VICTOR VAYSSE [ENTRETIEN]

VICTOR VAYSSE [ENTRETIEN]

Alors qu’il étudiait au Fresnoy, un établissement français de formation, de production et de diffusion artistiques, audiovisuelles et multimédia, Victor Vaysse conçoit comme projet de fin de première année While True, une installation autonome programmée, qui filme et diffuse simultanément son propre film. Une « machine à filmer » qui, dans cette école où sont enseignées les techniques du cinéma, prend une résonance particulière car elle soulève très directement la problématique des modes de production contemporain de l’image cinématographique. Une installation qui réunit aussi les différents axes de recherche de l’artiste sur une image photographique auquel il donne le statut de sculpture-objet. 

Comment s’inscrit While True dans ton travail ?

Le projet While True que j’ai présenté à la fin de ma première année au Fresnoy cristallise toute la recherche que j’ai faite à l’École des Beaux-Arts, toutes ces envies qui ont nourri mon travail photographique. Point par point, elle est une transposition de chacune de mes préoccupations dans un principe mécanique de production automatisée d’images me permettant d’amener tout autant une réflexion esthétique que politique. While True permet, grâce à trois caméras programmées, de circuler, de filmer et de projeter simultanément des images sur un mur. Le principe est de recomposer le même mouvement que celui du marcheur qui capte des images sans vraiment prendre conscience de leur présence. Il peut s’agir d’affiches, de gestes ou de postures de passants, d’enseignes, tout ce qui occupe l’espace dans lequel il se déplace. La machine produit une même accumulation pour en composer une autre plus globale, donnant une impression de multiplication d’éléments dont, par sa complexité, elle fait d’ailleurs elle-même partie.

Comment s’intègrent le son et le mouvement à ta réflexion autour du médium photographique au sein de cette structure ?

L’image projetée n’est pas le résultat, ne fait pas « oeuvre » car elle est d’ailleurs plutôt abstraite, mais c’est plutôt le dispositif, avec toute sa mécanique composée de petits éléments qui s’actionnent de manière automatisée et qui font des bruits. L’ensemble crée une sorte d’ambiance animée et sonore comparable à celle de l’espace public au moment où le photographe déclenche l’obturateur.
D’un point de vue technique, cette installation est composée d’une structure en plusieurs parties disposant de trois caméras motorisées qui circulent sur des images fixes. Les images proviennent de prises de vue de la construction ou de la machine elle-même. Ce sont des images assez denses de fragments de la machine. J’ai voulu laisser visible le caractère à la fois technologique et bricolé de cette machine très difficile à construire et à mettre au point, et qui fonctionne sur un principe d’imprimante 3D. Une machine que j’ai conçue avec des documents open source trouvés sur internet, en consultant des forums et visualisant des tutoriels. Une structure, entièrement automatisée, dans laquelle j’ai aussi inséré des éléments de sculpture ou des moulages, et dont le mouvement est programmé en boucles de 20 minutes.Les trois caméras qui sont indépendantes les unes des autres, répondent à des procédés cinématographiques. On passe d’une caméra à une autre grâce des  fondus, ou des coupes. Un principe de circulation sur l’image qui relève aussi d’un procédé cinématographique que l’on retrouve dans les génériques déroulants de fin des vieux films, les bancs-titres, où la caméra se déplaçait sur une liste de noms. Tout un vocabulaire du cinéma classique, du tournage jusqu’au montage s’entremêle avec celui plus technologique de la machine.

Tout en déplaçant son intérêt final qui devrait être le film ?

En effet, sont visibles les trois images-matrices que les caméras viennent filmer, le spectateur adopte donc une attitude omnisciente sur l’action filmique de la machine, car c’est justement cette action qui m’intéresse, et non ce qu’elle produit. Les caméras filment ces images tout en ayant la possibilité de s’incliner pour filmer l’espace concret de la machine. C’est dans ce rapport entre ce qui est filmé – un espace fictionnel photographique, ou bien des images provenant de l’espace réel, et la structure, qu’il est ainsi possible de dire qu’elle se filme elle-même et qu’elle est aussi un espace de projection.

Quels liens développe-t-elle avec tes travaux photographiques ?

Je considère la photographie comme la collecte de fragments. J’y ai toujours vu un lien avec la manière dont un sculpteur place son volume et modèle l’espace avec son action ou son geste dans un White cube. Appuyer à un moment donné sur le déclencheur et venir enregistrer des fragments d’espace produit un même objet de désir qui contient lui-même une troisième dimension. La machine While True produit à la chaîne des fragments qui sont projetés sur un mur.

