CÉLINE LASTENNET

CÉLINE LASTENNET

ENTRETIEN / Céline Lastennet par Valérie Toubas et Daniel Guionnet initialement paru dans la revue Point contemporain #12 © Point contemporain 2019

« Ce n’est pas l’aspect technique qui m’intéresse en premier lieu, 
c’est la capacité de la construction à interpeller un imaginaire. »
Céline Lastennet

Céline Lastennet, citant un astrophysicien, rappelle que toute théorie naît d’une intuition et que la recherche savante n’exclut pas l’imaginaire, celui-ci peut encore rêver en regardant les étoiles… Les constructions de cette artiste relèvent de la sensation, du rapport du corps dans l’espace, avec une mythologie qui questionne avec toujours beaucoup de justesse l’existence des choses, que ce soit à l’échelle du vivant ou de la vie sociale dans sa dimension communautaire. Ouvrant son travail sur l’espace public, Céline Lastennet compose des structures en lien étroit avec l’environnement et le public destinées à être partagées, expérimentées, autant par l’esprit que par le corps. Elles définissent des espaces poétiques où l’être aspire à retrouver sa petitesse.

Quel est le point de départ de tes constructions ?

Je les conçois de manière intuitive car je n’ai pas de formation d’ingénieur ni d’architecte. Pour comprendre comment les matériaux résistent au poids, comment les forces s’équilibrent, je dois tout tester par moi-même et je réalise des performances en suspension dans mon atelier, sans public, afin de soumettre mon corps à la gravité. En situation d’attraction, je peux corriger ma position en tirant sur une jambe ou sur un bras. Notre corps est ainsi structuré qu’en toute situation, par réflexe, il recherche un point d’équilibre. Je réalise aussi des maquettes à l’échelle 1/10 qui me permettent de rendre effectives des créations que je dessine ensuite sur ordinateur. Je me documente aussi beaucoup en lisant des écrits d’artistes sur l’architecture où je puise un vocabulaire que je m’approprie en le réinvestissant de cet imaginaire qui a pourvu son utilisation dans le domaine de la construction. Je sais par exemple que le terme Canopée utilisé lors de la reconstruction du forum des Halles à Paris vient d’une figure de voltige aérienne et en même temps la canopée désigne aussi le faîte des arbres d’une forêt, ce qui en explique la forme et la couleur.

Nous sommes une architecture dans une architecture ?

Nous sommes nous-mêmes une architecture qui se positionne dans un espace. Pour nous définir nous faisons référence à un cadre, qu’il soit du bâti (une maison, une pièce, un hall de gare…) ou du mobilier qui témoigne tout autant d’une échelle (une porte, une chaise…). Nous évoluons dans des espaces dont les dimensions normées vont influencer nos parcours et rencontres. Ceux-ci ne sont pas toujours à notre échelle car nous sommes tous différents. Pour moi qui ai grandi dans des espaces construits aux normes de Le Corbusier, et qui en connais toutes les dimensions, aller aux États-Unis où tout est beaucoup plus grand est très déstabilisant et libérateur. Cela m’a amenée à m’interroger sur cette notion d’échelle et à la relation du corps à l’espace. 

Celle de ton propre corps ?

Je ne pense pas que cela soit aussi direct car comme toute personne qui s’intéresse à la construction, je suis aussi curieuse des outils qui permettent de démultiplier la force ou l’amplitude. Je sais qu’avec une poulie je peux lever n’importe quel poids à n’importe quelle hauteur même s’il est vrai que j’ai mis du temps à accepter de faire des choses qui me dépassent. Ce qui contraint mes constructions est plutôt une question de budget. Les matériaux à la vente ayant des tailles définies, je m’appuie sur celles-ci pour ne pas gaspiller. Je fais attention à rationaliser l’utilisation des matériaux ce qui parfois peut influencer une forme.

La présence de l’autre compte-t-elle dans la conception de tes installations ?

