JAE KYUNG KIM / EINBUCH.HAUS

JAE KYUNG KIM / EINBUCH.HAUS

Vue d’exposition Two Pages (Konstantinos Trichas et Dionysis Livanis)
A physical book in the making, 2018
einBuch.haus ℅ Prenzlauer Studio (image Dionysis Livanis)

ENTRETIEN / Jae Kyung Kim / einBuch.haus

par Alex Chevalier dans le cadre de « Entretiens sur l’édition »

Situé à Berlin, einBuch.haus est un espace, qui comme son nom l’indique est dédié au livre. Fondé par Jae Kyung Kim en 2018 cet espace s’est rapidement imposé dans le paysage de l’édition d’artiste. Chaque projet, chaque exposition qui y est présentée prend appui sur une publication et offre aux regardeur-euse-s, lecteur-trice-s une expérience immersive exclusive. Dans cet entretien, réalisé entre décembre 2021 et janvier 2022, nous revenons sur la genèse du projet, l’importance d’un tel lieu aujourd’hui, ou encore ce qu’exposer des publications implique. 

einBuch.haus est un lieu assez unique, ce n’est ni une librairie, ni une maison d’édition ou un endroit où des livres sont produits, c’est un espace d’exposition dédié aux livres. Pourriez-vous s’il vous plaît nous en dire davantage sur vos activités et comment en êtes vous arrivée à ce projet ?

einBuch.haus est une plateforme de livre d’artiste, où le livre est le personnage principal. Et comme le nom de cet espace l’indique einBuch.haus (maison d’un livre), je n’y montre qu’un seul livre par exposition. Penser du point de vue du livre et considérer la manière dont son fonds et sa forme devraient être présentés au-à la lecteur-trice. En 2018, alors que je commençais le concept actuel « ein Buch in Form eider Austellung » (un livre sous forme d’exposition), j’occupais un petit atelier où il n’y avait qu’une seule pièce. Une donnée essentielle et parfaite permettant de transformer le livre en un white cube.

« Un bâtiment à son plan, son cadre et ses matériaux, ce qui lui permet de devenir un bâtiment, de la même façon, un livre possède également sa propre structure systématique telle que le texte, la grille, et la texture qui lui permettent de devenir un livre. Comme si un groupe de bâtiments formait une communauté où une interaction culturelle pouvait commencer, les livres présentés dans l’exposition organisée par einBuch.haus encouragent le public à étendre son expérience de lecture en trois dimensions pour en faire partie. » (présentation issue du site internet einBuch.haus)

Après mon congé maternité, j’ai décidé d’agrandir l’espace pour en faire un espace d’exposition, ainsi qu’une librairie. En effet, parallèlement à chaque exposition, je présente des livres d’artistes ou des références sélectionnés en réponse au livre d’artiste exposé dans la partie galerie. Dans la boutique, il y a également une section appelée « Books on Books » (Livres sur les livres). Ainsi je dirais que einBuch.haus est un bon endroit pour commencer à découvrir le livre d’artiste pour toutes personnes souhaitant en savoir plus.

Toutes ces activités sont issues de mon parcours personnel. J’ai étudié le design et la communication visuelle à l’Université Hongik de Séoul, ainsi que le design de l’expérience utilisateur au Royal College of Art de Londres. Au cours de mon master à Londres, j’ai eu de nombreuses opportunités de travailler et participer à la réalisation d’expositions dans des musées et lieux historiques. À cette époque, j’ai appris à transformer des informations, comme les textes et les images, pour en faire des outils interactifs. 

Comme j’avais l’habitude de concevoir des livres et d’enseigner le design graphique à Séoul, je me suis progressivement mise à faire des expositions avec des livres d’artistes. C’est aussi pour cette raison que einBuch.haus expose des livres d’artistes réalisés par des artistes, mais aussi des graphistes. Ces objets présentent leurs propres concepts, aussi, je suis intéressée par le fait de prendre ce travail, de le sortir du livre et de l’exposer dans l’espace de sorte à ce que le public puisse expérimenter physiquement la publication en visitant l’exposition.

