MAXIME DUVEAU

MAXIME DUVEAU

Maxime Duveau, Rainy Hollywood, 2019. Fusain et tampons sur papier, 140 x 190 cm. Courtesy artiste et Backslash

PORTRAIT D’ARTISTE / Maxime Duveau
initialement paru dans la revue Point contemporain #17

par Valérie Toubas et Daniel Guionnet

« Je superpose des images puis les creuse
pour accéder aux couches inférieures,
avec cette idée de fond de créer
ma propre mythologie.
»

Depuis 2014, Maxime Duveau exploite à travers un ensemble de dessins les images d’un road trip en Californie qui l’avait mené de Los Angeles à San Francisco. Un pèlerinage sur les routes du rock américain pendant lequel il a pris beaucoup de photos de boutiques, de rues, de lieux cultes. Des espaces qu’il redessine au fusain mais qu’il met aussi à l’épreuve de la mémoire au travers d’un voyage autant réel que fantasmatique. S’il a eu l’impression de parcourir un territoire déjà connu tant cette région des États-Unis a été filmée et a nourri notre imaginaire, de retour à l’atelier ces images deviennent progressivement sur le papier un espace expérimental. Un voyage qui amène Maxime Duveau à la fois dans un travail sur l’image mais aussi dans l’exploration des techniques du dessin et de la manière dont il est possible de les mixer. Sur cette route du rock effectuée nous dit-il « comme l’aurait fait un fan », se retrouve nécessairement une dimension musicale un peu nostalgique, des refrains comme autant de motifs qui se répètent et forment une mélodie au rythme soutenu. Dans ses dessins, l’artiste sample les motifs, ne cessant de les réinterpréter, leur faisant subir les mêmes distorsions qu’en musique lors des riffs de guitare. 

Les œuvres au fusain de Maxime Duveau composent un territoire fictionnel et fragmenté, se déclinant à travers des flash-back d’images, de noms de boulevards, d’affiches, de tags, de toutes ces traces du passé d’une période aujourd’hui révolue et dont persistent encore quelques traces dans l’espace urbain. Elles témoignent de cette part de reconstitution, de la manière dont les images s’imbriquent, se perdent ou se retrouvent, ou bien se réinventent à travers de nouvelles. Même si le point de départ de ses dessins est l’image photographique, la reproduction de celle-ci ou un dessin réaliste ne suffirait pas à rendre compte de ce passé de la ville de Los Angeles. Il est nécessaire de venir le composer à partir d’une image absente, fantôme, désormais inexistante. Le déplacement d’un médium, de la photographie au dessin, l’usage du transfert, du collage, du tampon jusqu’au gommage, expriment cette impossibilité de saisir la vérité de l’image vue qui lui échappe dans le réel comme dans l’imaginaire. Pour mieux la fixer dans son temps et son espace, il faut la déplacer, multiplier les filtres, lui exhiber ce qu’elle recèle et qui n’est pas forcément visible.

Maxime Duveau compare sa technique à celle de la révélation en photographie. Travaillant sans carnet de croquis et n’ayant pas une approche classique du dessin, c’est à partir de la disposition de bandes de scotchs sur la feuille blanche que démarre son processus de reconstitution de l’image sachant que ce sont les zones masquées qui produiront au final le motif. Un motif qu’il retravaille après, qu’il malmène jusqu’à entraîner des accidents qui à leur tour lui permettront de générer de nouveaux dessins. Des imprévus qui induisent pour chaque œuvre une nouvelle découverte et en amènent toute une succession dans une sorte de continuité qui résonne avec son road trip. Le fusain est traité comme un pigment qui imprègne et nourrit les fibres du papier. Maxime Duveau se voit parfois, dit-il, « autant peintre que dessinateur ». Un travail en profondeur qui est celui d’une mémoire toujours sollicitée, de ce fonds d’images commun qu’il faut remuer pour le sortir de l’oubli et travailler par strates successives comme ces couches de crépi qui recouvrent les murs époque après époque.

