présent dans l’espace public, qui, bien qu’arborant des formes assez simples, témoigne de qualités sculpturales. L’artiste fabrique des bancs à partir de panneaux en PVC collés en accentuant les formes agressives dont les pouvoirs publics ont doté les bancs publics pour dissuader les SDF de s’y installer. Il pose ainsi le double discours de concevoir un mobilier destiné à la convivialité tout en proclamant un interdit à travers des « formes inhospitalières ». Les bancs invitent à l’oisiveté, au monologue intérieur ou au dialogue. Des pièces qu’il met en parallèle avec des films qui ont été fondateurs du regard qu’il porte sur le monde. Les affiches de L’âge des possibles de Pascale Ferrand et de Comment je me suis disputé d’Arnaud Desplechin, qu’il pose sur ces bancs ont en commun de parler de la génération des 25-35 ans, de ce moment de bascule entre la sortie de l’enseignement supérieur et l’entrée dans le monde professionnel. Des jeunes qui, nés dans les années 90, n’ont ni vécu la Beat Generation ni l’espoir du futur des années 2000, et ont été pris dans une réalité où s’anéantissait la perspective d’un monde meilleur. Raphaël Rossi s’interroge sur une jeunesse fin de siècle : que signifie quand on est jeune d’arriver à la fin d’un siècle ? Le cinéma est pour l’artiste un support privilégié de l’échange, l’initiateur du débat, une forme de dialogue car il « n’appartient à personne ». Voie ouverte à la discussion, il permet d’y projeter ses expériences personnelles et ses références, de manière plus collective et instantanée que la littérature.

Dans cet aller-retour permanent à la référence, Raphaël Rossi procède par collage avec des images de captures d’écran, des photocopies d’ouvrages et aussi des images de bibliothèques, espaces de formation comme les bancs d’école. Il y a pour l’artiste ce plaisir-désir d’apprendre, ces lieux où il a aimé travailler. Des lieux feutrés, où le silence crée un espace intérieur, profond mais en même temps agité, excité par la découverte. Un des « connecteurs physiques » entre ces espaces, école, bibliothèque, chambre est le tapis et certains petits objets. Ils lient toutes ces références « entre quelque chose de très matériel et immatériel, entre les idées et les pensées, les livres et les films ». Une mise en relation souvent symbolique comme un sous-main qui renvoie à l’écriture, l’espace de travail, le cuir de la reliure. Ils relatent une expérience et une transition entre un travail d’étudiant et celui d’un professionnel, une manière de donner une unité à une temporalité fragmentée.

Ancien étudiant de l’ENSBA de Lyon puis à la HEAD de Genève et originaire de Rouen,  Maxime Testu présente au Frac Champagne-Ardenne une série de sculptures commencées il y a plusieurs années. Il fait converger sa pratique afin qu’elle soit toujours dans un rapport au corps. S’intéressant « aux archives de la performance et des actions en règle générale », il a fait le choix du médium photographique car souvent il ne reste que des images, voire souvent qu’une seule, de chaque performance. Un travail photographique qu’il mue en des sculptures réalisées souvent de manière intuitive et qui sont en rapport avec son lieu de vie. Comme ces quatre vélos d’appartement en bois, tous les objets avec lesquels il travaille lui sont familiers. Il dit instaurer avec eux une même relation que celle que l’on pourrait avoir avec des amis. Les travaux de Maxime Testu font correspondre langage du corps et langage plastique, dotant les deux d’une physicalité. Lecteur de Mishima, il a cette image de l’écrivain qui a du se confronter à son propre corps, par la musculation et à travers une ascèse du corps. Dans cette référence à l’expérience, il a composé la série des avions à partir de jouets pour enfants qu’il a décorés et exposés dans un premier temps chez lui à l’aide d’hameçons et qui, accompagnés de photos et de textes, créent un dispositif où les références communiquent entre-elles.

Texte Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2019 Point contemporain

 

 

PLEIN JEU #2 - Frac Champagne-Ardenne
PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo

 

PLEIN JEU #2 - Frac Champagne-Ardenne
PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo

 

PLEIN JEU #2 - Frac Champagne-Ardenne
PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo

 

Maxime Testu X, 2019 Bois, métal, carton, plâtre, laque Courtesy de l’artiste Exposition PLEIN JEU #2 - Frac Champagne-Ardenne
Maxime Testu, X, 2019. Bois, métal, carton, plâtre, laque Courtesy de l’artiste
Exposition PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo

 

PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo

 

Raphaël Rossi Séance vespérale, 2019 Tubes acier, glycéro, bois, affiche de film Courtesy de l’artiste Exposition PLEIN JEU #2 - Frac Champagne-Ardenne
Raphaël Rossi, Séance vespérale, 2019. Tubes acier, glycéro, bois, affiche de film Courtesy de l’artiste
Exposition PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo

 

PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo

 

PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo

 

Victor Vaysse Backgrounds, 2019 Résines , transfert d’image Courtesy de l’artiste Exposition PLEIN JEU #2 - Frac Champagne-Ardenne
Victor Vaysse Backgrounds, 2019 Résines , transfert d’image Courtesy de l’artiste
Exposition PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo

 

Camille Besson Conjugaison impossible, 2019 Aluminium, plâtre, verre, tige carbone, fil de fer, dessin au pastel et au crayon sur papier Courtesy de l’artiste Exposition PLEIN JEU #2 - Frac Champagne-Ardenne
Camille Besson, Conjugaison impossible, 2019. Aluminium, plâtre, verre, tige carbone, fil de fer, dessin au pastel et au crayon sur papier
Courtesy de l’artiste
Exposition PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo