Raphaël Barrois, Le souvenir est dans le futur

EN DIRECT / Exposition de l’artiste Raphaël Barrois « Le souvenir est dans le futur » du 29 novembre 2019 au 15 janvier 2020, AMAC Projects Paris.

Pour Raphaël Barrois, l’artiste est celui qui détient un savoir-faire particulier, fruit de ses expériences et de ses tentatives. C’est alors une relation particulière qui se raconte au spectateur, sous différents niveaux de lecture.La maîtrise d’un matériau ou d’un médium raconte nécessairement le rapport que l’on a eu avec ce dernier. Elle relate un temps passé d’apprentissage et de faire personnel mais aussi d’un faire plus général, lorsque l’on pense à ceux et celles qui ont permis le développement de ces techniques. Être à la fois soi et ce qui précède. Cette idée a conduit Raphaël Barrois à traiter chaque pratique comme un souvenir actif que l’on peut convoquer pour lui donner un potentiel d’avenir.

Un rapport à l’esthétique envisagé comme le produit d’une réalité particulière habite le travail de Raphaël Barrois. Cette réalité physique questionne nos rapports au monde. Par exemple, dans l’œuvre « À vif », la surface brûlée vue par le public symbolise l’absence d’événement qui se sont pourtant produits. Un état sans contexte solidifié qui décrit une époque où la vérité n’est plus valable et qui demande silencieusement : avons-nous toujours besoin de trouver une raison de façonner l’avenir dans le passé ?

Dans l’œuvre « Couverture de survie », une technique de contrôle de la chaleur (technique du verre) appelle une autre méthode de contrôle de la température (couverture de survie). Pour l’artiste, le plus important est que les deux schémas corporels se reflètent l’un dans l’autre et que le verre solidifie non seulement la matière symbolique et les moments d’urgence, mais aussi une métaphore politique de sa propre expérience. Plutôt que de traiter le contexte politique avec aigreur, Raphaël Barrois a choisi d’offrir une forme alternative de discussion des étiquettes socio-politiques. On s’aperçoit parfaitement de cette volonté avec « fabriqué en Afrique » écrit en chinois, faisant à la fois écho à l’espace d’exposition mais aussi aux attributs identitaires de l’artiste.

Dans les nouvelles peintures en verre de Raphaël, les matériaux mixtes ne sont pas destinés à mettre l’accent sur leur communion, mais plutôt à mettre en évidence leurs propriétés respectives comme forces supplémentaires. Ne deviennent-ils pas la métaphore des différents groupes sociaux à l’heure du renouveau des questions identitaires ? 

La pratique ne peut en aucun cas prendre des engagements significatifs envers l’avenir et le passé.  Le titre de l’exposition, « Le souvenir est dans le futur » interroge par l’utilisation du verbe « être ». Le souvenir est ce qui relève du passé. L’utilisation du présent de l’indicatif renverse le rapport logique temporel et opère un détournement au profit de la pensée poétique puisque rien n’est plus relatif que le temps et que tout futur sera un jour derrière nous. Comment saisir l’instant X de la contemporanéité dans l’entrelacement du futur et du passé ? À travers un passé lointain qui se répète et un avenir incertain et fragile, nous devrions alors être en mesure de trouver la possibilité d’être dans le présent afin de mieux comprendre notre fragilité.

Guangli Liu et Vincent-Michaël Vallet

Raphaël Barrois
Né à Asmara (Érythrée) en 1988
Il développe une pratique pluridisciplinaire entre sculpture, verrerie, peinture, installation et vidéo. Cette utilisation variée des médiums est au service d’interrogations communes. Les notions d’identités et d’appartenance qui y sont soulevées nous questionnent sur leurs constructions et nos acceptations en tant qu’élément d’un groupe social ou d’une société défini. Pour ce faire, les œuvres de l’artiste révèlent les traces et les empreintes qu’on peut laisser sur la matières comme pour mieux attraper le réel. Elles irradient souvent d’une violence attractive et permettent une libre interprétation de la part du spectateur. En choisissant d’ajouter les notions d’éphémérité et de fugacité aux questions d’identité, il propose d’arrêter, au moins instant, ce qui est voué à disparaître. Cette décision relève de son désir profond de fixer l’intangible dans une course effrénée vers ce qui va se perdre et périr. De cette manière, en jonglant avec le royaume de la mémoire et le domaine de l’expérience, chaque œuvre est une question ouverte sur notre condition.
Par Vincent-Michaël Vallet