Cet effort de reconstitution passe par des gestes contraires, antinomiques de création et de destruction, de composition et d’effacement. Dès ses premières réalisations, l’artiste travaille sur un papier épais capable de subir de multiples interventions. Grattage, collage, projection, la feuille est à la fois couverte de fusain et laquée par couches successives avant d’être écorchée, froissée, dégradée parfois jusqu’au déchirement. Le dos des œuvres témoigne de ce répertoire de gestes, de ce traitement de la feuille que l’artiste ensuite répare. Un travail mémoriel qui, année après année, même si les images photographiques demeurent, rend compte de l’amenuisement de ses sensations vécues qui s’estompent progressivement dans sa mémoire. Inlassablement ce sont elles que l’artiste sonde jusqu’à en épuiser toutes les possibilités et les amenant de plus en plus vers l’abstraction. 

Au fil des années, il a isolé trois ou quatre de ces motifs, un portail, un coin de rue, une architecture, qu’il reprend dessin après dessin à travers des techniques très diverses avec « l’envie de travailler avec de moins en moins d’images, conservant seulement les plus fortes qui restent dans ma mémoire. Des images qui sont devenues très peu reconnaissables avec le temps, tout comme on reconnaît de plus en plus difficilement Los Angeles. » De l’effet reverse qui produit une image duelle en miroir, à l’effet Sabattier qui inverse les noirs et les blancs, à la sérigraphie qui lisse l’image et la débarrasse de ces accidents qui peuvent justement accrocher le regard, Maxime Duveau nous fait vivre à chaque fois « une nouvelle ambiance », traduit cette expérience vécue sur place dans ce détail que l’on cherche, cette similitude qui nous échappe, cette impression de revivre une scène que l’on a déjà vécue par procuration au travers d’un film ou d’un livre. Il présente à la Fondation Salomon lors de son exposition Renewal (2019) des dessins qui tout en étant très différents dans les représentations comme dans les formats, donnent le sentiment d’une unité et d’une continuité avec ses séries antérieures. L’expérience à travers le dessin devient bien réelle, elle acquiert une matérialité qui manque à l’image photographique ou cinématographique. 

Revenir sans cesse sur les mêmes motifs, les décliner revient pour Maxime Duveau à « étirer le geste » dans une sorte de travelling, à rejouer une scène pour qu’elle se révèle sur un autre aspect dans des fictions qui ne cessent de se réécrire en continu. Une répétition qui rappelle celle des films et romans policiers qui ont nourri l’imaginaire de l’artiste. Il conçoit ses expositions comme des espaces de fiction avec une partie narrative et des mots qui lui tiennent à cœur, avec cette idée qu’il va s’y jouer des choses, « un espace qui active la mémoire visuelle, qui crée des sensations. » L’exposition se développe comme des enquêtes, où le visiteur mémorise, parfois inconsciemment, les éléments qu’il retrouve d’un dessin à l’autre, d’une exposition à une autre. Des motifs qui parfois se perdent dans des jeux de superpositions, s’effacent dans le perpétuel va-et-vient des masquages. Aucune linéarité ne définit le parcours du visiteur tant il y a « cette idée de déconstruire l’image et de mettre tout ça dans le désordre.» L’artiste reformule les hypothèses, efface ou laisse persister les indices, les enfouissant sur la feuille dans les enchevêtrements de végétation, ou les diluant dans la lumière révélée de la réserve de papier. Les points de vue suggèrent aussi des narrations, guident les regards vers une entrée, un porche, et engagent la fiction. L’espace peut happer vers un intérieur ou laisser à distance tout en gardant cette dimension scénique qui s’est déjà jouée mais qui peut là se répéter encore. Rien n’est donné à voir tant les différentes techniques de transfert, de tampon, de masquage sont constitutives du dessin. Il s’agit alors d’investiguer pour découvrir toutes les subtilités du dessin et d’en ressentir la teneur cachée, dans ce qui se camoufle dans l’ombre. Voir la ville à travers un fantasme, à travers les lectures et le cinéma, revient à la confronter à un réel déceptif auquel l’artiste redonne une part de mystère, en réactive chaque détail, imagine tout ce qui n’est plus qu’absence. 

