[EN DIRECT] Go canny ! Poétique du sabotage, Villa Arson Nice

[EN DIRECT] Go canny ! Poétique du sabotage, Villa Arson Nice

Le cours de l’Histoire est parsemé de grands moments et le cours de la vie (celui de l’Histoire aussi d’ailleurs) peut être bouleversé avec des petits riens. La reine du sabotage poétique au cinéma pourrait être Amélie Poulain. En perturbant le quotidien de son entourage elle lui offre de nouvelles possibilités, de nouvelles échappées. Nuit debout a récemment démontré que nombreuses sont les personnes qui souhaitent réfléchir à un autre monde possible, à des façons nouvelles et innovantes de vivre autrement. Et puis, comme on le sait, un battement d’ailes de papillon peut bouleverser la donne à l’autre bout du monde. 

Le titre de l’exposition « Go canny ! Poétique du sabotage » donne le ton. Tout d’abord il est expressément demandé de ne pas se fouler. L’injonction « Go Canny » est celle de dockers écossais qui, après avoir été remplacés pendant leur grève par des personnes incompétentes et faute d’avoir obtenu ce qu’ils souhaitaient, ont décidé de lever le pied au travail. Viennent ensuite les mots : poétique et sabotage. Deux mots qui mis ensemble attisent la curiosité. Le sabotage est défini dès le départ par les commissaires comme un « acte créatif par excellence qui mobilise inventivité et débrouille ». Il n’est nulle question de lancer un appel à la révolution mais de prendre conscience qu’il est possible de faire évoluer les choses avec des petits riens. Les grains de sable aussi petits soient-ils peuvent enrayer la machine. 

Cette exposition est pensée pour bouleverser notre façon d’être, de faire, de voir les choses… La visite est parsemée d’obstacles mais aussi de subtiles contrariétés. 

 

Go Canny ! Jean-Baptiste Ganne, Détumescences, 2012. Techniques mixtes
Go Canny ! Jean-Baptiste Ganne, Détumescences, 2012. Techniques mixtes. Photo : Loïc Thebaud

 

Il est souvent question de désordre, de désorganiser l’ordre ou les principes établis. On est accueilli dès le début par une voix nous chuchotant de quitter le lieu d’exposition. « Ne restez pas ici » de Jean-Baptiste Ganne fonctionne si bien que pendant le discours du vernissage on n’a pu se demander qui avait le toupet de parler ainsi. Cécile Babiole vient elle aussi perturber le calme de l’exposition avec « Couloir aérien » qui diffuse et affiche le trafic de l’aéroport de Nice. Dans sa vidéo, « Fallas de origen », Raychel Carrion Jaime marche au ralenti dans une manifestation jusqu’à ce que le service d’ordre vienne le faire sortir pour « comportement contre-révolutionnaire ». Cette action, aussi subtile soit-elle, vient tout de même contrarier l’ordre souhaité. Marine Semeria sabote aussi en se servant d’absurdités internes mais cette fois-ci il s’agit de celles de la finance. L’artiste pour « Millionaire » s’est fait un chèque d’un million d’euros puis l’a déposé sur son propre compte. Elle est ainsi devenue millionnaire pendant 48h alors qu’elle n’en avait aucunement les moyens. 

Des tensions se font sentir tout au long de l’exposition. « Composition empirique » de Claude Cattelain barricade l’entrée d’une des salles. Les matériaux tiennent par simple pression des étais même si l’on est tenté de passé dessous le risque que tout s’effondre à cause d’un simple frôlement nous rebute. Le pilier de Nicolas Daubanes ne semble également pas si solide que ça. L’artiste l’a en effet réalisé avec du béton sucré, recette concoctée par les résistants pendant la seconde guerre mondiale pour saboter la fabrication par le régime Nazi du « Mur de l’Atlantique ». Le ridicule est détourné avec « Bas-relief » de Laurent Lacotte qui s’empare du mobilier urbain anti-SDF pour empêcher les visiteurs de s’asseoir. Marc Chevalier avec « En prise avec le réel » nous invite quant à lui à jouer aux fléchettes avec pour cible… des prises. Jeu pouvant ainsi virer au pétage de plomb non seulement du système électrique mais aussi des personnes en charge du lieu. 

 

Go Canny! Claude Cattelain, Composition empirique N° 7, 2016. Plances de récupération et étais. Dim. variables
Go Canny ! Claude Cattelain, Composition empirique N° 7, 2016. Plances de récupération et étais. Dim. variables. Photo : Loïc Thebaud

De la poésie il en est évidemment question avec « Enveloppement » de Fayçal Baghriche qui offre un moment de sérénité en mettant à bas toute volonté d’affirmer une identité nationale. « Linguistic confusion » de Babi Badalov joue avec les mots et leur phonétique produisant des rapprochements détonants. Notre imaginaire est de nouveau déployé avec « Poésie du sans titre » de Simon Nicaise constitué de clefs où les matrices ne sont pas gravées. Quelles portes pourraient-elles donc ouvrir ? La déconnection est totale avec « No Network, No Internet, No Point » de Julian Oliver qui brouille la wi-fi, les gps et gsm. 

