NICOLAS MOMEIN, FINGER TRAP

NICOLAS MOMEIN, FINGER TRAP

EN DIRECT EXPOSITION / Nicolas Momein, Finger Trap, galerie Ceysson & Bénétière Saint-Etienne.
Texte de Anne Favier
Exposition réalisée avec le soutien de la résidence Saint-Ange, Seyssins.  

 Elle va où elle veut

« Je forge le concept de mouité. »
Jean-Baptiste Botul, La métaphysique du mou.

Cette exposition des œuvres récentes de Nicolas Momein à Saint-Etienne est le premier acte d’une double présentation qui sera complétée à la galerie de Ceysson & Bénétière de Paris à la rentrée 2020.
Les pièces exposées ont été conçues dans l’espace singulier d’un habitat-atelier, le temps d’une résidence. Dans ces conditions privilégiées l’artiste a pu cohabiter et s’entretenir avec des matériaux particuliers. Comme souvent avec Nicolas Momein, il faut « que ça parte de la matière » et de ses propriétés travaillées à contre-emploi. 
Troublé par les potentialités de matières non conventionnelles (bulgomme, serviette éponge, laine de roche, pierre de sel à lécher, savon, latex sédimenté, pâte de wasabi…) détournées de leurs usages dont elles conservent pourtant la mémoire, Nicolas Momein les mobilise comme des matériaux plastiques qu’il agence ou soumet à des processus de transformation. 
Il questionne aujourd’hui l’étonnante plasticité et les propriétés de pâtes techniques industrielles et composites : une sorte de résine caoutchouteuse ultra résistante et une pâte durcissante à l’air. L’une se laisse manipuler et malaxer avec docilité avant de se cristalliser ; l’autre doit être coulée avant de maintenir avec force la forme de son épanchement. L’artiste est particulièrement intéressé par la densité paradoxale de ces matériaux transitoirement souples et fluides, et l’inquiétude provoquée par la dureté de leur mollesse. Les effets qui en découlent manifestent en effet l’étrange état intermédiaire constitutif de ces substances mésomorphes. « Aujourd’hui, plus qu’à aucune autre époque, l’artiste a choisi de laisser à la matière sa propre réalité énergétique (1)».
Le caoutchouc de polyuréthane est généralement utilisé dans l’industrie pour la fabrication de moules. La voici polychromique, teintée vivement dans la masse, coulée à l’horizontale, sans contrainte ou alors dans des cadres provisoires qui la circonscrivent et délimitent l’étendue de l’épanchement. Si la matière semble aller là où elle veut, émancipée de sa condition première, elle est pourtant habilement orientée par le dessein de l’artiste qui se joue de la tension entre l’indocilité de la résine fluide et la recherche de sa domestication. L’artiste dessine dans la matière couleur à travers une palette pop décomplexée, échappant au conformisme de l’élégance pour tendre vers un baroquisme inconvenant. Les coulées contrastées sont amalgamées, incorporées, agrégées, suturées, rapiécées… En résultent des corporéités libres à l’esthétique graphique street bubble, en écho aux créatures picturales d’Elyzabeth Murray ou aux volumes de Linda Benglis. D’autres pièces, des surfaces semi-encadrées rappellent aussi l’ontologique châssis, mais se présentent surtout comme des pans de couleur, des panneaux, des peintures mobiles qui pourraient devenir rideaux ou tapis de sol, et font sourdre quelques improbables usages domestiques. L’ambiguïté de ce cousinage fonctionnel est récurrente dans l’œuvre de Momein.
Les flaques de résine élastique peuvent aussi être prolongées à la verticale (exacerbant la perception de leur densité), soutenues par de frêles structures modelées en pâte rose chair et augmentées de greffes rapportées. Ce sont alors des sculptures autoportantes, telles des figures dégingandées rappellent les figures hésitantes de Philip Guston. D’autres volumes font aussi écho aux chimères picturales du peintre américain. Ce sont, recouverts de cette même enveloppe rose peau/chair comme un épiderme douteux, des volumes biomorphiques indéterminés qui échappent à toute taxinomie. Informes, ils se présentent néanmoins comme des corps autonomes mus par leur propre morphogénèse. « Le fragment du corps disparait au profit d’un corps fragment bien plus inquiétant (2)». 
Ces corps métonymiques apparaissent aussi avec les étranges Knots multicolores, coulés dans la matière élastomère qui ne se laisse pas manipuler. Ce sont des moulages pleins de mains gonflées, nouées, bondées, étranglées, produisant rassemblés un langage de signes boursoufflés. Ces doigts contorsionnés tendent encore de manière indicielle vers le corps présent en creux. 
La sensualité déroutante des pièces de cette exposition en font des « prières de toucher » ; et la dimension haptique — « la possibilité de percevoir sur l’objet des aspects qui réveillent le souvenir d’expérience du toucher » —  selon Aloïs Riegl, est bien un invariant de l’œuvre de Nicolas Momein. 

(1) Maurice Fréchuret, Le mou et ses formes. Essai sur quelques catégories de la sculpture au XX° siècle, Nîmes, Ed Jacqueline Chambon, 2004, p. 19.
(2) Georges Didi-Huberman, in L’empreinte, Paris, Ed. Du centre Georges Pompidou, 1997, p. 98.

Nicolas Momein, Finger Trap, galerie Ceysson & Bénétière Saint-Etienne
Nicolas Momein, Finger Trap, galerie Ceysson & Bénétière Saint-Etienne

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