Vue d'exposition Kyoungtae Kim, Serial Compositions, 2021  einBuch.haus (image Maxim Schulz)
Vue d’exposition Kyoungtae Kim, Serial Compositions, 2021 einBuch.haus (image Maxim Schulz)

Dans l’histoire du l’édition d’artiste, et en regard de vos activités, je pense à certains projets de Seth Siegelaub, et notamment à January 5-31, qui était une publication antérieure à l’exposition éponyme laquelle était construite à partir de cette même édition. En tant qu’espace dédié aux expositions de livres, comment travaillez-vous ?

La plupart des livres d’artistes présentés à einBuch.haus existent avant que leur exposition ne soit prévue. Mais parfois, on m’implique dans le processus de création en me demandant conseil (exemple : Fictive Appearance et SEL2020HEL Diary). Mais pour être honnête, je préfère partir d’un livre existant, cela me permet de me projeter et d’imaginer comment le présenter à einBuch.haus.

Sur votre site internet, vous dites quelque chose à propos des livres qui m’intéresse : « einBuch.haus considère les livres comme des objets d’art qui peuvent être curatés et présentés dans des expositions, permettant une expérience immersive entre les visteur-euse-s, les objets et l’espace. » Vous considérez-vous comme une commissaire d’exposition ? 

Je ne me considère pas comme commissaire d’exposition. Je mets à disposition un espace où les livres d’artistes rencontre un public. Je me sentirais mal à l’aise en me présentant comme commissaire. Personnellement, je pense que le terme de « commissariat » est trop utilisé, sans considération, et perd de son sens. Je dirais plutôt que je suis une organisatrice et une collectionneuse de livres qui aime les livres d’artistes et leur donne un espace.

Tout le monde me voit différemment, certain-e-s me considèrent comme une galeriste, alors que d’autres me voient comme une organisatrice d’exposition, ou simplement comme la directrice de einBuch.haus. En réalité, je porte plusieurs casquettes. Je traduis également certains livres d’artistes ou autres ouvrages de théorie en Coréen et les publie sous le nom d’ENKR. No ISBN on self-publishing, édité par Bernhard Cella, Leo Findeisn et Agnes Blaha a récemment été publié en Coréen et a été figure parmi les cent ouvrages sélectionnés pour la foire Unlimited Edition 100 de cette année.

Vue d'exposition Antoine Lefebvre Éditions, Joyce Clay, Laura Jouan, Sun. S. Jaegal Architecture as Material, 2017 NON Berlin (image: Jae Kyung Kim)
Vue d’exposition Antoine Lefebvre Éditions, Joyce Clay, Laura Jouan, Sun. S. Jaegal
Architecture as Material, 2017 NON Berlin (image: Jae Kyung Kim)

Lorsque l’on expose des livres, il y a cette question qui nous revient toujours à l’esprit : comment exposer des livres d’artistes, surtout lorsque l’on pense à leur nature, le fait qu’ils soient pensés pour être manipulés, etc. Comment approchez-vous ces questions curatoriales ? 

Nous avons une règle à einBuch.haus, tous les livres présents dans la boutique ou dans l’espace d’exposition sont à lire, à toucher, à expérimenter, sans restrictions. Bien sûr, il existe aussi des livres uniques ou de valeur, que je ne peux pas me permettre de payer. Jusqu’à présent, les artistes n’ont pas demandé à montrer leurs œuvres avec des gants blancs ou à l’intérieur d’une vitrine, cela met une distance et restreint les interactions. Heureusement, il n’y a eu aucuns problèmes à montrer le livre d’artiste tel qu’il est. Je suppose que les artistes qui présentent leurs œuvres à einBuch.haus, tout comme les publics, adhèrent à cette idée.

De plus, nous proposons également des workshops permettant d’affiner ses connaissances sur le livre d’artiste. Prenons Timaios 1-6 de Katharina Kamph par exemple, ce livre d’artiste est un kit de bricolage permettant de réaliser une sculpture de petite taille directement inspirée d’un précédent projet de sculpture en papier qui prenait des dimensions bien plus importantes. Nous avons mis en place un workshop pour que les lecteur-trice-s puissent « lire » et faire une sculpture directement depuis l’édition, avec l’artiste, ou encore Bookface, un autre livre d’artiste réalisé par Yan Gi Cheng qui doit être porté sur le visage dans le cadre d’une performance. Si les artistes avaient peur que l’on endommage leurs éditions, alors ils-elles ne réaliseraient pas ce type d’ouvrage.

