SUNMI KIM

SUNMI KIM

PORTRAIT D’ARTISTE / Sunmi Kim
par Jeongmin Domissy-Lee

Dessiner la relation incorporant une forme et une couleur et l’installer dans un espace, irradié par la lumière du temps, pour inviter les hommes – moi et autrui – à une introspection, c’est la voie qui mène au véritable échange – essence même de la vie humaine, aujourd’hui si souvent mise en péril. La métaphore de Sunmi Kim s’écrit ainsi, au travers de son prodigieux langage multiple.

Au bout des doigts de l’artiste, pour qui l’art est une « conscience élargie du monde », se matérialise une « réserve d’énergies plastiquement vibrantes » et nous, les spectateurs, sommes conduits à un « face à face constructeur », qui nous interpelle à nous interroger sur notre propre identité pour mieux nous ouvrir ainsi aux autres, en établissant des liens avec eux.

Définir l’oeuvre de Sunmi Kim n’est pas entreprise aisée, parce que, tout d’abord, sa pratique embrasse quasi tous les registres de l’univers artistique, ensuite, parce qu’une lecture fine de l’oeuvre s’impose pour déchiffrer les différents domaines mis en articulation dans une même création, et enfin, parce qu’elle marie dans une infinie liberté les courants artistiques de l’Occident, où elle réside et travaille, à ceux de l’Orient, où elle est née et a grandi.

Guidée par une recherche axée sur le questionnement de fond : « comment faire résonner l’invisible au sein du visible ? », Sunmi Kim traduit les thèmes qui la touchent au plus profond – relation du soi et avec l’autre, dérive et dysfonctionnement de notre société, rapport avec l’espace, naviguant entre peinture, dessin, sculpture, installation, performance …, sans pour autant tomber dans le piège d’une production hétéroclite ou techniquement aveuglante. Tous ces domaines de création ne sont pour elle que des méthodes pour ses aboutissements artistiques.

Sunmi Kim, La porte des Merveilles 2, 2010, Coquillages, acrylique et fils élastiques, 12 x 6 cm Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, La porte des Merveilles 2, 2010, Coquillages, acrylique et fils élastiques, 12 x 6 cm Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, Refuge intérieur I, 2011, Techniques mixtes - encre de Chine, pigments et fils sur papier, 64 x 50 x 10 cm Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, Refuge intérieur I, 2011, Techniques mixtes – encre de Chine, pigments et fils sur papier, 64 x 50 x 10 cm Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, La Fontaine - Installation, 2008, Techniques mixtes - poudre de marbre, encre de Chine, pigments et fils élastiques sur chaise en bois, 95x390x45 cm, D. variables Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, La Fontaine – Installation, 2008, Techniques mixtes – poudre de marbre, encre de Chine, pigments et fils élastiques sur chaise en bois, 95x390x45 cm, D. variables Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, Performance, 2011, En collaboration avec Sia Kim, Interprété par Marion Carriau et Sia Kim, Le Soixante AdaDa, Saint-Denis Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, Performance, 2011, En collaboration avec Sia Kim, Interprété par Marion Carriau et Sia Kim, Le Soixante AdaDa, Saint-Denis Photo Gwen Le Bras

Les oeuvres de Sunmi Kim, quelle que soit leur aspect ou leur dimension singulière, dialoguent entre elles et constituent un tout cohérent. Le fil, qui suggère la ‘notion de lien’, est aussi un excellent outil plastique, d’une part pour exprimer différentes facettes de la relation des individus entre eux ou avec leur environnement respectif – union, espoir, conflit, fragilité, séparation… et, d’autre part pour créer des formes, modifier des formes existantes, ou encore conférer, grâce aux fils intégrés dans la toile ou le dessin, à une oeuvre, sensée être « plane », des perspectives certaines, offrant densité et profondeur.

Dans le silence du visible, les oeuvres de Sunmi Kim, éminemment plastiques, qu’elles soient accrochées ou posées dans l’espace, sont profondément habitées par la question existentielle ou sociétale de l’être-ensemble, ayant pour vocation de restaurer la relation, de renouer le contact et de participer à la re-création du cadre de vie d’un monde meilleur.

Sunmi Kim, Coexistences chancellantes 2, 2013, Techniques mixtes - poudre de marbre et pigments, fils et fils élastiques rouges sur toile, 60 x 60cm, Diptyque, dimensions variables. Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, Coexistences chancellantes 2, 2013, Techniques mixtes – poudre de marbre et pigments, fils et fils élastiques rouges sur toile, 60 x 60cm, Diptyque, dimensions variables. Photo Gwen Le Bras

Cette oeuvre visuelle « alliant peinture et installation » est aussi un espace de méditation, une fenêtre vers l’extérieur.

En observant les hommes et les femmes qu’elle croise tous les jours dans les lieux publics, par exemple, ici, sur un quai de gare, Sunmi Kim esquisse, en arrière-plan, les réalités cachées du paysage quotidien de la société contemporaine : l’indifférence, le refus de communication – sources majeures des problèmes sociaux et, tente de montrer, par les fils élastiques qui relient les passants, qu’il existe, malgré l’absence visible de relation, des liens qui les unissent.

Ces deux tableaux, qui représentent des entités spatio-temporelles distinctes, reliés par des fils extensibles, fusionnent dans un univers de coexistence ; le travail de l’artiste débute par des toiles en deux dimensions, mais qui, une fois réunies et repositionnées dans l’espace grâce aux jeux de fils, créent ensemble un effet stéréoscopique, dans un montage d’installation en trois dimensions. L’oeuvre est ainsi placée dans une dimension entre deux et trois, que l’artiste appelle « deux dimensions et demie ».

