AURÉLIEN MAUPLOT

AURÉLIEN MAUPLOT

Aurélien Mauplot, Carnet des pensées lestes, 2019/2020
Dimensions variables impression numérique et encre carbonne sur calque

ENTRETIEN / Aurélien Mauplot à propos de son projet Moana Fa’a’aro
par Léo Marin

« Je me dis que c’était peut-être la vraie nature de l’art que de donner à voir des mondes rêvés, des mondes impossibles, et que c’était une chose dont je ne m’étais jamais approché, dont je ne m’étais même jamais senti capable. »
Michel Houellebecq, La Possibilité d’une île, 2005

Moana Fa’a’aro

L’île est un motif qui fascine. C’est l’objet de projection par excellence. Elle a été le support de rêveries et fantasmes depuis toujours. Ce n’est à mon avis pas anodin que les artistes continuent encore aujourd’hui d’utiliser ce motif pour confronter le réel et extraire des projections un chemin de pensées que nous pouvons tous emprunter dès lors que notre esprit rêve d’ailleurs. 

Il serait même intéressant de se pencher sur cette question en cette période d’isolement, puisque l’île est aussi, par essence une des incarnations de l’isolation. Dans les faits, et simplement de par sa définition. Comment, alors même que nous sommes pour la plupart confinés, le rêve de l’île se manifeste-t-il encore. Comment se fait-il que l’humain ait fait de ce motif d’isolation l’un de ses réceptacles accueillant le rêve, l’exotisme et le paradisiaque ?

Aurélien Mauplot, travaille ce motif depuis plusieurs années maintenant. Un projet d’envergure : Moana Fa’a’aroProjet dans lequel réside toute la puissance évocatrice de l’île, ainsi que son pouvoir de suggestion. A travers une multitude de séries d’œuvres que l’artiste poursuit encore aujourd’hui et qui souvent se retrouvent exposées en compositions naturalistes, comme dans un muséum d’histoire naturelle. 

Léo Marin : Bonjour Aurélien. Pourrais-tu au départ nous parler des premières fois où tu as commencé à travailler sur le projet Moana Fa’a’aro ? Comment s’est créé ce grand projet ?

Aurélien Maupot : Le projet est né avant d’exister.
En 2015, je suis invité par Hélène Fincker pour une exposition personnelle à la Maison Abandonnée (Villa Caméline) à Nice. 
J’y déroule un projet autour d’une île dont personne n’a jamais entendu parlé, que personne ne sait situer géographiquement et si elle existe vraiment. Cette terre est alors si inconnue qu’elle ne porte pas de nom. Mais comme il est nécessaire de nommer pour faire exister ou rendre réel une chose, une idée, je la prénomme Subisland, en d’autres termes : l’île engloutie (sinon invisible).

Subisland devient le titre de l’exposition qui est le résultat de recherches soutenue et/accompagnée par l’IGN, l’ifremer et le Muséum d’Histoire Naturel de Nice. Chacune des structures me prête ou me met à disposition respectivement, des cartes et des éléments de la collection. 

Quelques mois plus tard, je suis invité par Rebecca François pour participer à son exposition le Précieux pouvoir des pierres, au MAMAC à Nice (janvier 2016). 
J’y présente une série de huit sculptures intitulée Paoratu mato (du polynésien, qui signifie l’arbre qui pousse dans le rocher), chacune composée d’un tronc d’arbre de quatre mètres de haut coupé en deux relié par un bloc de basalte. 
Je tisse autour de ces sculptures le récit d’une jeune femme, vraisemblablement polynésienne, qui à la suite d’une tragique éruption volcanique, n’a qu’une seule obsession : réconcilier la terre avec le volcan.
C’est à ce moment que né Moana Fa’a’aro, une île perdue et oubliée du Pacifique. 

L M : C’est donc à la suite de ces deux expositions que le projet a réellement commencé à se développer ? Comment as-tu poursuivi cette expérience ? Quels projets se sont développés autour de Moana Fa’ a’ aro ?

A M : Ce n’est pas exactement à la suite, mais plutôt entre ces deux expositions. Lorsque nous vernissons celle du Mamac, le mythe de Ta’amu (la jeune fille qui veut réconcilier la terre avec le volcan) et l’histoire des deux découvertes successives de l’île (Moana Fa’a’aro) existent depuis deux mois. 

Je considère d’ailleurs les Paoratu mato, comme une réponse à Subisland. C’est également en 2015 que je réalise de quelles façons mes recherches et mes productions se relient constamment les unes avec les autres. Je n’ai de cesse depuis de comprendre et découvrir que telle œuvre est la conséquence (ou la réponse) de telle autre. Par exemple, Les compositions naturalistes (2017…) sont la conséquence des Possessions (2013), qui elle-même est l’aboutissement de Cavernes (2011), c’est presque infini. 

