[EN DIRECT] PAN ! Quartier Général, La Chaux-de-Fonds

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Pan ! à contretemps. Une invitation de la figure mythologique au cœur de la Suisse

Par Laurence Gossart

Pan ! En effet, Pan ! Pan ! l’exposition collective qui se déroule actuellement au QUARTIER GÉNÉRAL, sous le commissariat de Corinna Weiss, offre une expérience sensible de l’animalité en nous. Le soir du vernissage était particulièrement surprenant. Des lapins, Pan-Pan, circulaient dans l’exposition, lapins qui remplissaient vos verres jusqu’à plus soif. Lapins de Playboy, sexy, fringants, charmants, torses nus, se laissant tâter le téton sans titiller. Alors « ce matin un lapin a-t-il tué un chasseur » ? Certes, paraphraser la Goya pourrait sembler surprenant, mais non. Car il y avait bien aussi un chasseur (sniper ?) logé sur les coursives qui faisaient le tour de l’espace d’exposition, à 4 mètres de hauteur. Tandis que nos petits lapinous gambadaient au sol, pompons aux fesses, amuse-bouches et bouteilles de vins en main, ce sniper passa son temps à faire semblant de nous viser, arpentant son faible espace accroupi. Malgré le simulacre, la question de la relation entre la proie et le chasseur se posait ici. Au-dessus, décalé, isolé, il faisait contrepoint par rapport à la masse progressivement avinée par les frêles petits lapins. Contrepoints et contretemps ou contrepoints à contretemps nous ont semblé agir dans ces maillages de parcours, où les espaces et les temporalités se superposent, se disjoignent, voire, se disloquent. Le temps et déplacement dans l’espace s’articulaient ici finement. En réalité le vernissage fut une performance orchestrée par l’artiste Denis Roueche.

 

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Les bâtiments du QG sont d’anciens abattoirs. Abattoirs…lieux chargés de notre histoire et de nos pratiques contemporaines. De ces pratiques taboues, dont nous détournons les yeux sauf quand l’insoutenable nous rattrape, ce bâtiment est le témoin. L’odeur d’un passé récent hante encore les couloirs. Chair, sang, odeur, cœur, tripes des animaux conduits en troupeaux se raniment dans l’exposition Pan ! Pan, dieu des bergers et troupeaux, dieu dont le pouvoir s’effrite dans ce temps contemporain et que les œuvres ici présentées ont su ressusciter. Convoquer Pan dans ce contexte, c’est aussi convoquer l’idée de la fin du grand Pan, la fin d’une histoire, la fin d’une civilisation. Ici la fin d’une institution et d’un mode de consommation et d’organisation économique de la ville de La Chaux-de-Fonds.

Déclinant la relation à l’animalité qui nous anime, c’est notre âme, notre mouvement intérieur, l’anima, le souffle que les œuvres en présence interrogent. C’est ce mouvement bouillonnant que donnait à vivre Denis Roueche lors du vernissage, un mouvement aviné d’une foule progressivement hystérisée par l’alcool. Ce potentiel explosif de l’humain est ce que l’artiste a retenu de la nature de Pan. En quatre temps, BOUM ! PAF ! BANG ! PANPAN, il le développe entre rondins évocateurs de dynamite et grande saucisse qui se présente comme un punching ball (ou l’inverse) et performances provocantes qui témoignent d’une pensée à détonations multiples. Les autres œuvres aux approches plus sensibles étaient donc prises dans ce dispositif général qui venait leur faire contrepoint (contrepoing ?).

 

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Chloé Julien (détail)

Le très beau dessin de Florence Aellen, La Mort du grand Pan, se présente comme une stèle mortuaire dont la sophistication raffinée force le spectateur à l’arrêt tout en jouant de sa délicatesse afin de décliner ses symboles. À l’instar d’une nature morte chaque élément dessiné et combiné aux autres propose une lecture du rapport mort / vivant. Chloé Julien offre dans son triptyque ÉCHO – ÉCHO, ÉCHO – ÉCHO, ÉCHO, ÉCHO, une lecture de la représentation de la nymphe Écho. Tout en bouche et éclatée dans l’espace, elle répond à l’unité, le grand tout qu’est Pan, par la démultiplication de ce motif rendu muet. Disloquée par ce dernier, elle devient protéïforme, impalpable, figure de la déchirure même, ce que les collages sous verre déploient à l’infini. Les bouches d’Écho échappent au cadre et poursuivent leurs pulsations dans un hors-champ que subtilement elles continuent de hanter.

