FRÉDÉRIC COCHÉ, QUELQUES HISTOIRES DE NIBELUNGEN

FRÉDÉRIC COCHÉ, QUELQUES HISTOIRES DE NIBELUNGEN

Frédéric Coché, Brünnhilde, planche n° 7, 1/5, 27 x 38 cm

EN DIRECT / Exposition de Frédéric Coché  » Quelques histoires de Nibelungen » 

Par Gwladys Le Cuff

Du 17 juin au 25 juillet 2020, Galerie la Ferronnerie Paris

« Ne reste-t-il rien chez Wagner de ce romantisme primordial ? Oui, mon cher ami, n’avez-vous pas en vous quelque chose comme un reste de ce qui vous retenait à la lisière du mythe plutôt qu’en son cœur ? N’y-a-t-il pas dans Bayreuth même quelque chose de froidement officiel, d’exagérément calculé et pensé pour que votre gloire devienne le pansement de votre agitation intérieure ? »
Lettre de Friedrich Nietzsche à Richard Wagner, 1876

            Des quatre opéras de L’Anneau du Nibelung – L’Or du RhinLa WalkyrieSiegfried et Le Crépuscule des dieux  Frédéric Coché extrait et condense un noyau essentiel en plus de soixante planches, faisant ressortir les mécanismes premiers et les logiques archaïques qui sous-tendent leurs mouvements dramatiques. L’artiste livre ainsi une lecture stratifiée, au prisme de ses propres préoccupations, entre psychomachie des forces élémentaires, construction d’un langage formel poétique et récursions mémorielles plus intimes. En cohérence avec son travail de destitution systématique des figures héroïques, Frédéric Coché rappelle que « nous autres, les humains, nous vacillons toujours un peu » – selon les mots de Nietzsche adressés à Wagner. À rebours du moment de réélaboration d’une mythologie nordique, loin de tout médiévalisme suranné ou kitsch, les gravures retournent vers des sphères humaines antérieures et non spécifiées, mais aussi vers les figures de l’art hindouiste, selon les études orientales en vogue au XIXe siècle : aux côtés d’autres personnages animalisés (Hunding, Siegmund) ou métamorphosés en principes formels actifs (gamètes-partitions, grappes glossolaliques de membres, vers souterrains…), Brünnhilde se distingue alors par son aspect comparable à la divinité indienne Kali, déesse sombre, féconde et destructrice à la fois, devenue mortelle en perdant ses multiples bras et attributs guerriers. 

            De la synesthésie de l’œuvre d’art totale (Gesamtkunstwerk), théorisée puis mise en pratique lors des festivals de Bayreuth, que peut-il subsister en gravure ? Comment se manifeste la musicalité à la lecture d’un récit dessiné en se tenant au choix radical de ne recourir à aucun texte ni sous-titres ? Reste toujours la structuration des double-pages, orchestrées par les vides des réserves et la répartition tensive ou harmonieuse des charges à l’eau-forte. Partout disséminés, demeurent les effets de sonorité des repentirs et autres rumeurs fantomales ; le bruissement rugueux ou hésitant des silhouettes, le lyrisme fragile de traits tremblés, le râle hâché des biffures. Dans ce monde graphique inactuel, la texture même des êtres apparaît constituée de notes. Unités de mesure fondamentales du monde sensible, ces graphèmes élémentaires sont le flux énergétique volatile et intangible qui parcourt le vivant ; noires et croches entourent les corps de leur aura, et, plus densément encore, les composent. Par elles s’expriment toutes les correspondances du monde naturel des dieux, avant que l’avènement de la civilisation urbaine et de l’ère industrielle ne les transforme en monnaie d’échange ou minerai moteur des guerres. 

            Que le monde débute à l’échelle génésiaque du macrocosme ou à celle, minime et secrète, de l’engendrement individuel, ces gravures de Frédéric Coché démontrent combien l’expérience de lecture n’est jamais muette mais vibrante : le récitatif dans le récit se meut en rythme, en récital. Il suit le chant particulier du tâtonnement des figures saisies dans la recherche de leur propre advention. Aussi les sagas scandinaves et les sources germaniques du Ring ouvrent-elles à une polarité agonistique des archétypes qui n’est pas privée d’humour, puisque l’auteur confronte la question stylistique du leitmotiv wagnérien (thème directeur, motif fondamental récurrent, le plus souvent associé à un personnage) à divers sauts de registres, feuilletages ironiques, répétitions dérisoires et branchements anachroniques. 

Gwladys Le Cuff, historienne de l’art, Cral – Cehta, EHESS

Frédéric Coché, Brünnhilde, planche n° 21, 1/5, 27 x 38 cm
Frédéric Coché, Brünnhilde, planche n° 21, 1/5, 27 x 38 cm
Frédéric Coché, Brünnhilde, planche n° 30, 1/5, 27 x 38 cm
Frédéric Coché, Brünnhilde, planche n° 30, 1/5, 27 x 38 cm
Frédéric Coché, Brünnhilde, planche n° 51, 1/5, 27 x 38 cm
Frédéric Coché, Brünnhilde, planche n° 51, 1/5, 27 x 38 cm
Frédéric Coché, Brünnhilde, planche n° 69, 1/5, 27 x 38 cm
Frédéric Coché, Brünnhilde, planche n° 69, 1/5, 27 x 38 cm

FRÉDÉRIC COCHÉ – BIOGRAPHIE
Né en 1975. Nancéen, il a étudié la bande dessinée à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles.

GALERIE LA FERRONNERIE
40, rue de la Folie-Méricourt
75011 Paris +33 (0)1 78 01 13 13
mardi à vendredi 14h-19h/samedi 13h-19h

www.galerielaferronnerie.fr
Membre du Comité des Galeries d’Art