GAUTHIER HUBERT

GAUTHIER HUBERT

Gauthier Hubert, Portrait d’une jeune fille ayant un nez, deux yeux, une bouche et deux oreilles, 2020. Huile sur toile, 70 x 47 cm (private collection)

FOCUS / Gauthier Hubert
Initialement paru dans la revue trimestrielle Point contemporain #19 décembre-janvier-février 2021

Par Valérie Toubas et Daniel Guionnet, fondateurs et rédacteurs en chef de la Revue Point Contemporain

Venant d’un lointain passé ou de ses dernières rencontres, les figures peintes de Gauthier Hubert méritent qu’on les accueille non comme de simples portraits, mais comme de véritables tête-à-tête qui passent par des échanges de regards, de paroles, parfois hésitantes ou évasives, poétiques, mais aussi par des relations faites de silences, de solitude et même d’absence. Il n’est pas question ici de classifier, de répertorier, d’accrocher sur les arbres généalogiques des ascendances, de mettre en perspective des données historiques comme il est de tradition dans le portrait. En faisant de celui-ci un objet non centré sur lui-même, c’est-à-dire non destiné à répondre à la commande égocentrique d’un commanditaire ou à la consécration dans une famille, une société ou une corporation, de figures tutélaires, l’artiste le place dans une situation d’interaction, lui donne un autre ressort. Gauthier Hubert incite plutôt à profiter de ces rencontres car elles n’ont que cet « autre » qui les regarde pour exister. Cette rencontre devient à la fois portrait et paysage, territoire du conscient et de l’inconscient. Il s’y épanouit une temporalité singulière où se nouent des rapports émotionnels intenses. Des instants pendant lesquels ces figures vous touchent, vous tourmentent même, au point que cet « autre » que vous regardez acquiert au fil des minutes une importance croissante et vous remue telle une tempête dans un verre d’eau.

Avec ces figures, l’artiste exprime le lien entre la nature sensible et la nature intellectuelle, par la couleur qui leur donne une force intérieure et avec elle, cette capacité d’exister dans le présent. Bacon disait que le peintre, dans ses portraits, « transmet la sensation et le sentiment de vie de la seule façon qu’on le peut1 ». Gauthier Hubert ne leur insuffle pas artificiellement une vie en les animant d’un geste, leur appliquant un sourire ou en inventant un regard, mais les laisse s’exprimer à travers la matière même de la peinture (Portrait d’un homme ayant un beau fond, 2017). Elles se comportent déraisonnablement sur la toile, en trahissent les codes du principe de réalité et de matérialité quand, allongées dans le vide, prises dans le hors-champ du tableau, elles semblent ne jamais se soumettre à ses injonctions de peintre et encore moins lui appartenir. Il est évident que la volonté de l’artiste est ailleurs et que, bravant l’autorité d’un genre, il se fait complice d’une incartade subversive en libérant le sujet de l’illusion d’une certaine peinture et ainsi de ses contraintes. Gauthier Hubert prend en effet à revers tous les signes visuels conventionnels de la « reconnaissance faciale » ou du répertoire des attitudes, qui tendent aujourd’hui à programmer le regard porté sur l’autre à travers l’image des apparences, pour nous obliger à regarder autrement, dans la « transaction immédiate2 » des sentiments. Se vit à chaque pas dans l’exposition une expérience émue, se forment des paysages nouveaux, et se dessinent des histoires à venir. Ces pommettes, ces lèvres, ces regards, perdus, fuyants, sévères ou affectueux, mais aussi ce ciel, ce fond hors nature constellé de pépites d’or, font l’inventaire de l’âme humaine. Une forme de « transitivité » qui dépasse la seule dimension visuelle pour s’exercer à travers une ouverture vers l’autre. Une sincérité qui passe par d’autres relations que l’intérêt curieux ou l’énigme insoluble et qui donne envie, au-delà de cette « socialisation de l’art3 » dont parle Richter, d’un partage affectif.

Sa peinture met en évidence le déracinement de l’individu dans son propre monde, sa précarité, en inscrivant des modèles dans une contemporanéité qui n’est pas la leur et dans des situations qui échappent à leur propre histoire. Mais n’est-ce pas là l’objet même de la peinture, une libération qui crée une brèche dans l’ordre des choses pour accéder à une autre temporalité ? Gauthier Hubert positionne implicitement les figures en apesanteur, donnant la sensation qu’elles existent dans un au-delà du présent.

Quelles que soient les références à l’Histoire, Gauthier Hubert réussit à combler la distanciation, ce vide entre le visiteur et le portrait qu’il regarde, en engageant des formes toujours nouvelles de narrativité. Il ne nous est plus nécessaire d’émettre un jugement esthétique, de distinguer beauté ou laideur avec ces figures qui s’intègrent à notre propre histoire.

1- Francis Bacon, Entretiens avec David Sylvester, 1975, 1981, 1987, Flammarion, 2013, p. 55.
2 – Mark Rothko, Écrits sur l’art 1934-1969, coll. Champs arts, Flammarion, 2009, p. 200.
3 – Gerhard Richter, Textes, Les Presses du réel, 2012, p. 10.

Valérie Toubas et Daniel Guionnet
fondateurs et rédacteurs en chef de la Revue Point contemporain

GAUTHIER HUBERT – BIOGRAPHIE
Né en 1967 en Belgique
Vit et travaille à Bruxelles
www.gauthierhubert.com

Représenté par Irène Laub Gallery, Bruxelles
www.irenelaubgallery.com

Gauthier Hubert, Portrait de Aline Monreau, 2018, Oil on canvas, 70 x 60 cm - courtesy artiste et Irène Laub Gallery (collection privée)
Gauthier Hubert, Portrait de Aline Monreau, 2018, Oil on canvas, 70 x 60 cm – courtesy artiste et Irène Laub Gallery (collection privée)
Gauthier Hubert, Un barbapapa ayant été heurté par une voiture, 2016, Oil on canvas, 40 x 50 cm - courtesy artiste et Irène Laub Gallery
Gauthier Hubert, Un barbapapa ayant été heurté par une voiture, 2016, Oil on canvas, 40 x 50 cm – courtesy artiste et Irène Laub Gallery
Gauthier Hubert, Vincent Van Gogh ayant pris un coup de soleil sur la Côte d'Azur, 2019, Oil on canvas, 195 x 167 cm - courtesy artiste et Irène Laub Gallery (collection privée)
Gauthier Hubert, Vincent Van Gogh ayant pris un coup de soleil sur la Côte d’Azur, 2019, Oil on canvas, 195 x 167 cm – courtesy artiste et Irène Laub Gallery (collection privée)
Gauthier Hubert, Portrait d'un blond aux yeux bleus, 2020, Oil on canvas, 70 x 54 cm - courtesy artiste et Irène Laub Gallery (collection privée)
Gauthier Hubert, Portrait d’un blond aux yeux bleus, 2020, Oil on canvas, 70 x 54 cm – courtesy artiste et Irène Laub Gallery (collection privée)
Gauthier Hubert, Waaaww jadoooore cque vous faites, 2021. Oil on canvas, 35 x 232 cm
Gauthier Hubert, Waaaww jadoooore cque vous faites, 2021. Oil on canvas, 35 x 232 cm