Flora Hommand et Vincent Dalbera

Flora Hommand et Vincent Dalbera

Vue de l’exposition Caresser nos lieux et leurs histoires

ENTRETIEN / Flora Hommand et Vincent Dalbera autour de l’exposition Caresser nos lieux et leurs histoires
par Chiraz Salah

Chiraz : Nous nous retrouvons tous les trois pour échanger sur votre travail, et plus particulièrement autour de l’exposition Caresser nos lieux et leurs histoires, qui a eu lieu du 15 au 25 octobre 2020 au 24 Culturé, un lieu associatif à Pantin. 
Je voudrais savoir comment vous avez initié ce projet d’exposition en duo ? Et comment vous avez pensé l’installation, la scénographie ? J’ai pu noter qu’il y avait une sensation de proximité aux œuvres ; on entre dans l’intimité du regard et du journal de bord, du journal intime. C’est une invitation faite au spectateur qui feuillette, manipule, écoute au casque ou contemple simplement.

Flora : Vincent et moi avons tous les deux une sensibilité à l’espace que nous formalisons de manière différente dans nos travaux. Ce désir de réunir nos univers est né après la période du confinement. Ce grand moment de pause inédit a laissé éclore la réalisation de plusieurs productions en relation avec nos environnements de vie respectifs, la périphérie parisienne pour Vincent et les Alpes Maritimes pour moi. Je travaille dans le pôle expo du collectif Culturé, c’est tout naturellement que j’ai proposé à Vincent d’imaginer une exposition commune qui rendrait compte de tout ce que nous avons palpé pendant cette étrange année 2020.
Vincent :  C’est tout naturellement que j’ai accepté ! Trouvant intéressant le format en dialogue d’une exposition. J’étais content de retravailler avec une amie. Concernant l’installation, nous avons voulu créer un espace accueillant où les visiteurs peuvent se mettre à l’aise. 

F : Traitant d’une thématique liée à l’espace, il nous a paru essentiel d’inciter le visiteur à avoir une posture de corps qui puisse le rendre actif et attentif à nos travaux. En effet, nous exposons un certains nombre d’éditions qui nécessitent un temps calme de consultation. 
V : Je ne voulais pas que les choses soient accrochées, donc nous invitons les visiteurs à retirer leurs chaussures et à s’asseoir sur des coussins, avec une table basse au design rappelant les façades d’habitats collectifs. La lumière bleue qui éclaire l’espace est presque souterraine, et renforce l’idée d’un travail à propos de l’extérieur, dans une exposition à l’intérieur ; c’est un moment de recueillement.

F : Il fallait matérialiser la douceur que le titre “Caresser nos lieux et leurs histoires” insinue.

C : Cette exposition est pensée comme un dialogue, deux voix qui se mêlent, au point qu’on ne sache pas toujours qui parle, qui a réalisé quelle œuvre.J’ai relevé quelques éléments présents dans votre travail, à savoir, le paysage : naturel, urbain et présent dans l’imaginaire collectif ; ainsi que le corps : la présence, le ressenti physique et l’absence de corps.Peut-être, pouvez-vous m’en dire plus sur ces deux éléments, chacun votre tour, mais également sur le vis-à-vis de vos pratiques artistiques complémentaires ?

V : En effet, il y a un regard photographique qui se ressemble dans notre travail par l’absence de corps, et se complète avec le travail narratif de Flora. Pour ma part, les photographies sont sans corps, mais induisent que le spectateur se projette et imagine sa propre histoire ou sa propre action dans la scène. Les images ont l’air assez simples et documentaires, mais je ne prends que des choses qui m’ont vraiment touché : une texture, une architecture, une atmosphère, un détail. Comme l’a si bien décrit Roland Barthes dans La chambre claire (1), j’espère que l’image peut être “habitable”. L’image laisse la place au spectateur. En photographiant des lieux publics, par exemple dans la série Souvenirs aux bords :  il y a un arbre, une façade d’immeuble, une rue, une école ; ce sont des souvenirs de lieux qu’on pourrait tous avoir. Également, les lieux sont vides, mais on sent qu’il y a le corps du photographe, derrière l’image.

F : Un peu comme Vincent, souvent lorsque je vais quelque part ou que je me promène dans un endroit, j’aime me demander “est-ce que je pourrais vivre ici ?” Il y a aussi la question d’une danse potentielle. C’est à dire quels mouvements sont induits par l’agencement de l’espace, la lumière, les bruits environnants ; tout ce qui nous englobe. Je pense que dans ce mot, dans l’idée de caresser, il y a l’idée d’un passage, d’une douceur, par lequel Vincent et moi cherchons à faire ressurgir un certain état d’être au monde. Donner du temps pour voir tous ces espaces du quotidien, c’est s’émerveiller du presque rien. Personnellement, cet émerveillement est essentiel pour moi, car il prend le contre-pied du trop-plein d’informations qui abonde dans notre environnement. Dans la série de planches photographique Les collines ou la vidéo Où sont les enfants ? il y a l’idée d’une chorégraphie sans corps. Ce montage ou cet assemblage d’espace me permet de faire une sorte de jonglage entre différentes sensations, mémoires, ressentis de l’espace et de conjuguer différents temps. Il s’agit d’opérer une subjectivation de l’espace public, et faire du spectateur un danseur potentiel. Tout comme l’espace qui est un lieu de traversées, le corps est lui-même traversé. Par exemple la nouvelle Marcel et moi rend compte de la manière dont le paysage ou l’environnement modèlent notre sensibilité.

