[EN DIRECT] L’Écho des murmures Regards sur la scène contemporaine roumaine Galerie Valérie Delaunay Paris

[EN DIRECT] L’Écho des murmures Regards sur la scène contemporaine roumaine Galerie Valérie Delaunay Paris

Si la galeriste Valérie Delaunay porte un regard sur la scène contemporaine roumaine, et plus particulièrement sa peinture, par une exposition programmée en deux volets, c’est bien parce que, comme les amateurs de l’histoire du XIXe, ce grand siècle des arts, de la peinture et de la littérature, elle considère la Roumanie comme un pays culturellement riche. Francophile et germanophile, cette nation est portée par un intérêt pour les arts classiques de sa prestigieuse voisine, l’Italie.
Intellectuels russes, roumains, jeunesses ouvertes à la connaissance et aux mondanités échangeaient sur les arts nobles. Toute une intelligentsia parcourait ainsi l’Europe et participait à son essor artistique. Un rayonnement fort, pourtant devenu pour la Roumanie presque anecdotique, effacé par plusieurs décennies de dictature, soumis à un enclavement qui sera considéré comme un « sacrifice » de cette nation évincée par ses dirigeants de la scène internationale.

Un sacrifice que les peintres contemporains roumains Radu Belcin et Flavia Pitis ont relaté lors de l’exposition Sacrifice Generation_Génération de sacrifice (Société Générale, Paris, 2012) sous le commissariat de Cosmin Năsui qui rappelait dans le communiqué de presse : « Les années ’70, ’80, ’90 en Roumanie ont vu le passage de plusieurs générations sacrifiées qui se sont confrontées aux réalités d’un présent inexistant et d’un futur qui tardait à venir. La réalité était toujours ailleurs, et les références étaient celles de l’Europe de l’Ouest, avec ses modèles déjà épuisés. » Avant qu’une « révolution culturelle » ne bouleverse profondément au début du XIXe siècle la structuration de sa société, la Roumanie était composée d’un ensemble de groupes à dominantes « paysannes » et par cela encore proche du modèle médiéval. Située au carrefour des grandes et rayonnantes nations que sont l’Allemagne, la France et l’Italie, c’est par les relations qu’entretient la jeunesse qui voyage, que le pays s’éveille et entame une profonde mutation par le rapport aux arts. Il suffit de faire une recherche « Roumanie » sur le site du Musée d’Orsay pour comprendre, avec l’affichage de 315 résultats, l’effervescence de la scène roumaine et son omniprésence dans les échanges culturels entre les nations occidentales. Un éveil à deux vitesses qui fera que persiste encore, comme le montrent les peintures mettant en scène la ruralité des peintres roumains Dumitru Ghiata (1888-1972) ou Ion Grigorescu (1945- ), cet ancrage à la terre et à ce que l’anthropologue Vintilâ Mihâilescu juge comme constitutif de « toute la culture roumaine » rappelant les propos du philosophe roumain Constantin Noica : « Par conséquent, le discours culturel sera tenté – sinon contraint–, par sa nature même, de revenir éternellement à ses propres fondements afin d’y chercher une solution à son conflit constitutif. C’est le début de l’« obsession des origines » – et aussi de la culture roumaine « moderne ». (1)

Ce drame identitaire, loin de figer dans son élan le développement de cet engouement culturel, Vintilâ Mihâilescu le définit comme une de ses composantes : « La modernité se joua par la suite plutôt dans l’imaginaire de la culture, ce qui engendra une fécondité spirituelle presque miraculeuse. » L’art est devenu le socle d’une unité nationale, au point qu’il est possible de dire qu’il est constitutif de la nation roumaine. Ainsi, dans un pays qui a un lien très fort avec son passé et auquel Caussat en 1989 donnera le nom de « roumanité »(2) , et malgré l’Histoire ou plutôt les histoires de la Roumanie, la scène artistique et notamment picturale a toujours été très foisonnante. Une scène que l’Espace Louis Vuitton met à l’honneur en 2013 avec une exposition (3) regroupant des peintres historiques, certains ayant vécu sous le régime de Ceausescu tels que Ion Grigorescu, Geta Bratescu aux côtés de jeunes émergents prometteurs tels que Simon Cantemir Hausi, Mircea Suciu ou encore Bogdan Vladuta. Une peinture roumaine contemporaine qui, bien que très ancrée dans les problématiques politiques de la nation, est encore nourrie par le romantisme allemand, le classicisme italien et la sophistication française.

