GIVE ME A PLACE TO STAND AND WITH A LEVER, I WILL MOVE THE WHOLE WORLD, Progress Galerie Paris

GIVE ME A PLACE TO STAND AND WITH A LEVER, I WILL MOVE THE WHOLE WORLD, Progress Galerie Paris

Invitée par Anne-Francoise Jumeau, directrice de la Progress Gallery à Paris, la malterie a proposé aux artistes Léonie Young et Anna Raczynska, accompagnées du commissaire et critique d’art Jean-Christophe Arcos, de concevoir un rebond de l’exposition GIVE ME A PLACE TO STAND AND WITH A LEVER, I WILL MOVE THE WHOLE WORLD qui s’est tenue à l’espace Le Carré à Lille en décembre 2017. Un premier opus lillois comme le point de rencontre entre deux artistes qui ne se connaissaient pas et qui ont participé toutes deux à une résidence croisée entre la malterie de Lille et BWA-Wroclaw en Pologne. Pour ce second temps Jean-Christophe Arcos a voulu mettre en résonance leur intérêt commun pour l’architecture, le rendant tout autant apparent qu’opérationnel dans l’espace de la Progress Gallery. S’appuyant sur l’énoncé d’Archimède, le commissaire a pris le principe de levier comme principe de contestation et de transgression, mettant en évidence la manière dont les artistes répondent à son mécanisme dans leurs gestes de création.

 

Comment est né ce rebond de l’exposition GIVE ME A PLACE TO STAND à la Progress Gallery ?

Anne-Françoise Jumeau :  La scène polonaise a toujours été d’un grand attrait pour moi. Historiquement, j’ai fondé la galerie avec une associée qui était polonaise et une des premières expositions de la galerie en 2015 a été celle d’une artiste polonaise qui se trouve avoir également commencé le programme de résidence de la malterie. La ville de Lille étant jumelée avec la ville de Wroclaw, la malterie est naturellement tournée vers la Pologne et j’ai toujours gardé un lien avec sa directrice, Elise Jouvancy. Un attachement naturel pour moi à la fois à la malterie et à la Pologne qui donne du sens à cette invitation.

Dans le texte de présentation de l’exposition, il y a l’idée très engagée, s’appuyant sur la phrase d’Archimède de « refaçonner le monde ». Les résidences ont-elles cette vocation d’inviter des artistes à refaçonner le monde ?

Jean-Christophe Arcos : La citation d’Archimède m’est venue assez vite à l’esprit car dans le contexte de la résidence, où que soit un artiste, il agira et fera levier pour bousculer l’ordre des choses. Quand Léonie est arrivée à Wroclaw, la situation politique était très tendue en raison des lois anti-avortements. Il y avait partout des manifestations, les gens se mobilisaient notamment dans le milieu de l’art. Il y a cette idée que l’artiste concourt à faire basculer ce que certains tentent d’établir pour préserver ou rétablir une liberté.

On ressent cette privation dans les photographies de Léonie…

Léonie : Elle est en effet très frontale. Dans les photographies de la série Pack your bags, un titre ambigu qui peut signifier un départ définitif, précipité comme « fais tes valises » ou plus léger comme « prépare tes affaires », les lieux sont fermés, inquiétants. Quand je l’ai présentée à Wroclaw, les visiteurs ont trouvé cela oppressant et même ironique par la présence de certains motifs comme ce coucher de soleil peint sur un mur en béton d’une cage de zoo.

Dans tes travaux comme dans ceux de Anna, prédomine l’idée de factice…

Léonie : Je travaille sur les différentes représentations du paysage et met en regard des paysages factices ou des morceaux de paysages avec le paysage réel ou des fragments du paysage réel.

J.-C. A. : La scénographie a été l’occasion de réinterpréter ce qui est perçu dans l’image du zoo de Léonie. Le visiteur voit l’intérieur du zoo, cadré serré comme souvent dans les images de Léonie, à travers le grillage installé par Anna. Et à un moment donné dans sa circulation, il se trouve lui-même entre le mur du fond du zoo et le grillage, comme enfermé. Il occupe une place vacante. La question de la facticité est centrale à l’exposition. On la retrouve dans les clefs et la caméra d’Anna comme dans les photographies de Léonie des figurines du Futuroscope. Des photographies d’objets prises sur fond neutre qui mettent en rapport paysage naturel et paysage fabriqué, des images qui, comme la série des recadrages de cartes postales, sont produites pour créer une identité du paysage, pour le raconter et en raconter aussi le futur et l’architecture.

Léonie : En effet, toutes ces séries ont pour lien la question de la représentation du paysage comme « objet fabriqué », du paysage-objet tant au Futuroscope que dans ce parc naturel aux Etats-Unis…

J.-C. A. : L’artificialité est totale, car à celle de la construction architecturale, s’ajoute le geste de l’artiste qui effectue un recadrage. Les artifices se succèdent les uns aux autres : bâtiments, environnement, souvenirs, images…

Léonie : Une artificialité que je renforce en évacuant toute présence humaine. Un travail sur la notion d’échelle et sur la perte de repères qui questionne l’utilité, la légitimité ou encore l’absurdité de ces paysages.