Si l’écriture présente sur les affiches, les panneaux, les tags… a progressivement disparu des dessins, elle accompagne toujours le parcours de l’artiste et apparaît dans les expositions à travers un texte introductif, un poème. Pour sa soutenance à la Villa Arson, il propose « une petite nouvelle, un peu fantasmée, en forme d’enquête policière » issue de son road trip californien. Une manière de réintroduire des personnages comme Franck Zappa et autres musiciens dans une fiction un peu fantasmée. Une nouvelle présentée en face A d’un ouvrage biface comprenant aussi une part théorique. Récemment, lors de son exposition personnelle RingoleV.io Cosmique au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Étienne, il présente un roman de 130 pages dans un même esprit d’enquête policière un peu Gonzo se passant lui aussi en Californie. Un roman imprimé sur des feuilles volantes présentées dans le désordre pour lesquelles il est nécessaire de procéder à une sorte d’enquête pour le remettre dans l’ordre et pouvoir lire le récit. En insérant de petites antisèches pour aider à classer les feuilles, il introduit une corrélation entre la posture du lecteur qui doit trouver les indices pour reconstituer le récit et le visiteur qui au sein de l’exposition tisse un lien entre les dessins en reconnaissant certains motifs. Une manière d’éveiller la curiosité, incitant à se demander comment s’est construite la narration, quelle en est la logique mais aussi de faire travailler sa mémoire, de le faire revenir sur ses pas, de mener l’enquête et de préciser ce qu’il a vu ou cru voir. Un texte qui peut aussi devenir poème lors de l’exposition Réouverture de la fameuse partie de billard cosmique à l’Espace A VENDRE à Nice et qui est la réécriture d’un texte écrit par son compagnon de voyage en Californie qui avait déjà préfacé le roman présenté à Saint-Étienne. 

Dans cette ville connue de tous. 
Ville à fantasmes. 
De purs fantasmes. 
Vue et revue, déconstruite à souhait.
On assiste, enfin.
À la fameuse réouverture du billard cosmique. 

À la galerie Houg, un texte introduisait aussi l’exposition Une sorte de carambolage dans une partie de billard cosmique en 2017. Des textes, parfois de quelques pages, à la tonalité oulipienne avec parfois un même travail de mélange de mots et qui, comme pour ses dessins, tendent vers l’abstraction. À Backslash, pour la clôture de l’ensemble en lien avec son road trip californien l’artiste a également prévu d’accompagner l’exposition d’un travail d’écriture. Un chapitre final qui inaugurera un nouveau voyage. Une envie, tout en gardant un processus de travail expérimental et ce caractère un peu fantasmatique, d’aborder un nouvel environnement au travers là aussi d’un parcours autant réel que dans le dessin là aussi en explorant toutes ses potentialités.

Valérie Toubas et Daniel Guionnet

Maxime Duveau, Dernier arrêt à la station service (Last stop at the gas station), Backslash, 2020 Vue d’exposition \ Exhibition view Photo : Tanguy Berdeuley
Maxime Duveau, Dernier arrêt à la station service (Last stop at the gas station), Backslash, 2020
Vue d’exposition Photo : Tanguy Berdeuley
Maxime Duveau, Sweet Tropical Forest, 2020 Fusain, sérigraphie et graphite sur papier, 76 x 56 cm Courtesy artiste et Backslash
Maxime Duveau, Sweet Tropical Forest, 2020. Fusain, sérigraphie et graphite sur papier, 76 x 56 cm Courtesy artiste et Backslash
Maxime Duveau, 25 Delmar St/2358 15th St Reverse Stamps, 2019  Fusain et tampons sur papier, 230 x 160 cm. Courtesy artiste et Backslash
Maxime Duveau, 25 Delmar St/2358 15th St Reverse Stamps, 2019 Fusain et tampons sur papier, 230 x 160 cm. Courtesy artiste et Backslash
Maxime Duveau, Dernier arrêt à la station service (Last stop at the gas station), Backslash, 2020 Vue d’exposition \ Exhibition view Photo : Tanguy Berdeuley
Maxime Duveau, Dernier arrêt à la station service (Last stop at the gas station), Backslash, 2020 Vue d’exposition Photo : Tanguy Berdeuley

MAXIME DUVEAU – BIOGRAPHIE
Maxime Duveau est né en 1992.
Il vit et travaille à Paris.
Diplômé de la Villa Arson en 2015

www.maximeduveau.com

Représenté par Backslash Paris
www.backslashgallery.com 

et Espace A VENDRE Nice
www.espace-avendre.com