LÉNA HIRIARTBORDE, RDV À LA SOURCE

LÉNA HIRIARTBORDE, RDV À LA SOURCE

ENTRETIEN / Léna Hiriartborde autour de Rdv à la source
par Cléo Verstrepen

Au cours d’une série de résidences à Dos Mares, au LabGamerz et aux ateliers Jeanne Barret en avril et mai 2021, Léna Hiriartborde prépare Rdv à la source, une performance qu’elle présentera dans le cadre de Métaboles le samedi 26 juin 2021. 

Son travail pose un regard attentif, presque archéologique, sur les espaces, leurs histoires et les présences en latence. 

L’œuvre réalisée in situ pour Jeanne Barret s’attache à questionner la généalogie du lieu et en révèle des vies invisibles au premier abord. Pour cela, elle sonde les entrailles de l’ancienne huilerie et s’empare de façon mi-scientifique, mi-fantasmée, des mystères qui s’y déploient. Dans un geste à la fois intime et politique, elle nous invite à prêter attention aux choses cachées et à remettre du sacré dans nos environnements les plus bruts.

Peux-tu me parler de ton processus de travail et de la manière dont tu as abordé les espaces de Jeanne Barret ?

Ma pratique se déploie le plus souvent de manière contextuelle. Chaque lieu résonne et donne une teinte aux projets qui s’y déploient. Partir d’un environnement pour en proposer une lecture, y révéler des présences et des cohabitations, est au centre de mon processus de travail. Aux ateliers Jeanne Barret, les traces des différentes fonctions passées, la présence d’un puits à l’apparence d’une banale bouche d’égout, ont attirés mon attention.

Comment en es-tu venue à t’intéresser à ce puits ?

En venant prospecter pour la première fois dans les lieux en pleins travaux, j’ai été impressionnée par ce grand espace. J’avais dans l’idée de m’intéresser aux végétaux qui poussaient dans ses recoins, extérieurs ou non, aux insectes, aux animaux, aux matériaux de construction, aux différentes activités des humains… Mais ce lieu, comment dire ? Était très emmuré. Puis on m’a présenté le puits. Il était là, une entrée poussiéreuse sous une dalle de métal que j’étais bien incapable de soulever. Il s’est présenté comme le support parfait, l’allié mystérieux qui me permettrait de faire des liens avec le passé, avec une autre forme d’organisation, avec une époque où les murs qui s’érigeaient ne cachaient pas encore le ciel, où la rupture entre les mondes humains et plus qu’humains n’était pas aussi marquée. Avec tout un monde souterrain dont on ne soupçonnait pas l’existence de prime abord. Un endroit qu’il fallait apprivoiser.

La source évoque souvent l’origine de la vie et ce qui m’intéresse, c’est de passer par cet élément pour faire des liens avec le passé du lieu et les mettre en perspective avec ce qu’il est devenu aujourd’hui. Il s’agit d’un espace très urbanisé, construit, industriel, un décor avec lequel le puits, qui a quelque chose d’un peu archaïque et bucolique, dénote. 

Quelle a été ta démarche pour appréhender cet élément et l’intégrer à ton dispositif performatif ?

J’ai mené une sorte d’enquête, observé, pris des notes. J’ai plongé en quelque sorte dans les profondeurs du puits pour voir s’il avait des secrets à me révéler. J’ai beaucoup supposé. 

Il y avait cet espace en profondeur à explorer, mais aussi un autre espace en hauteur qui se construisait dans le même temps – une cimaise haute de huit mètres qui servirait d’écran de projection – d’une dimension à peu près similaire, ce que j’ai trouvé très joli. J’ai eu envie de travailler avec ces deux espaces. 

Tu fais en quelque sorte une archéologie du lieu alors même que celui-ci est en pleine mutation.

Oui, ou du moins une étude approfondie… J’ai souvent fonctionné comme ça quand je travaillais dans des lieux non naturels, à faire des sortes d’enquêtes, des constats d’état, en prenant note de toutes les aspérités, les traces de mobilier, les mégots qui traînent dans un coin, tous les indices qu’il peut y avoir sur une vie passée ou en train de se dérouler. Mais aussi sur des vies autres qui se déploient, celles de toutes les espèces qui y cohabitent. Faire cet état des lieux permet de se rendre plus attentif à tout ce qui est là. Quand tu nommes les choses, tu les révèles et tu les fais exister. C’est une démarche très enfantine, sans préjugé ou a priori sur les choses. Alors que le regard adulte est très orienté, cette posture permet de découvrir des choses à côté desquelles on passerait en temps normal. Car elles ne seraient pas définies comme essentielles… Ce sont ces choses mises à la marge qui m’intéressent.

