Zoer, Solara
FOCUS / Oeuvre Solara de Zoer, une œuvre d’art au service de l’écologie et du patrimoine industriel
par Camille Leflon
Peintre figuratif, Zoer lie l’essence de la peinture, la couleur, à l’épave automobile, en définissant sa palette sur 144 modèles dans la plus ancienne casse de France. La couleur est ici le véhicule d’une initiative solidaire au service de l’écologie et de la mise en lumière du patrimoine industriel. Avec Solara, l’artiste rend visible la nécessité de sauvegarder sous forme d’épave l’automobile ancienne à titre patrimoniale. Il veut également faire le pari de dédier les bénéfices d’une campagne de crowdfunding à l’acquisition de plante hyperaccumulatrices qui permettront une dépollution du sol au bilan carbone raisonnable.
COULEURS
La destination de l’objet abandonné est au coeur du travail de Zoer. La peinture lui permet de rendre visible ce que l’on ne voit plus et de dialoguer avec la beauté de la sédimentation. Pour signifier l’oublié, Zoer crée en Charente un nuancier monumental pour donner une nouvelle identité à ces épaves laissées à la providence. La couleur est ici utilisée pour renseigner sur le travail du peintre et sensibiliser sur une problématique locale qui ne peut être résolue qu’à une échelle globale. D’un point de vue plastique, Solara questionne la relation couleur-objet-lumière dans un environnement soumis aux aléas naturels et la subjectivité de la couleur.
Le titre de l’oeuvre Solara, fait référence à un modèle automobile fabriqué jusqu’en 1981, la dernière voiture du constructeur français Talbot, la Talbot Solara, que l’on retrouve parmi les 144 voitures de ce nuancier. Le titre a été choisi parmi toutes ces dénominations industrielles car étymologiquement il fait référence à la solarisation; un procédé d’altération de la couleur lors de son exposition au soleil. Pour respecter ce phénomène de dégradation naturelle de l’objet, l’intervention de Zoer s’est portée principalement sur les capots, toits et coffres des voitures. Le soleil a oxydé les carrosseries selon ces plans horizontaux. L’action de la lumière crée un détachement entre les surfaces qui les rend plus lisibles. Pour décrire son nuancier, l’artiste a disposé les couleurs selon des séquences, comme plusieurs chemins parmi une infinité, guidant des tonalités fortes vers la lumière.
En harmonie avec la notion de parc, la disposition de ces automobiles correspond à la manière dont le propriétaire des lieux depuis 50 ans, les a ordonnées tout au long de sa vie. Chaque véhicule apparaît comme un élément constitutif d’une composition d’ensemble, un pixel avec sa couleur et sa luminosité propres parmi tous les éléments d’une image. La subjectivité de la couleur est exprimée par l’application de codes héxadécimaux, traductions possibles de chaque couleur dans le système RVB. En associant l’aspect individuel de l’objet à l’infinité de possibilités offertes par le système RVB, toutes ces automobiles sont le reflet de l’impact collectif des objets de consommation. Solara pose la question de l’empreinte globale.
HERITAGE
En Charente, ces centaines d’automobiles anciennes, pour la plupart quasiment disparues, sont comme au repos et se laissent contempler et photographier par des passionnés depuis des décennies. A l’heure où les matériaux employés dans l’industrie sont pensés pour être broyés après un cycle de vie ultra-court, où des milliers de véhicules et d’objets neufs sont construits et ne seront jamais utilisés, l’épave apparaît ici comme la dernière trace de l’existence matérielle, d’un passé industriel dont la disparition s’accélère, témoin de l’histoire automobile française.
Dans un futur proche, la notion d’épave automobile n’existera plus. Au même titre que le débat qui a animé les doctrines de la conservation restauration de l’architecture au XIX siècle entre Ruskin et Viollet-le-Duc, ne serait-il pas nécessaire d’adapter cette problématique au patrimoine industriel ? En marge des objets entièrement restaurés, ne faudrait-il pas garder une trace de la beauté de la ruine de cette invention qui a révolutionné le XX siècle ?
ECOLOGIE
Solara a été créée dans le but de mettre en lumière les difficultés auxquelles les propriétaires sont aujourd’hui confrontés. Pendant plus de cinquante ans, ils ont exercé cette activité de casseur aujourd’hui très décriée. Bien loin du stéréotype de la casse sauvage, leur terrain de plusieurs hectares a toujours été rigoureusement entretenu.
Les prélèvements du sol montrent des concentrations de polluants dans la moyenne tolérée pour toutes les substances soumises au contrôle, à deux exceptions: les concentrations en cadmium et nickel sont en effet très légèrement supérieures sur certains carottages. Pour remédier à cette problématique, l’artiste fait le pari que les bénéfices issus de la campagne de crowdfunding puissent permettre la mise en place progressive d’un remplacement des automobiles par des cultures de superplantes. L’utilisation de ces plantes accumulatrices, véritables absorbeuses de métaux, s’inscrira dans un protocole de recherche autour de la remédiation des sols.
Symboliquement, il aimerait que pour chaque voiture sauvée de la destruction complète, une parcelle équivalente à sa surface au sol soit plantée.
Zoer
Né en 1985
Vit et travaille à Lille
www.zoerism.com
