JONAS DELHAYE, EN MARGE DES JOURS, GALERIE MAUBERT PARIS

JONAS DELHAYE, EN MARGE DES JOURS, GALERIE MAUBERT PARIS

« Ce n’est pas en pleine lumière, c’est au bord de l’ombre que le rayon en se diffractant, nous confie ses secrets.»
Gaston Bachelard *

On dit de certains peintres qu’ils peignent sur le motif. En plein air, au sein du paysage. Il est possible de tenir la comparaison et affirmer que Jonas Delhaye, photographie, lui, sur le motif. Longtemps, il a vécu dans un camion qui le faisait voyager et s’immerger dans un environnement qu’il observait pour mieux en récupérer les images latentes. Regarder le passage des saisons. Se rendre présent à la matière. Être attentif aux interstices d’un monde, en mouvement, et le faire sien.
Si la photographie structure le squelette de ses créations, il faut plus volontiers parler du « photographique » et de l’élaboration de ses dispositifs d’enregistrement et de captation. L’artiste qui ne se dit pas photographe car il a peu le goût du cadrage ou des composantes techniques d’une belle image, envisage en effet sa pratique comme le produit d’un corps sensible qui capture la lumière. Aussi, passe-t-il un temps distendu, filaire, à réécrire une nouvelle de Jorge Luis Borges, L’écriture du Dieu, sur le feuillage d’un arbre. Du lever au coucher du soleil, muni d’une tablette qu’il a conçue, il est cet artiste patient – la main, le plomb typo et le marteau comme seuls outils – qui fait revivre les mots et redonne sens au temps long de l’écriture. Ajourée, chaque partie de la feuille végétale devient une réserve, aisément comparable à la couche qui s’enlève du négatif dans une définition de la photographie comme altération de la matière par la lumière. Pour voir une image, il faut donc créer un dispositif. Paradigme fécond qui éloigne Jonas Delhaye de la photographie comme technique de reproductibilité et le rapproche bien sûr de l’aura. Réservée, structurée et pensée par la compénétration du vide et du plein interdépendants, l’image s’organise à l’aune de cette spécificité qu’elle a de ne pas s’offrir ou donner tout d’elle, tout de suite et se révèle, avec le temps. Loin d’un enregistrement rapide donc, trop rapide du monde, sa démarche s’inscrit dans une mesure longue. Celle des scientifiques. Ou des poètes. Dans sa série De sa cellule à l’heure sans ombre le moment où je peux voir, pensées scientifiques et poétiques se nourrissent. Partant du principe que l’œil et l’appareil photographique ont tous deux un diaphragme ajustable qui s’adapte aux conditions d’éclairement, Jonas Delhaye a fabriqué des sténopés-abris dans lequel le visiteur est invité à entrer, sortes de chambres noires à soufflet installées autour de troncs d’arbre. Il faut s’y introduire, ramper, s’accroupir et rester là longtemps. C’est d’abord le noir complet mais à mesure que l’œil s’habitue à la pénombre, sur le corps du regardeur ainsi que sur le sol, l’image de l’arbre et de son houppier apparaît.
Ces refuges, ou encore observatoires photographiques manifestent le besoin de partager et faire vivre des images fantomatiques qui pourraient n’avoir jamais existé. N’avoir jamais été vues. C’est tout l’enjeu de sa série Etant donnée, qui consiste à transformer un long couloir, occulté et dont les murs sont recouverts de diapositives, en sténopé. Dans ce couloir, des portes donnent sur des chambres à coucher. Dans ses chambres, des fenêtres ouvrent sur des paysages à la Vermeer. C’est le trou de la serrure qui joue ici le rôle d’obturateur dans cette camera obscura contemporaine. L’image photographique dépend ainsi du temps qu’il faut d’ôter la clé de la serrure pour que la lumière fuse et l’image du paysage se projette. Rendre existant un réel invisible, une prouesse permise par une forme de loyauté à une certaine cadence du monde, lente et douce, sereine et attentive. Qui conditionne, pour paraphraser Walter Benjamin, l’apparition d’un lointain.

Texte de Léa Chauvel-Lévy, critique d’art pour la Galerie Maubert. Tous droits réservés.

* La formation de l’esprit scientifique, p.241, J. Vrin, 1970

 

 

Jonas Delhaye
Né en 1988 à Vannes.
Vit et travaille en itinérance.

Représenté par la Galerie Maubert Paris.

http://jonasdelhaye.fr

 

Jonas Delhaye, Synthèse, 2012. Bois, plombs typographique, cire d’abeille. D’après une nouvelle du recueil Aleph de Luis Borges, L’écriture du dieu.
Jonas Delhaye, Synthèse, 2012. Bois, plombs typographique, cire d’abeille. D’après une nouvelle du recueil Aleph de Luis Borges, L’écriture du dieu.

 

Jonas Delhaye, De sa cellule à l’heure sans ombre le moment où je peux voir, 2017 bois, contreplaqué  lmé, élastomère, feutre, diamètre 510 cm
Jonas Delhaye, De sa cellule à l’heure sans ombre le moment où je peux voir, 2017. Bois, contreplaqué lmé, élastomère, feutre, diamètre 510 cm

 

Jonas Delhaye, Détail Étant donnée, chambre n°3, 2017 Diapositives 4x5 inch, verre dépoli, bois, led, 60x90 cm
Jonas Delhaye, Étant donnée (détail), chambre n°3, 2017. Diapositives 4×5 inch, verre dépoli, bois, led, 60×90 cm

 

Jonas Delhaye, Étant donnée, 2017 Diapositives 4x5 inch, verre dépoli, bois, led, 60x90 cm / 30x70 cm / 30x60 cm
Jonas Delhaye, Étant donnée, 2017 Diapositives 4×5 inch, verre dépoli, bois, led, 60×90 cm / 30×70 cm / 30×60 cm

 

Visuel de présentation : Jonas Delhaye, Synthèse, 2012. Bois, plombs typographique, cire d’abeille. D’après une nouvelle du recueil Aleph de Luis Borges, L’écriture du dieu.