MARIE HAVEL

MARIE HAVEL

PORTRAIT D’ARTISTE / Marie Havel initialement paru dans la revue Point contemporain #8

Tout juste diplômée de l’École des Beaux-Arts de Montpellier et déjà lauréate des Prix Drawing Room en 2016 et DDessin en 2017, Marie Havel a été invitée par un promoteur immobilier à réaliser pour chaque étage d’une résidence en construction une série de dessins1. Un exercice qu’elle a mené au milieu du chantier où se mêlaient aussi bien gravats qu’éléments de construction. L’artiste a été immédiatement habitée par ce sentiment étrange de réinvestir des territoires connus, ceux de ses jeux d’enfants en Picardie au milieu des vestiges militaires aux particularités architecturales étranges, bunkers et trous d’obus. Un environnement en repli du temps, hostile, pollué et dangereux qui faisait pourtant partie de son paysage quotidien et dans lequel elle créait avec ses compagnons de jeu des abris éphémères. 

Un même goût pour la construction animait déjà Marie Havel lorsqu’elle couvrait de textures synthétiques les sols des plateaux de jeux pour les petits soldats de son frère. Un travail de flocage qui participait à donner une réalité à l’ensemble et qu’elle a repensé, avec le décalage de la maturité, dans sa pratique actuelle. Trous d’obus (2014), une série de sculptures réalisées au format de la maquette, rappelle l’esthétique de ces jeux qui ouvrent l’imaginaire à l’expérimentation de l’Histoire. Cette technique de recouvrement lui permet également dans la série Flocages (2017-en cours), un travail de dessin à la colle sur cartons-gris qu’elle réalise à partir de photographies, de donner vie et volume aux architectures à partir d’éléments, l’herbe ou la mousse, qui habituellement surgissent du sol des ruines. 

« Le lierre, les plantes grimpantes, sont des nuisibles qui finalement viennent souder les éléments, deviennent un prolongement de la construction. Ils figent les choses dans un état autre que ce qui était présagé. » Marie Havel

Dans cette résidence en construction de la région montpelliéraine, elle s’est focalisée sur les escaliers posés sur le sol et déjà envahis par la végétation, les moisissures dessinées par les écoulements d’eau… Un environnement changeant au fur et à mesure de l’avancée du chantier, prenant un aspect différent suivant les saisons et dont on ne sait plus s’il est la vision d’une construction ou d’une destruction. Un moment d’« entre deux » qui est au cœur de la pratique de l’artiste. Marie Havel arpente les désordres des chantiers, éléments de construction disséminés et bâtiments voués à être détruits, avec l’idée d’en saisir cet état où la construction ne se distingue plus de la ruine à venir. Dans la série des Maisons Clous 2 (2016-2018), elle fige par la photographie des points de vue destinés à disparaître. Des tirages sur lesquels l’artiste intervient en grattant au papier de verre la surface de la photographie où figurent les bâtiments en cours de destruction. Par ce geste, l’artiste révèle la teinte verte de l’encre numérique qui nous demeurait cachée et produit des résidus. Une poussière d’encre et de particules du papier dont l’amoncellement rappelle un tas de gravats. Fixés sur la photographie, ils confèrent à donner une matière à l’image, un état d’oxydation proche de celui de ces espaces où le temps est suspendu et au milieu desquels la nature s’invite et impose ses traces, celles noirâtres des ruissellements sur le béton ou celles des plantes qui résistent au recouvrement en participant à l’affirmation du vestige. 

La série Jumanji (2016-en cours) exprime le passage de la construction au dessin sur papier. S’y retrouvent tous les éléments d’architecture et de paysage caractéristiques de la ruine, dans une structure qui prend la forme d’un jeu à l’équilibre précaire. Des dessins au graphite dans lesquels se ressent la force du tenir ensemble même si la chute est prévisible. Marie Havel puise son inspiration de ces moments d’équilibre et de tension où les choses sont appelées à changer d’état, où le basculement est inéluctable. Un état transitoire qui se retrouve dans la série Build & Smash (2017), des dessins sous forme de notices qui expliquent la destruction comme étant intrinsèque au jeu de construction. Elle en est même l’aboutissement, ce moment aussi attendu que redouté de tension où l’édifice que l’on vient de bâtir peut s’écrouler.

« Mettre des bunkers sur pilotis, c’est aussi les mettre sur un possible qui ne s’est peut-être jamais produit. » Marie Havel

Marie Havel porte sur le transitoire, sur l’Histoire qui se mêle à ses souvenirs de jeux d’enfants, un regard qui s’éloigne de la vision romantique de la ruine, de ce sentiment de faux-semblant que produit toute image trop édulcorée. Elle aime au contraire cette part de risque qui participe à son esthétique, sa dangerosité, ces « nuisibles » qui ravagent son sol ou s’accrochent sur ses murs. 

Pour Marie Havel, la ruine est aussi belle pour cette part de jeu qu’elle suscite, ce besoin que l’on ressent de l’éprouver physiquement. Une tentation de toucher, d’expérimenter la matière que l’on retrouve lorsque l’on porte notre regard sur ses œuvres. Une envie qui est mise à l’épreuve avec Soleil de plomb (2017), une installation de boules de pétanque en plomb sur du sable réalisée avec Clément Philippe. Un terrain de jeu miné, impraticable mais bien tentateur. Comme pour les jeux de construction, Marie Havel alimente une envie, celle d’atteindre un point culminant pour nous amener vers un possible qui n’est pourtant pas toujours celui auquel on pense.

1 – « Ukiyo-es », 104 dessins au graphite sur papier réalisés pour la résidence Sakura Garden de Helenis à Castelnau-le-Lez en 2017.

Visuel de présentation : Marie Havel, Maisons clous 2, 2017. Dessin au papier de verre sur tirage numérique noir et blanc, 50 x 70 cm, 2017. Courtesy H Gallery

Marie Havel
Née en 1990 à Soissons.
Vit et travaille à Montpellier.
DNSEP en 2016 avec félicitations du jury à l’ESBAMA. 

www.mariehavel.com