FLORIAN MERMIN

FLORIAN MERMIN

Florian Mermin, Replanter des choses oubliées. 62e Salon de Montrouge, Le Beffroi, Montrouge, 2017 Courtesy Backslash. Photo Florian Mermin

ENTRETIEN / Florian Mermin
Initialement paru dans la revue trimestrielle Point contemporain #12 mars-avril-mai 2019

Par Valérie Toubas et Daniel Guionnet, fondateurs et rédacteurs en chef de la Revue Point Contemporain

Tout mon travail est parcouru par le motif de la main,
celle qui façonne la matière,
cueille la fleur ou encore forge le métal.

Les installations de Florian Mermin ont cette fascinante faculté de rendre immédiatement captif le visiteur qui y pénètre. Pattes d’araignée, têtes de crocodile ou de chouette, figure d’amour dévorante, mains et pieds griffus, parfum entêtant, annoncent l’entrée dans un espace qui, bien que semblant confortable et propice à la songerie et l’abandon, peut visiblement le piéger à tout moment dans un jeu d’apparences. Au fil de la déambulation, rien de ce qui s’offrait au regard dans le lointain, ne se révèle la même chose à proximité. En sculpteur démiurge, Florian Mermin nous dit « en manipulant la matière, la réalité change ».
La main de l’artiste a cette capacité « de modifier le réel juste en le touchant » et il convie le visiteur qui parcourt ces espaces étranges à en effleurer les éléments et à s’imprégner de son « mystère » (Mallarmé). À l’évidence, tout n’est qu’illusion et trouble, les choses se jouant de nous, car l’artiste tend, comme Des Esseintes reclus dans sa demeure de Fontenay-aux-Roses, à « substituer le rêve de la réalité à la réalité elle-même. »

Que retiens-tu de ton incursion dans la réalité virtuelle avec ta participation au projet Le Building. The Videogame. ?
En tant que sculpteur, cette proposition du Shuttle 19 a été un challenge qui méritait d’être relevé. J’ai dû m’adapter pour passer de la 3D à une image 2D qui a un filtre presque impersonnel et cette propension à déréaliser l’environnement par une simplification des textures, d’autant plus que je n’ai pas vraiment d’affection pour les matières lisses. À travers mes sculptures, je m’exprime simplement avec mes mains. J’ai ce besoin de toucher la matière, de la griffer, d’y imprimer la force de la main et d’y laisser l’empreinte de mes doigts, de la modeler tout en laissant du relief. Je suis aussi sensible au contraste entre les matériaux, aimant associer certains durs ou rugueux comme le métal, le béton, avec d’autres très doux comme le tissu ou les végétaux. Dans mon travail, j’essaie toujours de créer une sorte d’expérience du corps. J’ai fait le choix d’investir un espace extérieur, le rooftop, avec cette idée déjà présente dans mesinstallations au Salon de Montrouge et à l’exposition des Félicités des Beaux-Arts de Paris de retranscrire un espace reconstitué mais naturel avec toujours cette ambiguïté entre intérieur et extérieur. J’ai constitué un jardin dans lequel le joueur pénétrait après que sa main ait touché une araignée et fusionné avec elle. Il accédait alors à plusieurs espaces et devait accomplir des tâches, comme passer une porte, ramasser des perles, constituer une toile et même jouer un morceau de musique. Cette possibilité de composer un univers virtuel m’a permis de renvoyer à mes propres références artistiques en reformulant de manière inédite certaines étapes de mon processus créatif. Mes pièces développent de nombreux liens entre elles, je les considère un peu comme issues de la même famille.

Quels sentiments cherches-tu à procurer chez le visiteur quand il parcourt tes installations ? curiosité ? interaction ? 
Il est important que les spectateurs soient intégrés par les œuvres, passent des rideaux, effleurent les sculptures qui sont disposées à leur portée. Je positionne les éléments de telle sorte que le visiteur soit guidé dans son déplacement.
Je l’invite à une balade faussement tranquille car il peut déclencher par sa présence des sons comme ceux des pas dans le sable, il peut prendre une tasse de thé, sentir des odeurs de fleurs, de bougies ou même manger des bonbons. Par le fait que mes accrochages soient au niveau de toute partie du corps ou au niveau du regard, il se crée une sorte de frottement et une proximité avec les œuvres. J’ai ainsi composé une série de quatre « tableaux » en bois avec des faces de chouette placées à l’envers. Une sorte de face-à- face qui intrigue car le motif, tout en étant familier, échappe à la plupart d’entre nous. Un petit temps d’adaptation est nécessaire pour discerner tous les reliefs tant la forme se fond dans la couleur sombre du bois. De même, dans les parties végétalisées de mes installations, je place des éléments textiles qui rajoutent à l’ambiguïté de l’ensemble.

Tes installations évoquent aussi des lieux intimistes…
Je crée mes installations en fonction du lieu d’exposition. Jusqu’à présent, la taille des espaces m’a permis de scénographier des atmosphères plutôt intimes dans lesquelles je procède à des détournements d’objets domestiques qui m’entourent, sondant la frontière entre art et vie afin de voir à quel point l’un l’emporte sur l’autre, interrogeant comment une assiette peut être vue comme une sculpture ou un objet artisanal. Une distinction entre artisanat et art contemporain dont j’ai conscience, mais qui ne me pose aucun problème. J’ai plaisir à mêler les deux, à travailler la céramique autant que le fer forgé. Un objet tissé comme un tapis peut tout à fait appartenir pour moi au domaine de l’art.