L’oeuvre de Sunmi Kim, en particulier ses tableaux « blancs », épurés mais dont la composition riche, offre la possibilité de regards multiples, entre en résonnance, à la fois, avec l’art conceptuel, répandu en Occident et, avec le Dansekwha – mouvement abstrait monochrome coréen.

Sunmi Kim, Entre deux - dimensions relatives, 2015, Techniques mixtes - poudre de marbre, pigments, fils et fils élastiques sur toile, 70 x 50 cm, Diptyque, dimensions variables Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, Entre deux – dimensions relatives, 2015, Techniques mixtes – poudre de marbre, pigments, fils et fils élastiques sur toile, 70 x 50 cm, Diptyque, dimensions variables Photo Gwen Le Bras

L’artiste invite le spectateur à participer directement à la construction de son oeuvre, en lui permettant de déplacer à sa guise les fils élastiques à la fois dans le cadre et hors cadre, sur le mur qui l’entoure. L’intimité du spectateur avec l’oeuvre est ici autorisée grâce à la structure à deux dimensions et demie. Le spectateur n’est plus un simple regardeur ; la création se démocratise. L’oeuvre, à première vue, si simple et si ordinaire, amène le spectateur à examiner l’environnement immédiat de l’oeuvre plus qu’elle-même et à s’examiner lui-même.

Ces tableaux à la surface quasi-lisse et « blanche » sont en fait le résultat d’un long travail, patiemment mené comme une méditation. Le contraste entre le plat et le relief se dévoile au travers des jeux de l’ombre et de la lumière qui se meuvent et vibrent, alors qu’on se déplace autour de la toile grâce à des lignes géométriques qui la traverse.

Sunmi Kim, Echelle de Jacob Rouge V, 2016, Techniques mixtes - poudre de marbre, pigments, fils et fils élastiques sur toile, 75 x 50m, Dimensions variables Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, Echelle de Jacob Rouge V, 2016, Techniques mixtes – poudre de marbre, pigments, fils et fils élastiques sur toile, 75 x 50m, Dimensions variables Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, A fleur de peau, 2015, Techniques mixtes - poudre de marbre et pigments, fils et fils élastiques sur toile, 50 x 150cm, Dimensions variables  Photo Gwen Le Bras
Sunmi Kim, A fleur de peau, 2015, Techniques mixtes – poudre de marbre et pigments, fils et fils élastiques sur toile, 50 x 150cm, Dimensions variables Photo Gwen Le Bras

Pour produire un tableau, Sunmi Kim fabrique elle-même les châssis en bois, puis elle y applique des sables et des minéraux. Elle les superpose du plus brut au plus doux, couche après couche, y incorporant des fils à chaque strate, jusqu’à une quarantaine de niveaux microscopiques. Par cette superposition, le motif peint est absorbé et imprégné en profondeur entre les différentes couches. Les fils qu’elle incruste dans la toile sont disposés de manière à révéler ou indiquer une certaine topographie de l’espace et à donner ainsi à la surface monochrome une dimension supplémentaire.

« Il s’agit en fait d’un travail sur soi, intérieur ; en faisant “cela” ma pensée se libère […] Même si c’est invisible, je consacre 80 % de mon énergie à préparer mes oeuvres, avant même de commencer à les peindre. Lors de cette phase de concentration méditative, je me vide de mes envies et de mes désirs, avant de
placer des images ou de raconter une histoire. Cela me permet d’atteindre l’essentiel.
»

Par les liens soigneusement tissés entre diverses disciplines, par la fusion inattendue entre sa culture d’accueil et celle d’origine qui imprègne ses oeuvres, Sunmi Kim ouvre sans cesse de nouvelles pistes de recherche et des visions esthétiques à explorer.

Depuis ses débuts, Sunmi Kim, fortement ancrée dans la philosophie de la rencontre et l’art de vivre ensemble et, restant toujours en éveil par le renouvellement constant de ses démarches et propositions, ne se laisse jamais prendre au piège du métier qui consiste à donner l’effet visuel par de simples déclinaisons de la forme, de la couleur ou du matériau.

Elle ne se définit pas par ses positions, mais se construit par ses trajectoires d’artiste. Une de mes dernières lectures faites sur l’Art (Gilles Deleuze et Félix Guattari, 1991) semble, à mon sens, décrire parfaitement Sunmi Kim, une artiste-plasticienne au sens propre du terme :

Comme la philosophie et la science, l’art révèle « la réalité de la pensée », trace un « plan de composition » portant des « composés de sensations » et « crée du fini qui redonne l’infini », en luttant avec le chaos, le hasard du monde, sous l’action des figures esthétiques. L’artiste, le vrai, efface, nettoie des « pré-textes », les clichés qui préexistent à tout acte de création, pour donner à voir les sensations-visions par son propre langage. Il produit, se lançant dans une affaire universelle et non pas reproduisant fidèlement ses vécus personnels, l’oeuvre, bloc de percepts et d’affects, indépendante même de son créateur, et qui tient toute seule et existe en soi.

Jeongmin Domissy-Lee
Docteur en Linguistique, Conseillère en art

SUNMI KIM – BIOGRAPHIE
Sunmi KIM est née en 1976 en Corée du Sud, elle vit et travaille en France depuis 2000
site web : www.sunmiart.com