Le « deux » est en train d’arriver dans mon travail, dans ce rapport à l’autre ou à un autre car je déplace de plus en plus ma pratique vers l’espace public. Ce sont des codes et une responsabilité différents, il n’y a pas les mêmes interdictions : en extérieur on est libre de toucher et d’expérimenter l’œuvre. Je dois penser à cet autre qui peut être une maman avec une poussette, un enfant touche à tout, un ado aventurier et même un adulte…

Une réflexion qui t’amène aussi à penser un environnement ?

Cela impose en effet de penser différemment les pièces car elles vont définir un espace singulier dans un environnement, un lieu où on va pouvoir se rencontrer. Par exemple, je réfléchis aux constructions du Grand Paris et aux sorties de gares qui sont en passe d’être modifiées. Ces lieux de passage sont des espaces publics à définir. Comment les perçoit-on ? Quelles relations à l’autre impliquent-ils ? Il est essentiel pour moi de ne pas m’intéresser à la seule dimension technique ou urbanistique qui serait de rationaliser un espace mais aussi à la dimension imaginaire et même poétique de la construction.

Avec une autre dimension qui serait de l’ordre de la compréhension ?

J’ai toujours ressenti ce besoin assez rassurant de voir sous le plaquage et le crépi la structure de l’architecture, ses piliers, ses murs de soutènement. Peut-être pour en comprendre sa structure, je dois pouvoir en faire la lecture avec ses lignes de construction, déterminer les points de tension entre ses différentes parties.

Une lisibilité qui se retrouve dans les titres génériques de tes constructions, situations

Ces titres répondent assez exactement à mes préoccupations. Les « situations » sont des expérimentations, des mises en situation, dans l’espace. Toutefois, je fais attention aux interprétations auxquelles peuvent se prêter les titres. J’essaye de ne jamais en dire trop afin que le regardeur puisse librement s’approprier l’œuvre et y projeter sa propre histoire. Je considère qu’une fois la pièce installée, elle ne m’appartient plus, qu’elle dépend de quelqu’un et d’un espace. De même, je ne lui donne pas de titre qui serait trop significatif pour garder cette possibilité de s’évader face à elle.

Le motif circulaire est assez présent dans tes productions. Que représente-a-t-il ? Fait-il référence à une pensée cosmogonique, à un certain ordre ou même à la perfection ?

Ces questions me traversent comme elles ont accompagné tous les bâtisseurs à travers les âges, de Brunelleschi à Le Corbusier. Je commence toutes mes constructions avec des morceaux de bois ou de métal dans les mains et progressivement je les assemble pour donner une forme. Une construction que j’appréhende par la poésie et l’imaginaire plus que par la motivation de concevoir une architecture en tant que telle, marquée par une perfection, des proportions… Toutefois, je peux être inspirée par des constructions existantes comme lors d’un voyage aux États-Unis, où j’ai fait un séjour chez les Shakers, une communauté issue de Quakers qui avaient été chassés d’Angleterre. Ils ont bâti une grange circulaire en pente sur deux étages qui permettent de suivre le cycle de production et dont la spatialisation répond à une organisation communautaire et spirituelle spécifique. 

Quels sont tes projets en cours ?

Je travaille actuellement sur une proposition pour l’espace public, un dôme où se dessine un ciel gris, nuageux, presque orageux. Il n’est pas seulement question de surface mais aussi de profondeur car j’ai envie de plonger dans l’infini du ciel. Je prépare également une résidence à l’Atelier Ni (Marseille) où j’envisage la construction d’un « bateau balancelle » qui sera présenté au moment du Printemps de l’Art Contemporain. Une installation silencieuse et sans couleur, à la différence de la fête foraine qu’elle évoque, sur laquelle seul notre imaginaire pourra embarquer. Une pièce empreinte de nostalgie et de tristesse qui, en convoquant le temps de l’enfance, nous renvoie à l’ici et maintenant de notre condition d’adulte.

Visuel de présentation : Céline Lastennet, Evasion Suspendue – maquette de projet, 2018-2019. Aluminium, 30 x 32 x 23 cm. Courtesy et photo Céline Lastennet

Actualités :

Céline Lastennet
Née en 1989 à Paris
Vit et travaille à Montreuil
Diplôme National Supérieur d’Arts Plastiques (2013)

www.celinelastennet.com