La photographie ne peut être une fin en soi ?

Même si j’aime beaucoup le travail de certains photographes, je trouve souvent que la photo parle d’elle-même, s’auto-cite. J’ai très vite utilisé la photographie comme un matériau et je l’ai associée à d’autres, notamment la résine, qui est translucide. En faisant ces transferts sur résine, je gardais ce caractère transitoire de la prise de vue, du mouvement qui l’avait générée. Disparaissait ainsi toute cette pression du médium photographie par rapport à son support papier. Il m’était alors possible de parler d’autre chose que de l’image. J’avais pour projet d’amener l’image photographique dans un environnement qui lui est hostile : l’atelier de sculpture ; et pour intention de l’utiliser comme matériau principal à la création de sculptures en la déchargeant de son support papier si fragile, et si délicat.

De quelles circonstances est née cette dialectique photographie-sculpture ?

Au commencement de ma formation, je me suis intéressé à l’image produite par un objet technique, l’appareil photographique, de l’enregistrement à l’apparition de l’image par le tirage. C’est le rapport entre vision sensible de l’opérateur et rigueur technique qui m’a passionné, avec à chaque étape la possibilité de pirater la partie technique pour la faire basculer du côté du sensible, c’est-à-dire de subvertir l’action d’enregistrement par une manipulation extérieure comme la surimpression, le photogramme ou encore la solarisation. C’est au sein de ces rapports techniques et historiques que ma pratique prend forme. Si l’appareil photographique n’est plus le centre de ma pratique, comme il a pu l’être dans les premiers moments de mon travail, il n’a pas pour autant complètement disparu. Il est toujours là, quelque part, en ligne de mire.  

While True est une pièce qui réunit toutes tes préoccupations d’artiste : images, mouvements, objets…

Oui, et même ce côté un peu geek que je porte en moi et que j’avais envie d’assumer à travers ce travail ! De la même façon que j’ai amené la photographie au cœur de ma pratique de sculpture, cette pièce m’ouvre aussi de nouvelles perspectives quant à l’intégration du numérique dans ma pratique de sculpteur.

Entretien avec Victor Vaysse réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet © Point contemporain 2019

Visuel de présentation : Victor Vaysse, While True, 2016 – Panorama 18 – Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains Tourcoing


Victor Vaysse
Né en 1989.
Vit et travaille en Seine-Saint-Denis.

www.victorvays.se

Victor Vaysse, While True, 2016 - Panorama 18 - Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains Tourcoing
Victor Vaysse, While True, 2016 – Panorama 18 – Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains Tourcoing
Victor Vaysse, While True, 2016 - Panorama 18 - Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains Tourcoing
Victor Vaysse, While True, 2016 – Panorama 18 – Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains Tourcoing
Victor Vaysse, While True, 2016 - Panorama 18 - Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains Tourcoing
Victor Vaysse, While True, 2016 – Panorama 18 – Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains Tourcoing
Victor Vaysse, vue d'exposition - Le Vingtième Prix de la Fondation d'entreprise Ricard, Fondation d'entreprise Ricard, Paris 2018
Victor Vaysse, vue d’exposition – Le Vingtième Prix de la Fondation d’entreprise Ricard, Fondation d’entreprise Ricard, Paris 2018
Victor Vaysse, Liquidités, vue d'exposition - Le Vingtième Prix de la Fondation d'entreprise Ricard, Fondation d'entreprise Ricard, Paris 2018
Victor Vaysse, Liquidités, vue d’exposition – Le Vingtième Prix de la Fondation d’entreprise Ricard, Fondation d’entreprise Ricard, Paris 2018
Victor Vaysse, Untitled (boro), 2018, résine, fibre de verre,transfert d’image, leds
Victor Vaysse, Untitled (boro), 2018, résine, fibre de verre,transfert d’image, leds
Exposition collective #678 du 16 au 18 mars à la Villa Belleville, Paris
Victor Vaysse Backgrounds, 2019 Résines , transfert d’image Courtesy de l’artiste Exposition PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo
Victor Vaysse, Backgrounds, 2019 Résines , transfert d’image Courtesy de l’artiste
Exposition PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo
Victor Vaysse Backgrounds, (détail) 2019 Résines , transfert d’image Courtesy de l’artiste Exposition PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo
Victor Vaysse Backgrounds, (détail) 2019 Résines , transfert d’image Courtesy de l’artiste
Exposition PLEIN JEU #2 – Frac Champagne-Ardenne. Photo Martin Argyroglo

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