Christian Fogarolli, Il corpo d’aria

Christian Fogarolli, Il corpo d’aria

EN DIRECT / Exposition Il corpo d’aria de Christian Fogarolli, Galerie Alberta Pane Paris par Ángel Moya García

Une dialectique atavique dans les domaines philosophique, scientifique, religieux, psychologique et ontologique, comme celle qui évoque la relation complexe entre le corps et l’âme, est à l’origine du projet « Il corpo d’aria » (Le corps aérien) que l’artiste Christian Fogarolli (Trento, Italie, 1983) présente dans l’espace de la galerie Alberta Pane à Paris.

Sans vouloir être réducteur sur les différentes origines et déclinaisons de la problématique, on pourrait dire que l’une des principales thèses est constituée par le dualisme qui s’impose dans la tradition occidentale depuis les débuts de l’histoire de la philosophie, se prolonge avec le néoplatonisme pour devenir alors central dans le christianisme. Au contraire, le matérialisme, qui implique un monisme, c’est-à-dire la réduction de l’homme à la seule matière, apparaît constamment dans la pensée occidentale, même si celui-ci a été marginalisé tout au long du Moyen Âge en raison de son caractère irréconciliable avec le christianisme. Dans le matérialisme, l’âme est ramenée au cerveau et ses fonctions, jetant ainsi les bases d’une étude scientifique de l’homme. Cependant, ce sera la distinction kantienne entre l’intellect et l’âme et surtout le dualisme technico-scientifique de Descartes, dans lequel on nie que la pensée puisse être une fonction du corps indiscernable de la matérialité, qui constituera la
base de l’approche contemporaine au problème.

Actuellement la considération de l’émotion comme charnière entre l’événement psychique et somatique et, premièrement, la thèse scientifique pour laquelle il a été vérifié que les systèmes nerveux, endocrinien et immunitaire se communiquent, constituent le paradigme contemporain le plus répandu dans lequel l’esprit et le corps ne peuvent être séparés, mais reliés.

Cependant, si Thomas Kuhn comprenait par paradigme les réalisations scientifiques universellement reconnues qui, pendant une période, fournissent un modèle de problèmes et de solutions acceptables pour ceux qui pratiquent un certain domaine de recherche ; le même auteur soutenait que dans l’évolution de la science le rapprochement de la vérité n’était toujours garanti.

Dans ce contexte, l’exposition de Christian Fogarolli « Il corpo d’aria » tente de renverser la valeur inconditionnelle du progrès dans la révolution scientifique en analysant comment la biochimie et la génétique considèrent le corps et l’âme comme une seule entité. Une vision dans laquelle la structure organique des sentiments et des pensées peut être modifiée ou guérie par l’équilibre chimique étudié par les neurosciences et, par conséquent, par la pharmacologie. L’exposition présente une vision critique du corps, comprise de plus en plus comme une simple masse organique (et de moins en moins comme un organisme vivant, pensant et sensible) qui se réduit souvent aux catégories énumérées par les sciences naturelles et l’hégémonie de l’instrument, de la technique et de la matière qui en découle. Il en résulte inévitablement une perte de sens de la même action réparatrice à l’égard de ce corps au profit d’un processus de traitement rapide, en chaîne et standardisée qui s’adresse à des compartiments étanches, de manière quasi mathématique et dans lequel les facteurs individuels, subjectifs et humains sont de plus en plus isolés.

La recherche présentée dans l’exposition représente une phase d’évolution et s’inscrit dans l’ensemble du parcours de l’artiste à partir d’une vision contemporaine de la maladie, de la déviance et des approches thérapeutiques. Les oeuvres qui composent « Il corpo d’aria » semblent constituer un espace aseptique d’investigation et de fonctionnement par des méthodes diagnostiques. Christian Fogarolli analyse ainsi ces problèmes à travers des oeuvres qui se déposent comme des indices et des traces, comme des catégories qui se fragmentent et découpent l’espace. En particulier, le spectateur est confronté à des images photographiques provenant d’archives d’institutions médicales, d’objets retrouvés, de lumières artificielles et de liquides chimiques. Les instruments chirurgicaux dilatent le support bidimensionnel de leur photographie pour sortir de l’image, tandis qu’une présence mystérieuse enfermée dans un sanctuaire de miroirs ne se révèle que par un système lumineux spécifique. L’équilibre chimique est mis en évidence par deux niveaux d’eau, dont l’un prend une couleur bleue donnée par la substance appelée « bleu de méthylène » très souvent utilisée en médecine en cas d’empoisonnement, tandis que l’un de ces instruments chirurgicaux est élargi pour devenir un objet paradoxal et dépourvu de fonctionnalité.

Ainsi, confondant en permanence symptôme et remède, Christian Fogarolli donne vie au paradoxe contemporain dans lequel le développement et la raison technique peuvent eux-mêmes faire partie du problème. L’exposition vise à mettre en évidence les erreurs et les malentendus de certains progrès scientifiques, en analysant comment le caractère systématique, l’homologation et la concaténation des contrôles qui donnent lieu aux pratiques éprouvées de la science et en particulier, de la médecine, échappent souvent complètement à la subjectivité et à l’individualité qui nous caractérisent.

Ángel Moya García

Christian Fogarolli est né en 1983 à Trento, Italie.
Diplômé en 2010 d’un Master en diagnostic et restauration de peintures anciennes, modernes et contemporaines à l’Université de Vérone, il obtient aussi un diplôme en Conservation du Patrimoine à l’Université de Trento.
Sa recherche se focalise sur le rapport entre les arts plastiques et les théories/disciplines scientifiques et, du comment ces dernières se sont servies des moyens/outils artistiques pour évoluer. Ses travaux tentent de mettre en question la relation hiérarchique entre différentes espèces ; les attributions normatives de déviance et de maladie et des méthodes classiques de classification muséale, scientifique et des archives. Sa pratique part de la recherche historique déployée grâce à différentes formes d’expression, l’installation, la photographie, la sculpture et la vidéo.
Christian Fogarolli a exposé son travail au sein d’institutions et manifestations telles que DOCUMENTA(13) ; le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Rovereto, Mart (2013) ; La Maison Rouge de Paris (2014) ; Fondation Museum Miniscalchi Erizzo (2015) ; de Appel arts centre d’Amsterdam (2015) ; 5th Moscow International Biennale, Moscou (2016) ; Hunterian Museum, Glasgow (2017); Gaîté Lyrique, Paris (2017) ; Haus der Kulturen der Welt, Berlin (2017); Galerie Civica Mart, Trento (2014-18);
Les Rencontres de la Photographie, Arles (2018) ; MAXXI, Musée nationale des arts du XXI siècle, Rome (2018) ; Hrdlicka Museum of Man, Prague (2018); Museo Palais Fortuny Venise (2018) ; Musée de Grenoble (2019). Il a récemment reçu les prix de recherche et de résidence auprès du College of Physicians and Mütter Museum of Philadelphia et Futura center for contemporary art, Prague (2018).

Visuel de présentation : Christian Fogarolli, Il Corpo d’aria, 2019, work in progress

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