Médium textile, suite

Médium textile, suite

Vue de l’exposition Medium textile, suite
Photo Loïc Madec

EN DIRECT / Entretien avec Yves Sabourin à l’occasion de l’exposition Médium textile, suite
Jusqu’au 26 février 2022, Galerie Valérie Delaunay, Paris

Avec Adeline André, Isabel Bisson-Mauduit, Delphine Caraz, Arnaud Cohen, Frédérique Fleury, Aurélien Lepage, Edith L’haridon, Françoise Micoud, Frédérique Petit, Marjolaine Salvador-Morel, Patrick-Arman Savidan, Martine Schildge, Dominique Torrente

par Pauline Lisowski

L’exposition curatée par Yves Sabourin à la galerie Valérie Delaunay m’a invitée à découvrir une diversité d’œuvres où se révèlent de multiples approches du médium textile. Elle met en évidence l’intérêt croissant pour ce savoir-faire qui ne cesse d’être expérimenté par des artistes de différents horizons. Le lien à la nature et au paysage se révèle à travers certaines œuvres qui impliquent une attention toute particulière et invite à s’approcher afin de percevoir la subtilité du travail de dentelle chez Marjolaine Salvador-Morel et chez Françoise Micoud, de broderie chez Frédérique Petit, le recouvrement par le feutre chez Martine Schildge…

Pauline Lisowski : Le médium textile offre aux artistes un éventail de possibles. Comment s’est développé votre intérêt pour le textile dans l’art ?

Yves Sabourin : Ma première rencontre avec la tapisserie fut en 1992 au moment où j’étais conseillé technique au Monument National. J’ai appris la tapisserie aux Gobelins. J’étais doué en tapisserie, en interprétation et en rapidité. Le rencontre avec l’histoire de l’art m’a aussi beaucoup apporté. J’ai soutenu avec Force ouvrière l’Atelier National du Point d’Alençon, le Conservatoire de la dentelle du Puy-en Velay, le travail des femmes harkis de l’Atelier national de Lodève. Après mon expérience au Mobilier National, Olivier Kaeppelin et Anne Tronche sont venus me chercher pour gérer la commande publique tapisseries de la DAP (Délégation aux Arts Plastiques) et j’ai créé un second versant celui regroupant toutes les autres techniques patrimoniales textile. En 1998, avec l’exposition Métissages à Paris, j’ai fait ensuite le tour du monde avec 25 étapes. Mes découvertes à l’étranger ont également nourri ma sensibilité et les recherches que j’entreprends actuellement.

PL : Puis, de quelle manière vous êtes-vous intéressé à cette pratique chez les artistes contemporains ?

YS : C’est venu tout de suite. J’ai rencontré des artistes qu’on me demandait de rencontrer, comme Philippe Favier. Je me suis dit que pour un artiste, s’il ne pratiquait pas le textile, je pouvais ressentir son intérêt pour ce médium. Je fais confiance aux artistes car à un moment, ils peuvent aller ailleurs. J’ajoute des directives artistiques. Des artistes resteront plasticiens, d’autres manipulaient le médium textile et ont créé des protocoles de travail mais sans technique (Frédérique Petit, Isabel Buisson Mauduit, par exemple). D’autres possèdent des maîtrises mais savent aussi s’en échapper, comme Françoise Micoud, Marjolaine Salvador-Morel qui dépassent le geste de la dentelle. D’excellents détenteurs de savoir-faire tels Mylène Salvador-Ros qui innove constamment et interprète pour des artistes. Adeline André fait un travail sur le vêtement et à un moment, une lueur l’amène à faire un projet artistique. J’observais également les gestes des artisans. Nous avons de bons supports d’interprétation pour que les artistes puissent réaliser un projet en textile. Le nom de l’interprète est toujours marqué dans mes catalogues. Je décèle une dimension artistique et aucune impossibilité à montrer des grands écarts lors d’expositions. Ces artistes sont visionnaires. L’œil et le sensitif sont importants et me permettent d’aiguiser mon approche artistique. Avec l’exposition Métissage, j’ai également mis en valeur certains artistes contemporains. 

Vue de l'exposition Medium textile, suite Photo Loïc Madec
Vue de l’exposition Medium textile, suite Photo Loïc Madec

PL : De quelle manière, les artistes créent à la fois dans une continuité d’un savoir-faire et dans une expérimentation d’autres possibles ?