Celle-ci se pose dans les travaux de Léonie comme dans ceux de Anna notamment avec ces clefs grand format…

J.-C. A. : Les questions d’échelle en jeu dans l’exposition rajoutent encore une nouvelle strate à celle de l’artificialité. Quand Anna est arrivée à la malterie elle a pris une photo de tout ce qu’elle avait dans les poches : clé, carte de transport… Des objets qui avaient de l’importance pour elle et que l’on retrouve ici reproduits à une échelle démesurée.

Anna : Je joue avec les échelles mais aussi avec les matériaux. Mes clés sont en ciment ou en plâtre ce qui me permet de faire des translations à la fois d’échelle et de matériau.

J.-C. A. : Une des premières tentatives d’Anna a été de peindre ses clés et sa carte de transport. Or la peinture n’est pas un médium qu’elle a l’habitude d’investir et il en a résulté un échec. Ce va-et-vient entre tentatives et échecs traduisent bien cette méthodologie de l’essai de rendre compte de quelque chose de paradoxal. Elle crée des objets qui ne peuvent pas être utilisés pour ce qu’ils sont ou qui ne sont pas utilisés pour ce qu’ils sont. Un travail qui pour l’installation La Tour Eiffel devient très parodique.

Un jeu d’association que l’on retrouve dans de nombreuses pièces de l’exposition…

J.-C. A. : L’association entre matériau organique et minéral se retrouve dans la cloison couverte de tissu imprimé et le grillage par exemple.Avec la caméra factice qui fonctionne avec des leds s’allumant par intermittence, cette pièce introduit la dimension humoristique. La première réaction du public était d’ailleurs de chercher où etait diffusée l’image !

La notion de frontière est également  très présente dans l’exposition…

Léonie : En Pologne, la présence des barrières et des frontières est assez flagrante. Mais il est tout à fait possible de faire le même constat dans un parc comme le Futuroscope. Je porte mon attention sur la manière dont les éléments sont intégrés dans un paysage souvent encadré par des barrières. Cela compose au final un milieu étrange, absurde même.

J.-C. A. : Faire levier répond à un acte de transgression, celui des interdits, des frontières, des préjugés. En manipulant les matériaux, les échelles et les  images, les artistes les libèrent de leur rôle conventionnel.

Peut-on dire que vos travaux respectifs trouvent un lien avec l’architecture, cette façon d’appréhender le contexte urbain, architectural ?

Anna : La connexion se fait à ce niveau. Personnellement je ne fais pas que jouer avec des éléments. Je les appréhende dans leur rapport à l’architecture. La clé en est une métonymie.

A.-F. J. : L’homme ne cesse de construire tout et n’importe quoi, bâtit des faux murs, des faux paysages. C’est tout cela qui est mis en évidence ici.

J.-C. A. :  Cette problématique de l’artifice est au cœur de l’histoire de l’art depuis Platon. L’exposition propose une mise en abyme de toute création et de la façon dont l’artiste procède pour mettre en exergue le faux dans tout ce qui nous entoure. Ce qui est intéressant c’est que Léonie s’attache au volume par l’image et qu’Anna s’attache vraiment à l’image que l’on a du volume.

Que pourriez-vous nous dire sur votre expérience de la résidence ?

Léonie : Ce que j’apprécie en résidence est de me poser quelque part et de travailler dans un nouveau contexte. Je cherche alors un point d’accroche, des espaces. Il y a au départ cette sensation d’être un peu perdue soi-même. Les séries que je produis ne peuvent toutefois pas être localisées à un pays où un autre, Irlande, Pologne ou Italie. Je travaille sur le paysage avec des points de départ différents et en même temps similaires.

Anna : Je suis arrivée à Lille pour intégrer la résidence de la malterie au moment de la grande braderie. J’ai passé du temps à chiner et j’ai eu la chance extraordinaire de trouver une maquette d’avion russe fabriquée à Wroclaw. La notion de contexte est, comme pour Léonie, bien présente. J’ai profité de l’immense plateau d’exposition pour concevoir à l’échelle 1:1 la réplique de cette maquette en pièces détachées. Un petit souvenir qui est devenu pour le coup un très grand souvenir.

Texte Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2018 Point contemporain

 


Léonie Young
Née en 1981.
Diplômée en 2006 de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Paris.
Vit et travaille à Lille depuis 2011.

www.leonieyoung.com

Anna Raczynska
Née en 1990 à Bielsko-Biala, Pologne.
Vit et travaille à Kiel, Allemagne.
MFA Sculpture, The Eugeniusz Geppert Academy of Art and Design, Wroclaw, Poland (2010-2015)

www.annaraczynska.com

 

 

 

Anna Raczynska
Anna Raczynska
Anna Raczynska
Anna Raczynska

 

Léonie Young, Painted Wall, Wroclaw Zoo, 2016 - 100 x 70 cm - Résidence au Studio BWA à Wroclaw, Pologne
Léonie Young, Painted Wall, Wroclaw Zoo, 2016 – 100 x 70 cm – Résidence au Studio BWA à Wroclaw, Pologne

 

Léonie Young
Léonie Young

 

Léonie Young (Photo) et Anna Raczynska (Sculpture)
Léonie Young (Photo) et Anna Raczynska (Sculpture)

 

Anna Raczynska
Anna Raczynska

 

 

Visuel de présentation : Vue de l’exposition Léonie Young et Anna Raczynska, GIVE ME A PLACE TO STAND AND WITH A LEVER, I WILL MOVE THE WHOLE WORLD, Progress Galerie Paris. Photo Valérie Toubas.