Une conception du rapport à l’œuvre qui est loin des codes du white cube
Je suis toujours friand des propositions qui me sont
faites d’exposer dans des lieux incongrus ou dans des appartements car mon travail est lié à une certaine domesticité. Dans les white cube, je repeins parfois les murs ou les recouvre de feuilles de journaux. Je retravaille les éclairages et n’utilise jamais les socles classiques blancs, carrés tels qu’ils existent. Je crée mes propres socles en bois ou en fer forgé car chaque élément présent dans l’installation participe à une ambiance sensorielle avec cette idée que, plutôt que de placer le visiteur face à une œuvre sacralisée, je le transporte vers un ailleurs. Je reconvoque aussi mes pièces en les plaçant de manières différentes selon les propositions parfois même en les dissociant comme pour les pattes d’araignée qui ceinturaient l’espace au 62e Salon de Montrouge (Replanter des choses oubliées, 2017).

Florian Mermin, J’ai laissé les fleurs du jardin se faner. Exposition Vertige en terrain plat, Galerie Eva Meyer - Project Room, Paris, 2016 Courtesy Backslash. Photo Florian Mermin
Florian Mermin, J’ai laissé les fleurs du jardin se faner. Exposition Vertige en terrain plat, Galerie Eva Meyer – Project Room, Paris, 2016 Courtesy Backslash. Photo Florian Mermin

Tu agis aussi sur l’atmosphère avec un jeu de semi-obscurité propice au mystère…
J’ai une approche de l’exposition qui est assez théâtrale et même dramaturgique. Je suis très attaché à la manière dont sont perçues les œuvres et j’accorde pour cela beaucoup d’importance à la lumière et au socle. Les deux font partie de l’œuvre elle-même. Lors de mon diplôme en 2015, j’ai plongé l’espace dans le noir avec un seul éclairage artificiel qui s’intensifiait tout au long du parcours, donnant la sensation d’une temporalité marquée par rapport au jour et à la nuit.
Une expérience qui faisait référence à un souvenir d’éclipse solaire. Certains projets sont au contraire éclairés avec des néons artificiels bien plus brutaux, je fais en sorte que la perception des pièces soit franche ou discrète cherchant à questionner les notions d’apparition et de disparition.
Je cherche à créer des affects afin que se produise une rencontre. Si chaque œuvre est autonome, elles se répondent et ouvrent sur d’autres parties de l’exposition. J’établis un récit qui s’élabore à la lecture des pièces et qui se nourrit de ce qui y est progressivement découvert. Une narration au final très libre puisque les images que j’interpelle à travers les œuvres sont pour beaucoup empruntées à l’imaginaire collectif. Il est assez facile de s’identifier ou de les interpréter de différentes manières. Tout en donnant des indices, je ne définis que très partiellement les éléments exposés afin d’ouvrir plein de possibilités d’interprétation et de mettre en jeu des affects qui sont toujours très pluriels.

Avec toujours ce trouble entre le vrai et le faux, le confortable et le piquant ?
Je définis mes pièces comme des cadeaux empoisonnés. De loin, elles ne révèlent pas vraiment ce qu’elles sont réellement et si elles attirent, ce n’est que rarement pour la bonne raison. J’induis faussement les choses, donne une sensation de légèreté alors que le sens de la pièce est parfois plus grinçant, place dans la bouche de La Belle Soupirante un pot-pourri de roses afin qu’on puisse sentir son haleine… J’aime beaucoup quand une texture en imite une autre, ces jeux d’illusion sur le proche et le lointain qui piègent le regard tout comme j’aime jouer avec des formes familières que je détourne soit par leur format soit par des parties qui peuvent nous agresser et qui contredisent alors l’utilité de l’objet. Dans ce travail sur les jeux d’apparences et de faux-semblants, le motif du masque est présent sous de multiples formes. Des indéterminations qui laissent des possibilités de basculement comme ces monochromes verts qui se révèlent être des branches de sapin quand on s’en approche…

Florian Mermin, The owls are not what they seem, 2016. Exposition L’AMOUR, Bagnolet Courtesy Backslash. Photo Florian Mermin
Florian Mermin, The owls are not what they seem, 2016. Exposition L’AMOUR, Bagnolet Courtesy Backslash. Photo Florian Mermin
Florian Mermin, The owls are not what they seem, 2016. Exposition L’AMOUR, Bagnolet Courtesy Backslash. Photo Florian Mermin
Florian Mermin, The owls are not what they seem, 2016. Exposition L’AMOUR, Bagnolet Courtesy Backslash. Photo Florian Mermin
Florian Mermin, The owls are not what they seem, 2016. Exposition L’AMOUR, Bagnolet Courtesy Backslash. Photo Florian Mermin
Florian Mermin, The owls are not what they seem, 2016. Exposition L’AMOUR, Bagnolet Courtesy Backslash. Photo Florian Mermin
Florian Mermin, Le jardin des lys (nos chemins partagés) - du 18 novembre au 18 décembre 2021 - Courtesy Backslash
Florian Mermin, Le jardin des lys (nos chemins partagés) – du 18 novembre au 18 décembre 2021 – Courtesy Backslash
Florian Mermin, Le jardin des lys (nos chemins partagés) - du 18 novembre au 18 décembre 2021 - Courtesy Backslash
Florian Mermin, Le jardin des lys (nos chemins partagés) – du 18 novembre au 18 décembre 2021 – Courtesy Backslash
Florian Mermin, Le jardin des lys (nos chemins partagés) - du 18 novembre au 18 décembre 2021 - Courtesy Backslash
Florian Mermin, Le jardin des lys (nos chemins partagés) – du 18 novembre au 18 décembre 2021 – Courtesy Backslash

FLORIAN MERMIN – BIOGRAPHIE
Né en 1991 à Longjumeau
Vit et travaille à Paris
www.florianmermin.com

Représenté par Backslash Paris
www.backslashgallery.com