YS : Les artistes ont des gestes qu’ils ont appris et qu’ils pratiquent parce qu’ils ont besoin d’expérimenter avec leurs moyens très particuliers, le tissu, par exemple, qui m’intéresse beaucoup. J’ai lancé des projets avec des artistes contemporains tels qu’Annette Messager, Jean-Michel Othoniel, lorsque j’étais en poste à la DAP. Quand je travaillais avec les artistes pour des commandes publiques, je les emmenais au moins une fois dans les ateliers. J’imposais que la technique, la matière et les points devaient se voir. J’ai maintenant des projets en indépendant avec Fabrice Hyber, notamment la réalisation d’un tapis-ras « à la française ». Le vécu des artistes me passionne et il m’importe que les artistes ne reproduisent pas ce qu’ils ont l’habitude de faire. 

PL : Vous montrez dans cette exposition une diversité d’artistes dont les pratiques ont trait aussi bien à la peinture, au volume, à la sculpture. Comment avez-vous effectué vos choix ?

YS : Lors de l’exposition Métissages en 1998, je montrais cette multiplicité de pratiques. Quand je suis arrivé à la DAP en 1998, on m’a créé un poste, avec le profil de produire. Je leur ai dit que je pouvais faire un projet avec des artistes qui n’ont jamais travaillé le textile. Dans l’exposition à la galerie Valérie Delaunay, Arnaud Cohen a proposé une œuvre autour d’une tapisserie Aubussonnaise du 18e siècle. Dans celle-ci, le feu apparaît magique en grosse broderie, quand même un peu à l’arrache et qui fonctionne très bien. Cet artiste n’est pas un spécialiste mais un amoureux du textile, ici son projet est pertinent. 

Martine Schildge - Vue de l'exposition Medium textile, suite Photo Yves Sabourin
Martine Schildge – Vue de l’exposition Medium textile, suite Photo Yves Sabourin

PL : Le textile incarne une relation au temps, au savoir-faire, au geste qui se transmet.  Quels fils tissez-vous entre les artistes que vous présentez dans cette exposition ?

YS : Valérie Delaunay m’a proposé il y a un peu plus de deux ans une carte blanche. Puis, elle a repris ce nouvel espace et elle a pu commencer à retravailler un petit peu. Au départ, cette exposition comprenait 9 artistes, on est alors arrivé à 13. Je lui ai présenté un panorama, un bottin d’artistes qui pourraient l’intéresser. Ensemble, nous avons ensuite choisi les œuvres. 

PL : Les spectateurs peuvent avoir une relation très proche avec les œuvres d’art. De quelle façon avez-vous pensé la scénographie ?

Je savais comment je voulais faire l’exposition car je fais mes scénographies depuis le début. J’ai commencé mon travail de scénographie en 1992 aux ATP, avec une petite exposition qui s’appelait Secret de dentelles. Pour Métissages au musée du Luxembourg du Sénat, j’avais fait mettre des grands échafaudages dans la grande salle et avec les gros blocs en ciment pour stabiliser les échafaudages, j’ai créé une scénographie en sachant que je ne pouvais rien fixer au mur. Pour les petites salles, j’ai installé des paravents. Je suis convaincu qu’il ne faut jamais aller contre le lieu. A chaque exposition, je fais avec les murs qu’il y a. En 2021 pour l’exposition consacrée au verre à Amboise, j’ai conçu la scénographie presque en direct avec le mobilier que j’avais créé l’année d’avant pour le première étape à Bourges. 

Je voulais mettre chaque artiste en valeur à la galerie Valérie Delaunay. Chaque pièce a une puissance, une force, d’autres ont besoin de plus s’étaler vu leur taille. J’avais envie par exemple de faire une envolée avec les feuilles de Françoise Micoud. Les artistes sont tous à leur place dans leur travail. J’ai essayé de séparer chaque espace afin que cela ne soit pas cacophonique. 

PL : Les relations à la nature, à un contact avec différentes matières se révèlent à travers la sélection des œuvres. Pensez-vous que le textile en tant que médium permette de renouveler l’approche d’une connexion avec la nature ?

YS : La nature me plait beaucoup. Dans la galerie, j’ai créé un jardin où il y a 13 perspectives différentes. Toute chose qui a une vie, minéral, végétal et animal bouge dans le temps. A un moment, il faut les mettre au même plan que les œuvres d’art. Françoise Micoud magnifie le végétal. Frédérique Petit transcende le paysage. Les artistes servent ainsi notre perception de la Nature.

Frédérique Petit - Vue de l'exposition Medium textile, suite Photo Yves Sabourin
Frédérique Petit – Vue de l’exposition Medium textile, suite Photo Yves Sabourin
Vue de l'exposition Medium textile, suite Photo Yves Sabourin
Vue de l’exposition Medium textile, suite Photo Yves Sabourin
Françoise Micoud - Vue de l'exposition Medium textile, suite Photo Yves Sabourin
Françoise Micoud – Vue de l’exposition Medium textile, suite Photo Yves Sabourin