Sébastien Rémy, « Les cellules blanches, nues et le sommeil électrique »

Sébastien Rémy, « Les cellules blanches, nues et le sommeil électrique »

EN DIRECT / Exposition personnelle de Sébastien Rémy, « Les cellules blanches, nues et le sommeil électrique »
du 13 avril au 08 juin 2019 sous le commissariat de Céline Poulin, assistée de Camille Martin, CAC Brétigny

« Les cellules blanches, nues et le sommeil électrique » est une proposition enivrante qui vous plonge, notamment par sa dimension sonore, dans un espace toujours entre intérieur et extérieur. Cet intervalle se fait jour dans l’ensemble des œuvres exposées qui mélangent des références à l’intime, au privé, et au public. D’ailleurs, la façade vitrée du centre d’art vous loge déjà face à un entre-lieu. Celle-ci a été entièrement recouverte par une image monumentale semi-transparente qui reproduit, non sans écart, l’intérieur du centre d’art. Par le subterfuge de la modélisation 3D, l’artiste a recréé un espace illusionniste en miroir de la galerie d’exposition. Mais l’image qui apparait n’est pas fidèle, car y résident de nombreuses anomalies. Des forces entropiques sont venues parasiter l’ensemble, couvrir les murs et le sol d’herbes sauvages, de moisissures et de flaques d’eau. Un matelas recouvert de draps froissés semble indiquer une présence humaine, mais cette dernière se serait évaporée laissant l’ampoule allumée derrière elle. Le corps est absent, mais réside une indéniable présence fantomatique dans l’œuvre ainsi que dans les autres qui habitent l’exposition. 

Les dispositifs réalisés ou réactivés spécifiquement pour l’occasion développent une esthétique citationnelle. À travers des références à la littérature, aux sciences, au cinéma ou à l’histoire de l’art, l’artiste construit des rhizomes. Ses œuvres ne sont jamais des fins. Au contraire, il s’agit plutôt de seuils tant pour le regard que l’imaginaire. Nous sommes invités à pratiquer l’exposition par la vue, mais aussi par le corps. Tournant autour des installations, on se retrouve souvent à s’y asseoir pour y lire des textes. Ces derniers sont de diverses natures : essais, textes littéraires, dialogues, voire notes de recherches. On plonge dans ces histoires ouvertes dans lesquelles réside toujours un manque. Ce creux est une ouverture propice à la réflexion et à la construction de nouvelles associations. Car si le verbe est une part importante de la démarche de l’artiste il ne faut pas en oublier l’image. Celle-ci, demeure également à définition variable, oscillant entre le registre cinématographique, le documentaire, ou l’extrait de bande dessinée. Le noir et blanc utilisé accentue l’aspect passé des images. Ce sont des détails, des « ça a été » comme le dirait Roland Barthes, mais qui, pris dans une iconologie des intervalles, produisent de nouveaux chemins pour la pensée.  

Histoires de fantômes, récits intimes, réflexions philosophiques, recherches scientifiques, les histoires demeurent, au cœur de l’exposition, plurielles. Néanmoins, elles se développent à l’aune d’un espace commun. Celui d’un huis clos, d’une chambre dans laquelle nous basculons. On y convoque les fantômes de personnes et personnages qui ont décidé s’y enfermer ou qui ont été contraints d’y rester cloisonnés. L’installation Les cellules blanches, nues et le sommeil électrique, composée d’une moquette imprimée tombant du mur pour se répandre au sol dans une flaque informe, nous invite à parcourir en surplomb une chambre d’hôpital psychiatrique. Sans être la représentation d’un espace existant et en évitant les clichés liés à la psychiatrie, Sebastien Rémy a remodelé en 3D un espace en associant des éléments observés et récupérés dans l’hôpital  Barthélémy Durand. La scène est baignée d’une lumière diaphane, qui fait entrevoir par leurs ombres les barreaux de la fenêtre, indice de la nature du lieu d’enfermement dans lequel on réside virtuellement. Vêtements masculins et féminins, lit, table, images ainsi que fragments de textes façonnent cet espace qui semble avoir été abandonné il y a peu. Des écritures flottent à la surface de l’image. Indéchiffrables, elles proviennent d’un mystérieux alphabet écrit par un.e anonyme.e dans une lettre conservée depuis longtemps par l’artiste. Ces mots à la signification a priori indéchiffrable semblent ici désigner quelque chose en acte dans cette œuvre comme dans les autres. Ils pourraient en effet évoquer une limite essentielle. C’est la frontière qui sépare l’intérieur de l’extérieur, celle qui oppose la chambre au reste du monde, celle qui sépare le corps organique de l’esprit. C’est aussi la limite entre le verbe et l’image, tout comme celle qui distancie le visible de l’invisible, l’absence et la présence, le réel et la fiction. C’est enfin la limite qui définit, de manière politique, la norme et la marge et qui nous propose alors de repenser notre rapport à la société ainsi qu’aux règles et aux comportements qui la structurent.  

Sebastien Rémy propose par cette exposition une exploration du sensible. Tout se joue dans un espace interstitiel : à la surface de murs qui suintent, d’images fixes ou étrangement mobiles, de lambeaux de textes dont la narration reste à compléter. Un projecteur d’une lumière bleu vert nous éclaire, nous met en scène, tout en nous observant tel un œil curieux. Il ouvre soudainement une ellipse dans une phrase poétique dispersée dans l’espace, faite de mots et d’images tels des organismes à l’état de corps flottants. 

 Texte Thomas Fort