 

Cette idée d’un élément décliné est aussi mis en perspective dans l’œuvre de Monique Kuffer. «Avec un rendu géométrique, esthétique et organique qui n’est pas sans rappeler celui d’un squelette, l’artiste symbolise le processus de la matière» explique Cléoriana Benacloche dans le catalogue de l’exposition. En effet, les jeux de perceptions qu’engagent l’immense structure Grottesque en baguettes de bambou, semblent évoquer la figure d’un Pan universel dans sa fonction d’élaboration du vivant, de tout le vivant. Aussi, inviter Julien Salaud dans l’immédiate proximité des deux œuvres permet de déplacer la question de l’organique et du fractal pour ramener le gibier à la table des abattoirs. Si les œuvres précédentes jouaient de leurs vides et évidements comme lien de sens, ici, l’évidement est celui des viscères de l’animal taxidermisé dont l’unité compacte se pose comme une offrande dans ce décor de faïence. Assemblages et collages dont les petites chevrettes sont le support, Guerrier Traversière, résonnent avec le raffinement de la sculpture de Myriam Méchita, I’m an animal too, dont la décapitation laisse surgir un flot de perles et de paillettes qui se répand au sol. Etêté, l’animal pourvu d’attributs de richesse est l’objet de confrontation de matériaux dont le sens décline la pensée (comme un autoportrait ?) de l’artiste quant aux contradictions et paradoxes qui s’unissent au cœur de l’humain. À partir de ces mêmes paradoxes, Lucie Kohler avec Wild Wild West et Miroir mon beau miroir déploie un univers où dessins et mobile forment comme un petit théâtre dont l’humour subtil pointe les contradictions qui nous traversent. L’apparente naïveté des productions ici présentées n’est que le pendant de la gravité des tensions qu’elles désignent.

 

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Au premier plan : Denis Roueche Au second plan : Lucie Kohler

Les œuvres de Michael Rampa sont à la charnière entre un art rétinien et un art conceptuel. L’artiste se pose à la lisière de l’étude sur le modèle et l’invention. Quoi qu’il en soit, le processus d’élaboration et d’assemblage d’images, réfléchi en miroir d’œuvres phares de notre culture occidentale, est au cœur de sa réflexion d’artiste. Citant Titien, Nijinsky, Mallarmé ou encore Fra Angelico, les deux immenses aquarelles Gym et Soliloquy s’offrent comme des expériences des résonances de l’influence du mythe de Pan dans notre culture contemporaine. Si la part réflexive et conceptuelle, voire méditative, est en jeu dans l’œuvre de Michael Rampa, à l’inverse, c’est le surgissement animal, ou plutôt de l’animalité, dans l’œuvre de Lionel Sabatté, La Bête, qui force la confrontation avec notre monstruosité. Matériaux sales et autres rebuts prennent forme au sein de cette bête ébauchée jouant de nos sentiments d’attraction et de répulsion, sur nos émotions primaires. Au lissé des aquarelles s’oppose le monstrueux de la sculpture.

 

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Lionel Sabatté

Comme une conclusion et dos au reste de l’exposition, les trois œuvres de Léo Dorfner concentrent en elles les paradoxes des contrepoints et contretemps du temps du vernissage, que l’ironie de son dessin tatoue sur les peaux des gravures représentant Pan et Syrinx. Comme une déclinaison de la figure de leur auteur, les motifs variés de tatouages traditionnels qui cheminent sur les bras de ce dernier se déplacent et envahissent les figures mythologiques réactivant la chair et le corps de ces êtres figés sur le papier. Avec Sympathy for the devil, Pan s’anime d’une imagerie toute symbolique et contemporaine de l’histoire du tatouage, créant ainsi un volte-face tout en délicatesse et minutie à cette figure du berger devenu satyre.

 

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Léo Dorfner
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Michael Rampa
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Florence Aellen
Monique Kuffer [EN DIRECT] PAN ! Quartier Général, La Chaux-de-Fonds
Monique Kuffer

Crédit photos : Nathan Lopez

Pour en savoir plus sur le lieu :
Quartier Général

Pour en savoir plus sur l’exposition :
[AGENDA] PAN ! – Quartier Général – La Chaux-de-Fonds

Pour en savoir plus sur les artistes :
Florence AellenLéo DorfnerChloé JulienLucie KohlerMonique KufferMyriam MechitaMichael RampaDenis RouecheLionel SabattéJulien Salaud.