EN FUYANT, ILS CHERCHENT UNE ARME 1/3 : DES SURFACES DÉNUÉES D’INNOCENCE

Société de contrôle et détournements
À la Maison Populaire, la curatrice Stephanie Vidal réunit des jeunes artistes autour de deux notions clefs : la trace et la résistance. Intitulée En fuyant, ils cherchent une arme, l’exposition déplie une création contemporaine résolument critique.
Le concert des corps et des images qui se rencontrent, s’entrecroisent et s’entrechoquent, produit un concert de traces. Aussi bien sur internet qu’au-dehors, nos faits et gestes sont traçables et enregistrés. Comme si nous disséminions des points qu’un autre pourrait ultérieurement relier comme dans un carnet de dessin pour enfants : « Nous laissons des empreintes sur nos téléphones afin qu’ils s’activent, nous accumulons des historiques dans les moteurs de recherche, et nos interactions sont conservées dans les profils que nous entretenons sur les réseaux sociaux » précise la curatrice. Dès lors, comment résister à ces nombreux dispositifs qui nous réifient et nous réduisent à de simples données ?
Premier réflexe : le détournement, l’inversion méthodologique, la récupération et la réappropriation. Postées à l’entrée de l’exposition, des « caméras de surveillance » filment et les images qu’elles prennent sont simultanément diffusées sur des écrans soigneusement exposés au public. Devant cette absurdité – la caméra de surveillance devient l’objet des regards et non plus l’oeil qui nous regarde –, le spectateur s’amuse à toiser ces appareils supposés nous capter à notre insu. Ce détournement réalisé par l’artiste parisien Neïl Beloufa permet simultanément, de révéler ces dispositifs de contrôle et de rejouer les rapports de domination. L’artiste crée, en reprenant une phrase du philosophe Jacques Rancière, « un désordre des lieux et de leur usage », et réalise une inversion primordiale qui permet au sujet de surgir en tant qu’acteur.
D’autres artistes comme Emilie Brout et Maxime Marion arrivent à relocaliser leurs propres traces. Quelques fois photographiés (parfois sans le savoir) par des touristes qui, en se prenant en photo prennent avec eux le décor et les passants, ils ont ensuite retrouvé ces images en ligne en cherchant dans les réseaux sociaux. Autrement dit, ils ont remontés le flux des images à contre-courant afin de se retrouver eux-mêmes dans ces photos prises par d’autres. Ce qui a donné la série photographique Ghost of Souvenir. Ce contre-flux, qui est aussi un détournement (le détournement du flux), met fin à la circulation infinie. Il y a dès lors, un début de l’image et une fin, la boucle est bouclée en quelque sorte. Ces oeuvres qui résistent à « ce qui fait trace » sont en réalité des dérobades, piégeant les dispositifs de la société de contrôle (caméra de surveillance, réseaux sociaux…), et créant du désordre, désordre qui replace le sujet, marginalisé et réifié, au centre. A l’heure du « sujet-data », soit, de cet objet réduit à n’être qu’un amas de données et d’informations, le sujet en tant que force d’émancipation entend se réaffirmer.
Texte Chris Cyrille © 2018 Point contemporain
Visuel de présentation : Ronde de nuit, Anne-Charlotte Finel et Marie Sommer, 2016 vidéo HD, couleurs, 5’17’’, musique de Luc Kheradmand, courtesy des artistes et de la galerie Jousse Entreprise, Paris.
En fuyant, ils cherchent une arme 1/3 : des surfaces dénuées d’innocence Exposition collective Artistes : Neïl Beloufa (artiste en résidence), Émilie Brout & Maxime Marion, Hasan Elahi, Fictiorama Studios, Anne-Charlotte Finel et Marie Sommer, Julien Prévieux, Evan Roth, Miyö Van Stenis. Du 17 janvier au samedi 31 mars 2018 Maison populaire
Commissaire en résidence : Stéphanie Vidal
Scénographie : Studio Ravages
9 bis rue Dombasle
93100 Montreuil