Chez einBuch.haus, nous encourageons les gens à prendre les livres, à les lire, voire-même, à les marquer. Un jour, chaque livre sera unique, contenant de nombreuses traces.

Yataro Niwa, Yuto Takamuro Fictive Appearance, 2020 (image : Yuto Takamuro)
Yataro Niwa, Yuto Takamuro Fictive Appearance, 2020 (image : Yuto Takamuro)

Nous touchons là un point intéressant : vous considérez les éditions d’artistes comme des objets fait pour être manipulés et non comme des livres fait pour être vus. De plus, le fait de travailler avec des artists contemporains doit certainement aider, cela serait probablement différent avec des éditions historiques. Aussi, est-ce important pour vous de travailler avec des artistes contemporain-e-s ? Quel regard portez-vous sur les pratiques éditoriales contemporaines ?

Oui, je me concentre sur la scène contemporaine et essaie de soutenir les artistes en les encourageant à continuer de travailler avec ce médium. Les publications plus historiques ont d’avantage de chances d’être exposées et exploitées dans les musées et autres grandes institutions.

Les livres d’artistes publiés dans les années 1960 – 1970 sont bien évidemment des références pour moi et parfois, ces œuvres peuvent être des points de départ pour des projets de commissariat. Les catalogues d’expositions sont également souvent des références pour moi, comme par exemple Big Book d’Alisson Knowles qui s’est déroulée à la Something Else Gallery en 1967.

Pour en revenir à la seconde partie de la question, j’aime pouvoir inviter des artistes et prendre part, d’une façon ou d’une autre, à leur projet. Durant cette pandémie, par exemple, j’ai été contacté, j’ai répondu à des requêtes et des e-mails qui par la suite sont devenus des œuvres, un livre d’artiste et une exposition, comme par exemple le projet de Claudia de la Torre Books are Bridges. J’aime ces types d’échanges et de processus créatifs.

Récemment, il y a eu de nombreuses tentatives pour élargir la forme du livre dans les espaces matériels et immatériels. Les outils de communication sont devenus une partie indispensable de nos vies et la façon d’échanger des informations a été modifiée pour passer de l’analogique au numérique. Mais cette transition ne se fait pas en passant d’un côté ou de l’autre, mais plutôt dans les deux sens. Les pratiques éditoriales récentes cherchent une possibilité de représenter les points clés qui forment le livre, tels que le mot et l’image, et inversement. Avec l’aide du numérique, le livre lui-même transforme et reconfigure la dynamique entre le mot et l’image.

En 2022, einBuch.haus va se concentrer sur les livres d’artistes usant de ces différents « espaces ». Il y a trois espaces : l’espace du livre, les e-book ou VR book et l’espace de la galerie qui permettent alors d’expérimenter, de percevoir et d’interagir avec le contenu-même. La façon dont l’information est réalisée et proposée dans ces différents médiums sera le point clé pour nos expositions à venir cette année.

Vue d'exposition Fictive Appearance, 2020 (image : Yuto Takamuro)
Vue d’exposition Fictive Appearance, 2020 (image : Yuto Takamuro)
Katharina Kamph réalisant son édition Tiamaios 1-16 à MISS READ, 2019 (image Mikyung Song)
Katharina Kamph réalisant son édition Tiamaios 1-16 à MISS READ, 2019 (image Mikyung Song)
Vue d'exposition An Onghena Paraphrase / ˈpærəfreɪz /, 2021 (image : Olivia Kwok)
Vue d’exposition An Onghena Paraphrase / ˈpærəfreɪz /, 2021 (image : Olivia Kwok)
Catalogue  : ein Buch in Form einer Ausstellung 2021, 2021 édité par einBuch.haus, Berlin
Catalogue : ein Buch in Form einer Ausstellung 2021, 2021 édité par einBuch.haus, Berlin