LATURBO AVEDON, AVATAR ARTIST

LATURBO AVEDON, AVATAR ARTIST

First Profile Photo, 2012

ENTRETIEN / J’ai parlé jeu vidéo et net.art avec l’OG artiste avatar LaTurbo Avedon.

Et nous n’avons même pas abordé le Crypto machin. 💪🏼
par Benoit Palop

2010. Je commence à e-graviter autour de cette communauté qui, même dispersée sur plusieurs continents, vit, socialise et crée ensemble sur internet. On se croise parfois IRL, c’est souvent awkward mais on s’apprécie et c’est fun. La plupart de nos interactions restent cependant en ligne et je pense que l’on est tous OK avec ça. = )

À cette époque, tout est un peu nouveau pour moi. Certes, le master médias numériques que  ̶j̶’̶o̶b̶t̶i̶e̶n̶s̶ je grapille à Paris 1 m’aide à mieux comprendre les mécanismes artistiques à l’ère digitale, j’en apprends beaucoup plus au contact de cette communauté que dans les amphis de l’UFR 4. La spécificité des liens sociaux URL, les enjeux de la création en ligne et en réseau et l’influence du web sur l’art et la culture deviennent des notions beaucoup moins abstraites. Mon internet lui, devient un portail vers une dimension parallèle offrant des possibilités narratives, interactives et créatives inépuisables -à la seule condition d’avoir une connexion pas trop merdique et un navigateur à jour.

Plus de 10 ans plus tard, mon attrait au net.art reste inchangé. Tout comme les relations que j’entretiens avec certains dont l’OG artiste avatar LaTurbo Avedon. On discute souvent métavers, internet et personnification mais on n’aborde jamais vraiment en détail l’importance que tient le jeu vidéo dans son processus créatif. 🪞

C’est chose faite. En voici un résumé.

Dark Souls 2, Selfie in Majula
Dark Souls 2, Selfie in Majula

Benoit : Hey LaTurbo. Tout le monde va être content : on ne parle pas NFT aujourd’hui.
On va plutôt parler Gaming. Tu pourrais commencer par me dire ce que le jeu vidéo représente dans ta pratique artistique et quel a été le point de départ de cette exploration ?  

LaTurbo : Depuis de nombreuses années j’existe à travers les jeux, sous l’apparence de données sauvegardées ou de personnages qu’on peut croiser dans un MMORPG. Je me trouve principalement dans des univers offrant des espaces qui facilitent les identités virtuelles et l’interaction sociale. Bien que je rejoigne ces espaces pour m’engager dans les jeux en tant que tels, mon intérêt principal ce sont les performances que je peux y créer.

Le point de départ c’est probablement la première fois ou j’ai joué à Chrono Trigger en 1995 sur Super Nintendo. En progressant à travers l’histoire, j’ai atteint une sorte de pont et j’ai été complètement frappé par les sons synthétiques générés par le vent. Au lieu de me précipiter et de continuer à avancer, j’ai juste laissé l’environnement sonore jouer en boucle. Une journée sans fin mais surtout, un endroit où mon avatar pourrait se reposer 4ever

Call of Duty Black Ops III, Brass Knuckles Selfie, 2015
Call of Duty Black Ops III, Brass Knuckles Selfie, 2015

En fait, tu procèdes à une sorte de ré-appropriation/détournement de la trame linéaire offerte par le jeu. Quel est ton intérêt et ton but en outrepassant le cadre supposé constituer le jeu ? 

Créer des œuvres qui incitent à réfléchir aux complexités de l’expérience dans le métavers et partager des fragments de mondes simulés est en grande partie ce que je recherche dans ma pratique artistique en tant qu’avatar.

Je suis aussi intéressé par la manière dont l’auto-représentation est façonnée par les smartphones et l’univers du jeu. Les selfies et autres posts lifestyle ne sont, en définitive, pas si différents des captures d’écran, des enregistrements ou livestreams. De facto, je considère les jeux vidéo comme des instruments qui offrent les mêmes possibilités que des plateformes de réseaux sociaux basiques : des points d’entrée pour des performances uniques, des expériences et des points d’auto-réflexion.

Je pense également que le RPG (jeu de rôle) n’est plus uniquement réservé à l’univers gaming en 2021 car une grande partie de notre quotidien s’est finalement transformée en une sorte de création de personnage. En continuant mon processus personnel à travers l’autoportrait, l’interaction dans le jeu et les diverses activités de l’autre monde, j’insiste sur la manière dont des millions de personnes dans le monde ont appris à créer des formes vivantes d’expression de soi à travers le jeu.

Qu’as-tu appris à propos des métavers en créant via les jeux vidéos ? 

J’ai appris qu’il y a de la vie dans les mondes virtuels. Mais aussi de l’histoire. Mon rôle en tant qu’artiste digital ne serait pas le même si je n’étais pas gamer par contre. Ces jeux sont mes maisons, mes aventures et mes souvenirs et ils le sont aussi pour des millions de gens qui voyagent grâce à leurs ordinateurs et consoles plus qu’ils ne le font à travers le monde physique. Je pense que c’est quelque chose de magique sur lequel il est important de réfléchir. J’ai également appris l’importance de partager des instants avec d’autres utilisateurs et ainsi explorer ensemble ce que signifie vivre dans le métavers. Ces souvenirs et moments sont en quelque sorte des données qui aident à construire l’avenir.