Après avoir nécessité près de deux ans de travail et de recherches à la galeriste et commissaire Valérie Delaunay, l’exposition L’écho des murmures fait complètement ressentir ce syncrétisme d’influences très différentes qui ont trouvé avec le temps une unité et donné une identité forte à la peinture roumaine. Un premier chapitre qui réunit pour la première fois dans une galerie française les oeuvres de Flavia Pitis, Radu Bercin et Andréi Berindan qui sera complété par un second volet avec les réalisations de Teodora Axente et Bogdan Vladuta. Une exposition événement qui reflète parfaitement le rapport des artistes roumains à la question de l’identité. Le geste qu’effectue le personnage de Radu Belcin dans A Morning Trip I & II (2015), deux oeuvres introductives à l’exposition, marque bien cet attachement au sol, et donne un sentiment d’isolement au milieu d’une forêt qui est celui d’une culture qui s’est forgée d’inspiration extérieure mais qui a puisé au plus profond d’elle-même, dans ses racines terriennes, ses fondements. L’ancrage est tout autant réel et onirique, terrestre et spirituel. Des toiles qui marquent bien comment la révolution a amené les sociétés parcellaires à former un tout, une entité consciente de son entièreté et de ses particularismes. Le motif de la forêt qui est elle-même une unité, évoque le romantisme allemand par ses profondeurs qui sont aussi bien celles de l’âme que celles d’une origine. L’expression de cette influence est également soulignée par la prédominance de la couleur noire dans l’ensemble des oeuvres présentées. Elle est le symbole de l’état d’esprit d’une nation partagée entre ses racines et son goût de l’aventure. Le noir est cette couleur qui fait raccord, qui efface les différences. Elle est la couleur des états d’âme, des profondeurs, celle des pensées, des interrogations. Un travail sur l’identité qui entre dans une tradition, celle notamment des peintres Camil Ressu (1880-1962), Iosif Iser (1881-1958), que l’on retrouve ici avec la thématique du masque. Si elle se traduit pour Cosmin Năsui « par une absence du portrait, et des éléments du visage dans les œuvres figuratives », elle surgit pour Flavia Pitis par l’animalité et raconte la croissance aveugle d’une nation jeune d’à peine plus d’un siècle. Behind the scene (2016), Pretender (2016) et False self, montrant des personnages masquant leur visage, soulignent cette ambiguïté de ne pouvoir leur donner d’âge.

Une quête qui se traduit chez Radu Belcin par une investigation dans des représentations sans repères, dans un cadre sombre qui peu à peu perd de sa réalité, devient onirique même avec des éléments flottant ou perdant toute matérialité. Une question de la réalité qui est centrale, sinon essentielle, à la peinture roumaine, avec véritablement cette sensation de pénétrer, avec de multiples lectures possibles, dans la dimension de la peinture, sa tradition même. Une sensation que l’on retrouve dans l’œuvre d’Andrei Berindan Strange Shape in the dark (2015) où la suspension d’un élément composé de trois branches, et qui pourrait s’animer comme un rotor, montre une vision à la fois tripartite mais néanmoins prête à trouver une unité, comme cette jeune nation, portée par les arts, qui ne doute plus de son avenir.

Texte Point contemporain © 2017

(1) et (2) Vintilâ Mihâilescu, « Nationalité et nationalisme en Roumanie », Terrain [En ligne], 17 | octobre 1991, mis en ligne le 06 juillet 2007, consulté le 03 juin 2017. URL : http://terrain.revues.org/3015
(3) Exposition Les Scènes Roumaines, du 11 octobre 2013 au 12 janvier 2014, Espace culturel Louis Vuitton, Paris.  

 
Infos pratiques
Exposition L’Écho des murmures
Regards sur la scène contemporaine roumaine
 
Chapitre 1 
Radu Belcin, Andrei Berindan et Flavia Pitis 
du 11 mai au 17 juin 2017
 
Chapitre 2
Teodora Axente et Bogdan Vladuta
du 27 juin au 29 juillet 2017

Galerie Valérie Delaunay
22, rue du Cloître-Saint-Merri Paris 75004

www.valeriedelaunay.com

 

 
 
Bogdan Vladuta, Roman chamber, 2017, huile sur toile, 182 x 203 cm
Bogdan Vladuta, Roman chamber, 2017, huile sur toile, 182 x 203 cm

 

Flavia Pitis, Only Life, 2015, huile sur toile, 60 x 76 cm
Flavia Pitis, Only Life, 2015, huile sur toile, 60 x 76 cm

 

Radu Belcin, Fulfilled dreams at sunset, 2014, huile sur toile, 165 x 120 cm
Radu Belcin, Fulfilled dreams at sunset, 2014, huile sur toile, 165 x 120 cm

 

Teodora Axente, Ramona, 2013, huile sur toile, 80 x 60 cm
Teodora Axente, Ramona, 2013, huile sur toile, 80 x 60 cm
 
 
 
Visuel de présentation : Radu Belcin, A morning trip 2, 2016. Huile sur toile 60 x 104,5 cm. Courtesy Galerie Valerie Delaunay