C : Qu’est-ce qui vous anime ? Pouvez-vous m’expliquer les intentions plus personnelles de vos démarches ?

F : J’ai la sensation que tout va très vite et j’ai besoin de mettre le doigt sur ce qui est en train de changer, de se transformer. Il peut s’agir de gestes, de paroles, de paysages, de corps, de comportements, etc. J’aime cette idée de “migration de mœurs” comme on peut le voir dans le travail de l’artiste Julika Rudelius. Je cherche les points de frottement entre le public, l’intime, le global, le local et toujours avec la question de la proprioception, c’est-à-dire : comment inscrit-on notre corps dans le réel ?

V : La conscience de l’espace autour de moi, une hyper attention, la création de moments marquants. Tout passe et ne finit jamais. Aussi, ce qui est intéressant en photo c’est que je suis moi-même spectateur. Donc le spectateur de la photographie est lui-même spectateur d’un spectateur : le photographe.Ce qui m’intéresse donc, c’est travailler un regard sur le quotidien et créer des moments. Comme définir une action ou un cadre dans lequel il y a un possible. Par exemple quand je décide de marcher du centre de Paris vers les champs, je crée un possible. Pendant une journée définie dans laquelle je fais une expérience, et ensuite un compte rendu. Il y a une intention de départ, mais souvent d’autres choses inattendues arrivent. Je dessine un chemin et j’accepte ce qui m’arrive. J’avance. Il y a un côté cinématographique.

C : Merci à tous les deux pour cette discussion riche de sensations et d’observations sur le monde qui nous entoure. 

  1. Roland Barthes, La Chambre claire : Note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980, p. 66.

FLORA HOMMAND – BIOGRAPHIE
Flora Hommand vit et travaille à l’Île Saint-Denis. Après des études en design de mode, elle obtient son DNSEP à l’ENSA de Bourges en 2016. Elle aborde les récits du quotidien par la performance, la vidéo et l’écriture. Son travail a été exposé au festival Premier Plan à Angers, à la MPAA, également curatrice, elle intègre le groupe de travail F.A.M. à l’initiative de l’exposition collective 2 temps 3 mouvements au DOC en 2019 et rejoint le collectif Culturé en 2020.
www.florahommand.com@notes_sur_le_geste

VINCENT DALBERA – BIOGRAPHIE
Vincent Dalbera vit et travaille à Bagnolet. Suite à une première expérience en graphisme, il sort diplômé de l’ENSA de Bourges et entreprend un séjour d’un an au Japon. À travers la photographie, l’édition et le textile, il explore la représentation de l’espace urbain et son expérience avec le corps. Il a participé à plusieurs expositions, récemment au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, au DOC et à la Confrèrire.
www.vincentdalbera.com@vincentdalbera

CHIRAZ SALAH – BIOGRAPHIE
Chiraz Salah vit et travaille à Paris. Après un master à l’ENSA de Bourges, elle entreprend des projets plastiques et curatoriaux, en France et en Palestine. Voulant conjuguer création artistique et mise en place de projets culturels, elle suit actuellement une formation auprès de l’Agence Européenne de Management Culturel.
@chiraz.salah

Vue de l’exposition Caresser nos lieux et leurs histoires
Vue de l’exposition de « Caresser nos lieux et leurs histoires » avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l'exposition de "Caresser nos lieux et leurs histoires" avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l’exposition de « Caresser nos lieux et leurs histoires » avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l'exposition de "Caresser nos lieux et leurs histoires" avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l’exposition de « Caresser nos lieux et leurs histoires » avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l'exposition de "Caresser nos lieux et leurs histoires" avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l’exposition de « Caresser nos lieux et leurs histoires » avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l'exposition de "Caresser nos lieux et leurs histoires" avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l’exposition de « Caresser nos lieux et leurs histoires » avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l'exposition de "Caresser nos lieux et leurs histoires" avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l’exposition de « Caresser nos lieux et leurs histoires » avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l'exposition de "Caresser nos lieux et leurs histoires" avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l’exposition de « Caresser nos lieux et leurs histoires » avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l'exposition de "Caresser nos lieux et leurs histoires" avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.
Vue de l’exposition de « Caresser nos lieux et leurs histoires » avec Flora Hommand et Vincent Dalbera au 24 Pantin. Octobre 2020.