Avec Moana Fa’a’aro, pour la première fois, je me détache totalement d’un récit existant (Le tour du monde en 80 jours pour Les Possessions (2013), La grande crevasse pour Les horizons (2014) etc…) pour en produire un qui m’est propre. Se pose ici la question de son organisation, de sa compréhension et de sa monstration. Il n’était alors pas question d’écrire un livre mais de raconter une histoire. Et les deux premières façons d’accéder à une histoire sont la parole et les images.

A la suite du MAMAC, j’effectue une résidence avec le Musée Picasso d’Antibes, pendant laquelle je décide de poursuivre mes recherches autour de Moana Fa’a’aro qui m’est encore peu connue. Je continue dans cette direction car comme le spectateur, je ne connais pas la fin de l’histoire. Et si je ne la cherche pas, personne ne me la fournira. Je comprends quelques années plus tard ce fonctionnement : la difficulté ou l’incapacité de lâcher une histoire (L’histoire sans fin…). 

Je deviens ainsi un auteur-spectateur et très rapidement j’en deviens même un acteur (celui qui réunit les archives – images – celui qui les transmet.)
Depuis mon exposition personnelle à Eponyme (Bordeaux, 2017), lors du vernissage ou d’un événement public, je fais la lecture du récit. C’est une part essentielle de la transmission de l’histoire.
Je rencontrais récemment deux dames devant Composition naturaliste – Carnet des pensées lestes # 1 (Eclipses, Pessac, 2019)qui m’interloquaient en me disant qu’il était incroyable et formidable qu’avec tous les moyens technologiques que nous ayons aujourd’hui, nous puissions encore découvrir une île et un peuple inconnu jusqu’alors !
Je n’ai à ce moment que raconté une histoire. 

L M : Comment entretiens-tu ces allers-retours incessants entre le fictif et le réel, ne serait-ce qu’en passant de l’île, aux œuvres que tu produis ?

A M : Le passage s’effectue naturellement. Je ne distingue plus au sein du récit ce qui est possible, ce qui est réel et ce que j’imagine. Il n’y a pour ainsi dire plus de limites puisque chaque élément fictif et chaque fait réel sont tour à tour possibles, se croisent et s’entremêlent. 

Ce que j’entretiens en premier c’est la confusion entre les deux. Par exemple, une paire de jumelle offerte devient un objet ayant appartenu à Pierre de Karcouët[1] en 1838. Ou encore, cette terre dans le bocal a été récoltée par Giulia Camassade[2] en Angola en 2004 (lors d’une escale forcée). Enfin, ces photographies témoignent d’un paysage de Moana Fa’a’aro capturé en 2008 par Joséphine me semble-t-il, photographe officielle de l’expédition sur l’Antichtone, menée par Giulia Camassade.

Dans chacun de ces croisements se situe la possibilité du réel. 

La possibilité du réel c’est un interstice ou s’immisce et s’installe le doute, doux combat entre volonté de croyance et impartialité du pragmatisme. 

Si tu n’es pas au fait qu’il s’agisse d’une fiction, tu ne te poses pas la question de l’imaginaire, car tu es déjà toi-même impliqué et en plein dedans. Tu te situes à ce moment à la limite de l’acteur car tes questionnements, ton regard et ce que tu transmettras après l’exposition permettent d’apporter du réel au récit. Et comme tu es personnellement impliqué il est difficile de déconstruire immédiatement ta croyance, décortiquer le vrai du faux, le possible de l’impossible, le réel de l’imaginaire. Puisque finalement, ce que tu vois est bien réel : tous ces objets aux murs sont bien présents et l’histoire que je te raconte, tu l’écoutes physiquement. 

C’est un processus constant qu’il m’amuse d’entretenir. Car le fond de l’histoire est constamment possible. Mais plus encore, il est souvent profondément vrai, car il est régulièrement issu de mon histoire, de ma vie, ma famille, mes amis, mes expériences, mes rêves. 

Aujourd’hui, le récit est tellement construit que certaines choses sont pour moi plus réelles que d’autres. Moana Fa’a’aro évidemment et Giulia Camassade principalement. Notamment parce que ce sont deux éléments ancrés dans une réalité présente qui m’appartient et à partir ou au sein de laquelle je peux projeter mes propres images. 

Pour l’île, c’est la carte (difficile à contester) et sa situation géographique (on sait que l’île se trouve sur l’Equateur, et cette ligne est un élément commun de l’imaginaire collectif) qui fabrique le décor et génère la plongée dans l’imaginaire. 