Peux-tu nous dire ce que tu y as découvert d’intéressant ? 

(Rires). Je ne peux pas révéler les secrets du puits. Aussi bien, il pourrait ne pas exister. Qui le saura ? 

En faisant des recherches sur le quartier, j’ai appris des choses intéressantes sur Les Crottes. En fait ce nom vient du mot « grotte » qui dérive de « crypta » en latin, un élément de plus en lien avec ce monde souterrain. Originellement, il y avait apparemment des cavités souterraines, c’était une zone très calcaire et il y avait des arrivées d’eau de toutes les contrées alentours qui affluaient dans la vallée de Marseille puis vers la mer. Ce nom a été donné au Moyen-Age, mais on a peu d’informations. On peut soupçonner qu’ils y faisaient vieillir le vin, qu’il y avait peut-être des caves, grâce à des histoires et des expressions provençales qui disent que « dans les crottes, le vin est bon ». Pour moi cela résonnait d’autant plus avec le fait d’aller explorer ce qu’on ne voit pas au premier abord, de décaler dans les profondeurs de la terre. 

Lena Hiriartborde
Lena Hiriartborde

Je pense à tous ces mouvements et à cette vie souterraine dont on ne soupçonne pas l’existence. On évoque souvent le monde terrestre, le monde marin, mais pas celui des sous-sols, alors qu’il est très riche. 

Oui, et assez méconnu. J’ai interviewé un astronome sur les origines de la vie et il m’a raconté des tas de choses sur la formation de la terre. Il m’a parlé de son centre, qui n’a jamais été approché à plus de 12 km (sur 12 000 km de diamètre environ). Dans l’espace, on a de la visibilité, mais là-dessous on ne voit rien. Les humains ne sont pas à l’aise avec les entrailles, nous sommes des êtres de surface, très visuels dans notre rapport à l’environnement. Je mène en ce moment un projet sur un livre de George Sand qui s’appelle Laura, voyage dans le cristal, écrit juste avant le Voyage au centre de la Terre de Jules Verne – qui s’en serait d’ailleurs beaucoup inspiré. Elle change d’échelle, évoque le cristal comme un pays lointain, souterrain et merveilleux, elle suggère les trésors infinis que la terre recèle tout en critiquant l’exploitation des ressources que cela peut impliquer. Je trouve qu’il y a un parallèle très intéressant à faire entre le corps et la terre. On parle du « ventre de la terre » comme si on entrait dans un corps – de nombreux rituels existent avant d’entrer dans les mines par exemple -, c’est une chose qui a été et demeure très sacrée dans de nombreuses sociétés. Et c’est vrai qu’en pénétrant les sous-sols, avec ma lampe, avec mes outils d’observation bricolés, j’ai eu déjà la sensation de déranger un environnement. De violer en quelque sorte la tranquillité et stabilité de ce milieu. Je l’ai fait très doucement et silencieusement. Ça m’a donné envie d’intervenir au minimum.

Dans ce sens, quelle est ta relation à cet endroit ?

Je crois que l’aspect sacré d’un lieu appelle à lui porter un respect particulier. Et c’est un premier pas vers une écologie sensée, le respect des autres formes de structures, animée ou inanimées… Dernièrement j’ai passé du temps dans une ferme de plantes médicinales. J’ai donc été beaucoup dehors. J’ai pu observer et sentir toutes les présences non-humaines, leurs activités, leurs puissances de vie, dès le réveil et jusqu’à la nuit. Je me suis laissée absorber à écouter ces autres, m’en suis imprégnée. Mais depuis quelques mois avec le confinement j’ai été beaucoup à Marseille, coupée de tout ça. Dans cet univers industriel, le puits forme une sorte d’enclave, un point de contact avec l’organisation naturelle qui était là bien avant nous, une mémoire qu’il me semble important de partager et d’honorer. 

Cléo Verstrepen pour D.D.A Contemporary Art.

Métaboles est un évènement artistique, organisé aux Ateliers Jeanne Barret, Marseille, du 22 au 26 juin et co-produit par 1979, Ateliers Jeanne Barret, DDA Contemporary Art, M2F Créations|LabGAMERZ et OTTO-Prod.

LÉNA HIRIARTBORDE – BIOGRAPHIE
Diplômée de la Haute École des Arts du Rhin à Strasbourg en 2015, dans le groupe de recherche Arts Hors Formats orienté vers la performance et lʼart digital.
https://lenahiriartborde.net/

Lena Hiriartborde Résidence Dos Mares
Lena Hiriartborde – Résidence Dos Mares
Lena Hiriartborde Résidence Lab Gamerz
Lena Hiriartborde Résidence Lab Gamerz