DUDA MORAES

DUDA MORAES

Duda Moraes, Série Tropical 7 (détail)
Huile sur toile 185 x 155 cm

FOCUS / Duda Moraes
par Alvaro Seixas

Pèlerinage

Texte d’Alvaro Seixas
Traduit du portugais par Madeleine Deschamps

Tout au long de son histoire, les chemins de la peinture ne furent aisés.
En particulier au début du XXème siècle, elle fut brisée en d’innombrables morceaux par les ambitions d’avant-gardistes : fauvistes, cubistes, expressionnistes, futuristes, tenants de l’art abstrait et dadaïstes se disputèrent bien souvent leurs propres vérités, ce qui amena l’artiste et révolutionnaire Alexander Rodchenko à décréter la peinture comme morte, la considérant comme « improductive » au sein de la nouvelle réalité communiste de l’époque.

Malgré les décombres et décrets de mort, la croyance lumineuse et optimiste en la peinture ne fut jamais réellement interrompue. Il suffit de rappeler qu’en 1912, une brève mais remarquable mélodie picturale fut capable de surmonter les adversités et les luttes critiques de la douloureuse Première Guerre mondiale : Robert et Sonia Delaunay, Frank Kupka, Fernand Léger, Francis Picabia, et même un jeune Marcel Duchamp amenèrent le poète Guillaume Apollinaire, en pleine modernité industrielle, à rappeler le mythe grec d’Orphée pour donner nom à un mouvement – l’Orphisme – associant la dimension intangible et lyrique de la musique, aux rythmes formels et surtout chromatiques de l’encre sur la toile. Tels des pèlerins en direction d’un terrain critique, inhabité et difficile à résumer en termes figuratifs, les orphistes réalisèrent des œuvres de grande ampleur, non en termes d’échelles, mais en l’invention d’un nouveau langage artistique : l’abstraction.

Duda Moraes, Série Empastos óleo sobre madeira 30x25cm
Duda Moraes, Série Empastos óleo sobre madeira 30x25cm

En arpentant le terrain de ce vocabulaire inventé il y a environ un siècle, la carioca Duda Moraes peint « La Huaca », « Sacsayhuaman », « Atahualpa » et d’autres toiles d’une grande vigueur et éloquence, réalisées peu après son voyage au Pérou et qui intègrent son premier solo-show à Belo Horizonte. Ces œuvres portent, dans leurs titres et leurs tailles, les marques de son voyage non seulement physiques mais aussi sensibles aux terres voisines de notre pays. Ces vestiges chromatiques chargés de contrastes et de sensibilité explicite, renvoient justement à certaines ambitions du bref mais marquant mouvement orphiste et le déplacent temporellement en le reliant de façon singulière à la culture péruvienne, qui à son tour, assimile les traditions indigènes et espagnoles. Dans le mouvement opéré par Duda, l’avant-garde européenne dialogue et contraste simultanément avec les mythes ancestraux incas et le baroque particulier des Andes au beau milieu du Minas Gerais[1], réaffirmant la capacité de la peinture à associer poétiquement et conceptuellement des moments et des lieux souvent distancés par les historiographies figées.

Dans « Coricancha », une toile de grand format qui mérite le détour, un disque jaune, dense et lumineux peint à l’huile, se situe au sommet du tableau et flotte sur des vélatures pour faire symboliquement référence au « temple d’or » inca situé à Cusco. Dans cette œuvre, des formes organiques, multicolores, qui parfois insinuent un certain caractère géométrique, tantôt se juxtaposent, tantôt s’entremêlent, concevant une sorte de paysage ou de construction inconsciente, suggérant les sensations du contact de l’artiste avec la puissance matérielle et immatérielle de l’édifice sacré en question. Pour Duda, peut-être est-il impossible de représenter exactement l’impact de son expérience lorsqu’elle pénétra dans cette enceinte singulière. Ainsi, le caractère fugace et louable de l’ambiguë abstraction de ce tableau sert magistralement à rappeler la perplexité que beaucoup d’entre nous ressentent en s’immergeant et en s’abandonnant corps et âme à certains espaces dédiés au sacré.

À une époque des arts sensationnalistes et a priori relationnels, les œuvres de Duda cherchent à sillonner des lieux de façon romantique, échappant à la massification et à l’anxiété consumériste ou même, à une idée superficielle de la brésilianité. L’intérêt de l’artiste ne réside pas seulement dans la physicalité de la toile et des tubes de peintures, mais aussi dans une traversée, un voyage individuel, émotionnel et immatériel. Une promenade à travers les montagnes et les terres saintes, les maisons de ceux qui ont souffert et souffrent encore de l’invasion colonialiste. Les œuvres de l’artiste révèlent un voyage qui ne prendra jamais fin dans un lieu concret et spécifique, car le destin de la véritable terre sacrée de la peinture évoquée par Duda est l’infini.

[1] Un des états du Brésil

Alvaro Seixas, Rio de Janeiro, mars 2017.

Duda Moraes, Série Tropical 5. Huile sur toile 38 x 46 cm
Duda Moraes, Série Tropical 5. Huile sur toile 38 x 46 cm