EVERY MOVE IS PROFESSIONAL

EVERY MOVE IS PROFESSIONAL

Cristina Garrido, Booth Exhibitions are the Institutions of our Time, 2020. Vidéo – ARCOMadrid 2020

EN DIRECT / Exposition Every Move is Professional, Cristina Garrido, Marin Kasimir et Alain Snyers, UNLOCQ53 Bruxelles jusqu’au 03 juillet 2021 
Commissariat : Alexia Guggémos avec Marin Kasimir

par Doriane Spiteri

Le phénomène des foires internationales d’art contemporain s’est largement généralisé ces dernières années – jusqu’à 300 foires en 2019 – s’imposant comme un espace incontournable pour tous les professionnels. Accueillant plusieurs dizaines de milliers de personnes en quelques jours, les foires prennent la forme de grandes surfaces de l’art contemporain, révélant un milieu compétitif, une course effrénée aux acheteurs dans lequel l’aspect commercial demeure central. 
C’est ce phénomène que met en lumière l’exposition « Every Move is Professional » au UNLOCQ53 de Bruxelles, sous le commissariat d’Alexia Guggémos. 

C’est la conception même d’une foire sur laquelle se penche l’artiste espagnole Cristina Garrido dans son docu-fiction Boothworks réalisé en 2017. Cette vidéo en noir et blanc d’une quinzaine de minutes, se déroulant dans un proche avenir, s’attache à présenter l’émergence d’un courant artistique majeur : le booth art. Le narrateur empruntant le ton du documentaire, nous présente une forme d’art apparue dans les années 2010, prenant le stand de la galerie comme support artistique et la foire d’art comme espace d’exposition. Du montage au démontage de plusieurs foires d’art, dont les images sont pour la plupart issues de Vernissage TV, la voix off retrace ce mouvement artistique initié par les galeristes eux-mêmes. Un art profondément nomade, éphémère, performatif, in situ et résistant à la marchandisation. Tout l’espace du stand est alors pris en compte par le galeriste pour réaliser une œuvre de booth art : de la couleur des murs, au tapis, en passant par le bureau qui permet de lire, d’écrire et de travailler. Le texte de la vidéo est presque entièrement composé de citations d’artistes, de critiques ou de commissaires des années 1960 et 1970, tels que Vito Acconci, Lucy Lippard, Joseph Kosuth, Renée Green, Seth Siegelaub, ou encore Hélio Oiticica. Années durant lesquelles les artistes ont profondément remis en question l’institution muséale, la galerie, qu’ils accusaient de maintenir à l’écart de la société et de creuser le fossé entre les œuvres et le public. 
Pour cette artiste dont les œuvres examinent généralement les canaux de circulation et la distribution de l’art, il s’agit alors d’analyser de manière ironique les restrictions de ce format et les implications des différents acteurs dans ce contexte principalement commercial. Dans sa vidéo Booth Exhibitions are the Institutions of our Time réalisée en 2020, on peut la voir réaliser une performance au sein de la foire ARCOMadrid 2020. L’artiste, se présentant comme experte en booth art, organise une visite de groupe. Déambulant dans l’espace, elle présente l’espace comme un musée, les œuvres des artistes comme des ingrédients d’une œuvre plus importante : le stand. 

Cristina Garrido performance
Cristina Garrido (performance) – ARCOMadrid 2020 – Courtesy artiste

Si l’engouement pour les foires ne cesse d’accroitre, tout le monde s’accorde à dire qu’elles se ressemblent toutes. Peu importe le pays, les mêmes galeries et les mêmes artistes y sont présentés. Une véritable mondialisation de la foire mais aussi de l’art. Information, vente, publicité et réseautage, les foires ne semblent être que des événements commerciaux à destination des professionnels et des collectionneurs. Cette uniformisation est particulièrement visible dans l’œuvre de l’artiste français Alain Snyers intitulée Contre-visite. Cette série de 30 photographies a été réalisé lors de la FIAC 2019 à Paris. En lieu et place des expositions et des œuvres, l’artiste s’est intéressée aux espaces de travail des galeristes au sein de leurs stands, un parcours de trente stations comme « un regard en biais sur un aspect du monde de l’art international et ses rites répétés d’une galerie à l’autre ». Sur chacune des photographies, les galeristes et leurs employés se présentent assis devant leur ordinateur – toujours le même – une attitude répétée pouvant être considérée comme une composante même de la foire. Comment alors ne pas penser à l’univers uniformisé de Play Time de Jacques Tati, dont une image est utilisée pour le carton d’invitation ! 

Alain Snyers Contre visite
Alain Snyers Contre-visite Courtesy artiste
Alain Snyers Contre visite
Alain Snyers Contre-visite – Courtesy artiste

L’envers du décor des foires d’art, c’est le sujet du film Tondo Artis, Fair or Unfair (2019) de Marin Kasimir, dévoilant un milieu de l’art, consacré au VIP’s, aux privilèges et à l’argent. L’artiste allemand dont le travail s’articule généralement sur le panorama photographique et sur l’espace public, se met en scène cette fois-ci dans un documentaire-fiction incisif, le fruit de cinq voyages dans trois villes accueillant ces foires d’art. A l’aide de sa caméra panoramique LadyBug III portée le plus souvent sur son monopod, l’artiste déambule dans les foires, s’approche au plus près des œuvres et des artistes, participe aux fêtes privées, ou encore se fait refouler à l’entrée. Entre 2012 et 2017, il se rend à Bâle, Miami et Bruxelles. Il met sa caméra dans des œuvres d’art qu’il adore ou qu’il déteste. La vidéo panoramique qui en résulte, a en effet tout d’un cirque. A l’apparence d’un œil qui nous aspire dans un tourbillon infini, elle met en branle notre perception de l’espace et du réel. Une foire élitiste à tous les niveaux dont les sons et paroles sélectionnées captent des phrases bienveillantes ou malveillantes sur le phénomène qui, accolés à d’autres images, ajoutent au caractère humoristique et décalé de l’œuvre. 
Egalement exposés, les Stills du film, prenant la forme de captures circulaires sont fait de jeux de miroirs, de distorsions et de mises en abymes. 
Un véritable cirque, enivrant, étourdissant et impossible à arrêter… 

Doriane Spiteri

Marin Kasimir, Stills du film Tondo Artis, Fair or Unfair (2019)
Marin Kasimir, Stills du film Tondo Artis, Fair or Unfair (2019) Courtesy artiste