Parfois la subtilité est telle que l’on pourrait passer à côté si l’on n’était pas devenu plus attentif au fur et à mesure de notre cheminement. « Kystes » d’Alexandre Gérard est peut-être un des sabotages les plus poétiques. L’artiste a rempli de mastic une poche d’air qui s’était formée sous le lino venant ainsi contrarier notre démarche et du coup perturber notre déambulation. 

Mais méfiance, le sabotage aussi poétique soit il n’est pas forcément à notre avantage. Ainsi les alléchants breuvages de Jeanne Berbinau Aubry se révèlent être des liqueurs empoisonnées par le plomb de leur carafe en cristal. Tout comme les bulles dorées (« Douze ans d’âge »), de la même artiste, laissent s’échapper une odeur âcre de fin de soirée. « Amorce » d’Emilien Adage se présente sous la forme d’un boitier qui rappelle étrangement ceux que l’on peut briser pour prévenir en cas de problème. Vivons-nous dans une société où l’urgence est telle que nous nous devons de nous emparer de ce boîtier ? Si nous le faisons ici, nous ferons sauter les plombs des salles d’exposition. Et ceci dans quel but ? Il est peut-être préférable de garder son calme/freiner son excitation, faire appel à la raison pour mieux visualiser la situation / l’exposition. 

 

Go Canny! Jeanne Berbinau Aubry, Liqueurs, 2014 - Babi Badalov, Linguistic confusion, 2017.
Go Canny ! Jeanne Berbinau Aubry, Liqueurs, 2014 – Babi Badalov, Linguistic confusion, 2017. Photo : Loïc Thebaud

 

 

Les commissaires et les artistes acceptent d’avancer, de frôler le fil du rasoir. Ils jouent même le jeu jusqu’au bout en reprenant l’idée des perruques1 pour le catalogue. On peut se le fabriquer soi-même en utilisant l’outillage et la matière première de l’exposition. Les textes présentant les oeuvres sont rédigés sous forme de mode d’emploi. La communication est imprégnée par le design graphisme de Thomas Guillemet qui a su trouver une belle réponse à cette exposition. Marie Reinert a été invité à réaliser une performance. L’artiste souhaite s’infiltrer dans une institution pour en révéler les incompétences. De quelle institution s’agira-t-il ? De celle de la Villa Arson ? Peu d’éléments filtrent même pour les commissaires d’expositions. Affaire à suivre… 

Mais si les commissaires jouent le jeu d’être sabotés on se rend tout de même compte que malheureusement la définition du sabotage reste encore floue pour certains visiteurs. Certaines actions relèvent plus de la mauvaise blague facile, voire du vandalisme. Saboter ne veut pas dire faire quelque chose avec pour seul but d’ennuyer, d’agacer, d’empoisonner la vie de personnes. NON, saboter c’est l’idée de résister pour atteindre un avenir meilleur. Les résistants ont saboté le béton des Nazis pour parer leur avancée ; les dockers ont décidé de ne plus s’épuiser comme avant afin qu’on reconnaisse leur travail … Le sabotage est bien souvent fait en groupe mais surtout pensé pour le bien d’une collectivité dans l’optique d’atteindre un progrès social, politique… « Go canny ! Poétique du sabotage » met ceci en avant tout en faisant appel au déploiement de l’imaginaire. Cette exposition a su s’ancrer avec subtilité et fermeté dans le présent, dans une école d’art et surtout dans un contexte politique plus que mouvant. Tout est possible (dans tous les sens du terme), alors à nous de jouer ! Résistons, jouons collectif, laissons place à l’imaginaire, à la poésie, à l’émerveillement, à la fraternité… 

(1) Définition de Perruque dans le Larousse : Objet réalisé pour son propre profit par un salarié pendant son temps de travail en utilisant l’outillage et la matière première de son entreprise ; travail effectué pour réaliser un tel objet. 

Texte Leïla Simon pour Point contemporain © 2017

 

Go Canny! DISNOVATION.ORG, installation in situ.
Go Canny ! DISNOVATION.ORG, installation in situ. Photo : Loïc Thebaud

 

Go Canny! Nicolas Daubanes, Sabotage 5, Béton, sucre, fer. 350x40x40 cm - Cécile Babiole, Couloir aérien, 2016. Composants éléctroniques, son, moniteur vidéo, fréquences tributaires du trafic aérien.
Go Canny ! Nicolas Daubanes, Sabotage 5, Béton, sucre, fer. 350x40x40 cm – Cécile Babiole, Couloir aérien, 2016. Composants éléctroniques, son, moniteur vidéo, fréquences tributaires du trafic aérien. Photo : Loïc Thebaud

 

 

Visuel de présentation : Go Canny ! Marine Semeria, 500 euros. Installation de 50 000 pièces de 1 centime d’€ – Claude Cattelain, Composition empirique N° 7, 2016 – Jeanne Berbinau Aubry, 12 ans d’âge, 2012-2017 

 

Pour en savoir plus sur le lieu :
 

Pour en savoir plus sur les artistes :
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Ainsi qu’une carte blanche proposée à  

Pour en savoir plus sur l’exposition :
[AGENDA] 10.02→30.04 – GO CANNY! Poétique du sabotage – Villa Arson Nice

Commissaires : Nathalie Desmet, Eric Mangion et Marion Zilio