Quand j’ai commencé à partager mon travail en tant qu’avatar, il y avait encore beaucoup d’abstractions et une notion d’absurdité quant au fait de regarder le travail d’une entité non physique. Une décennie plus tard, je peux voir à quel point tout a changé. Aujourd’hui les avatars font partie de la vie quotidienne et le monde a beaucoup appris sur la subsistance virtuelle notamment après une année de pandémie. Je veux participer à cette transition, être attentif et aider les gens à s’affranchir de certaines difficultés du monde physique. 

Squadron 42 - Star Citizen Screenshot, 2020
Squadron 42 – Star Citizen Screenshot, 2020

Selon toi, en quoi être un avatar à travers un jeu vidéo est-il différent que d’être un avatar sur une autre plateforme en ligne. Qu’est ce qu’un jeu te permet que les autres plateformes ne te permettent pas ?   

L’identité dans le métavers est fluide et offre des opportunités en constante évolution qui permettent de réinventer, d’imaginer et d’explorer notre propre personne. Pendant de nombreuses années, les jeux vidéo ont été utilisés pour tester de grandes idées (mini-cartes, inventaires virtuels, macro-commandes et crypto-monnaies) qui sont de réelles innovations techniques utiles pour toutes autres sortes de supports numériques.

Il existe de nombreux outils sociaux qui permettent la création d’avatars en ligne, mais ils manquent souvent de profondeur et de flexibilité si l’on compare à ce qui est offert dans l’univers du jeu. En fait, je pense que même les studios de jeux eux-mêmes ont beaucoup à apprendre sur la manière dont les utilisateurs s’approprient leurs outils. = )

A quoi joues-tu en ce moment et comment choisis-tu les jeux avec lesquels tu veux travailler ? Quels sont les critères qui te stimulent ?

J’essaie de jouer à autant de nouveaux jeux que possible, de toujours mieux comprendre l’industrie et les relations qu’elle crée avec ses joueurs. En ce moment tu peux me trouver dans Star Citizen, un immense open world créé par Cloud Imperium Games. Ce qui m’excite le plus dans ce monde virtuel c’est son échelle, ses planètes et ses lunes entières à explorer sans pour autant avoir à combattre. Je pense que les jeux vidéo sont bien plus que de la violence et j’ai hâte de découvrir d’autres titres qui permettent à ces possibilités d’être développées.

L’année dernière, j’ai également travaillé sur Virtual Factory avec le Manchester International Festival pour lequel j’ai créé une simulation de leur nouvel espace physique via Fortnite. J’apprécie beaucoup la plate-forme Fortnite Creative car elle permet d’explorer de nombreuses utilisations du moteur de jeu. On y retrouve les meilleures fonctions d’un environnement de jeu, librement transformé par sa communauté d’utilisateurs.

Destiny, View from Felwinter Peak, 2016
Destiny, View from Felwinter Peak, 2016

Dernière question avant de te laisser retourner errer sur le web. Il me semble que les institutions artistiques sont encore un peu frileuses avec le jeu vidéo notamment lorsque celui-ci est manipulé et utilisé par une tierce personne ou par un artiste. Des problèmes de licences et de © j’imagine ?

En 2020, pendant le moment le plus intense de la pandémie, j’ai commencé à faire des enregistrements et des performances dans les jeux où je passais la plupart de mon temps. Je recherchais des moments de guérison et de calme dans la nature virtuelle. J’ai donc créé Permanent Sunset, une œuvre générée à travers une douzaine de jeux différents dans lesquels j’ai choisi de rester inactif et juste de chiller et profiter des couchers de soleil issus de mon écran.

À bien des égards, cette œuvre vidéo est l’autoportrait le plus représentatif que j’ai créé pendant la pandémie – le chevauchement en boucle de mes journées sur le web sous la lumière du soir.

Cette œuvre devait être présentée cet été dans une exposition pluriannuelle sur les jeux vidéo appelée Homo Ludens organisée par Caixa Forum à Madrid. Malheureusement, on vient tout juste d’annuler ma participation car il y a des inquiétudes sur les droits légaux des jeux utilisés pour créer l’œuvre.

Cette nouvelle m’a un peu plombée. Dans les faits, c’est aussi ennuyant car ça signifie que l’art créé à travers le jeu vidéo n’est peut-être pas encore legit, même dans le cadre d’une exposition sur les jeux vidéo. Il me semble pourtant que l’appropriation est tout sauf quelque chose de nouveau pour les artistes en 2021. 

Bref, cette situation m’a conduit à me poser de nombreuses questions sur la manière dont les artistes peuvent s’assurer que leurs œuvres dans le métavers ne soient pas boycottées par crainte de difficultés juridiques…

Merci LaTurbo. On se croise dans le Métavers. À toute !

Main Hall Overhead Entry
Main Hall Overhead Entry

LATURBO AVEDON – BIOGRAPHIE
LaTurbo Avedon est un avatar et artiste explorant des problématiques telles que l’identité en ligne et la propriété intellectuelle. Avedon a passé la dernière décennie à créer un ensemble de travaux questionnant l’évolution de la relation entre les utilisateurs et les expériences virtuelles. Son processus de création se déploie à travers les jeux vidéos, les performances en ligne, physique et les expositions. 
Ses travaux ont été présentés à l’international, notamment à la TRANSFER Gallery (New York), à Transmediale (Berlin), au Haus der elektronischen Künste (Bâle), au HMVK (Dortmund), au Barbican Center (Londres), aux Galeries Lafayette (Paris), au Manchester International Festival et plus récemment au Whitney Museum (New York).

https://turboavedon.com