Pour Giulia, c’est l’époque et la possibilité de se projeter en elle ou près d’elle. Et ce, grâce aux carnets (oniriques ou des pensées lestes) et à son image récemment incluse dans les Compositions naturalistes#2 (Mapping at last – The Plausible Island, Topographie de l’art, 2019)Elle est d’ailleurs de dos en vue de ne pas imposer de représentation et privilégier la suggestion puis la fabrication de son image par soi-même, comme lorsqu’on lit un roman. 

La possibilité du réel serait donc une suggestion imaginaire ?

[1] Pierre de Karcouët (1803-1870) officier de marine et explorateur français. Petit-fils de Guillaume de Karcouët, céramiste ayant reçu des apprentissages chinois. Engagé par la Société Nationale de Géographie pour mener une expédition sous le cercle polaire (1838-39), il reviendra sans y parvenir en évoquant cependant la découverte d’une île (Moana Fa’a’aro), qu’il n’est pas en mesure de situer.

[2] Giulia Camassade (1972-.) skipper et exploratrice italienne. Engagée par Charles Dremwell pour mener une expédition (2004-2008) en vue de retrouver un site en Antarctique où un fémur d’une espèce inconnue a été découvert en 1904, elle poursuit son expédition à bord de l’Antichtonetrois ans durant, à la recherche de l’inconnue, guidée par une boussole qui semble défaillante. Elle découvre Moana Fa’a’aro en 2008. A son retour, elle disparaît, emportant avec elle une majeure partie des archives de son voyage.

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Lexique
Paoratu mato (polynésien) L’arbre qui pousse dans le rocher
Moana Fa’a’aro (polynésien) : l’endroit au large où aucune terre n’est en vue
Antichtone : Anticontinent, continent hypothétique

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Pour en savoir plus sur Moana Fa’a‘aro

http://aurelienmauplot.com
IG : a.mauplot

Aurélien Mauplot, Composition naturaliste Carnet des pensées lestes #1 500 x 220 cm Env. 300 éléments. 2019 (Les arts au mur, artorhèque, Pessac)
Aurélien Mauplot, Composition naturaliste Carnet des pensées lestes #1, 2019
500 x 220 cm Env. 300 éléments. (Les arts au mur, artorhèque, Pessac)
Aurélien Mauplot, Composition naturaliste #2 700 x 220 cm Env. 250 éléments 2019 (Topographie de l’art, Paris)
Aurélien Mauplot, Composition naturaliste #2, 2019
700 x 220 cm Env. 250 éléments (Topographie de l’art, Paris) Photo Catherine Rebois
Aurélien Mauplot, Composition naturaliste Carnet des pensées lestes #3 2x L450 x H220 cm Env. 450 éléments 2019 (La ligne Bleue, Carsac-Aillac, 24)
Aurélien Mauplot, Composition naturaliste, Carnet des pensées lestes #3, 2019
2x L450 x H220 cm Env. 450 éléments, (La ligne Bleue, Carsac-Aillac, 24)
Aurélien Mauplot, Carnet des pensées lestes Avril/Août 2004 Dimensions très variables Acrylique, feuille d’or et encre carbone sur papier 2019/2020
Aurélien Mauplot, Carnet des pensées lestes Avril/Août 2004, 2019/2020
Acrylique, feuille d’or et encre carbone sur papier, dimensions variables
Aurélien Mauplot, Carte géologique de Moana Fa’a’aro (2008) 20 x 15 cm Acqurelle sur papier 2018
Aurélien Mauplot, Carte géologique de Moana Fa’a’aro (2008), 2018
Aquarelle sur papier, 20 x 15 cm
Aurélien Mauplot, Les éternelles (Kerguelen, BjØrnØya, Bengladesh) 21 x 29,7 cm Acrylique et feuille d’or sur papier 2019
Aurélien Mauplot, Les éternelles (Kerguelen), 2019
Acrylique et feuille d’or sur papier, 21 x 29,7 cm
Aurélien Mauplot, Les impatiences (série des glaces) Dimensions variables Acrylique sur photographie d’archive 2017
Aurélien Mauplot, Les impatiences (série des glaces), 2017
Acrylique sur photographie d’archive, dimensions variables
Aurélien Mauplot, Les impatiences (série des horizons) Dimensions variables Feuille d’or sur photographie d’archive 2020
Aurélien Mauplot, Les impatiences (série des horizons), 2020
Feuille d’or sur photographie d’archive, dimensions variables
Aurélien Mauplot, Carte des positions des Paoratu mato (2008) 20 x 15 cm Mine
Aurélien Mauplot, Carte des positions des Paoratu mato (2008), 2018
Mine de plomb sur papier, 20 x 15 cm