Javiera Tejerina et Diego Ortiz, A Contretemps [FOCUS]

Javiera Tejerina et Diego Ortiz, A Contretemps [FOCUS]

Partie en camping-car avec son compagnon Diego Ortiz sur l’autoroute du soleil pour effectuer le trajet Paris-Marseille que chaque année emprunte des millions d’estivants, Javiera Tejerina accomplit certes un rituel mais « à contretemps ». Durant le mois de septembre 2016, inspirés par l’ouvrage de Cortázar Les autonautes de la cosmoroute, ces deux artistes sud-américains en résidence à Marseille, accomplissent en effet ce voyage sans sortir de l’autoroute. Un projet artistique qui prend la forme d’une exploration d’un monde en soi, de cette monade dont parle Leibniz. Caméra au poing, et ouverts aux rencontres, les deux artistes nous entraînent dans un espace à la topographie étrange qu’ils immortalisent par des photographies et des vidéos.

Quel a été le point de départ du projet À contretemps ?

Nous sommes partis, mon compagnon et moi-même, en septembre dernier pendant 30 jours sur l’autoroute qui relie Marseille à Paris en faisant étape dans chacune des 63 aires qui ponctuent le trajet. Ce projet est une adaptation d’un livre de Cortázar où il narre le voyage qu’il a réalisé entre Paris et Marseille avec sa femme. Nous avons refait cet itinéraire en camping-car mais dans l’autre sens.

Fixer notre propre temporalité, ne pas se soumettre au temps rapide et contraint de l’autoroute, prendre le temps de rencontrer des gens et de saisir l’air du temps, ce projet nous a permis de vivre dans le moment présent sans pouvoir prévoir quoi que ce soit et sans pouvoir revenir en arrière.

Vous avez donc littéralement vécu sur ces aires d’autoroute ?

Oui. Nous stationnions chaque jour le camping-car dans une nouvelle aire. L’idée était de vivre dans ses non-lieux et de prendre le temps de découvrir l’aire que nous parcourions soit à pied, soit en camping-car, mais aussi de rencontrer ces gens qui, comme nous, étaient de passage même si une aire d’autoroute est un lieu inhabituel de faire des rencontres. Nous étions vraiment à contretemps parce ce que nous nous donnions le temps d’aller vers l’autre. Nous avons également rencontré les personnels de service qui nous ont raconté le passage de l’autoroute publique à l’autoroute privée. Un changement qui a fait passer le statut du voyageur, d’usager à client. L’autoroute, avec ses grandes enseignes commerciales présentes sur les aires, raconte aussi l’histoire d’une société devenue un grand magasin.

Aviez-vous défini un questionnaire particulier lors de vos rencontres ?

Les questions étaient très simples :  D’où venez-vous ? Où allez-vous ?
À partir de ces questions,  les gens généreux se lançaient dans une description de leur vie avec des interrogations et des réflexions qui soulevaient celle de leur existence et de leur place dans le monde. Leurs réponses engageaient une dimension qui dépassait celle du simple itinéraire. La petite histoire personnelle qui avait motivé le trajet qu’ils accomplissaient induisait d’autres histoires plus intimes. Beaucoup nous ont raconté leur histoire car venant d’une ville ou village inconnu pour nous, ils ressentaient le besoin de nous le ou la décrire. À cela s’ajoutent des histoires très personnelles, des modes de vie particuliers, des récits qui viennent enrichir la forme des aires d’autoroute. Malgré tout cela reste quand même des rencontres fortuites, simples et très spontanées mais qui donnent des points de repère sur ce qu’est actuellement la société et les gens qui la composent. Nous avons fait des enregistrements vidéo de ces récits dans l’idée de faire un peu plus tard un documentaire.

Quels sont les autres développements de ce projet ?

Lors du Printemps de l’Art contemporain 2017 à Marseille, j’ai connecté les éléments que nous avons collectés, enregistrements de ces gens qui nous ont ouvert leur vie, photographies aériennes de ces sortes de manèges que constituent les boucles des aires d’autoroutes, mais aussi les vidéos de notre déambulation dans ces « circuits autoroutiers »,  en montrant au sol les prises de vues aériennes des aires en parallèle à ces dernières. Les vidéos mettent en avant ces tours et circonvolutions qui donnent le sentiment que cet espace-temps se plie et se déplie. Elles rejoignent To record water during days un travail sur la mer et les vagues que j’ai récemment présenté à la Galerie Didier Gourvennec Ogor à Marseille et à Alma espace d’art à Paris. Des lames de métal animées en fonction de l’amplitude du mouvement des bouées sur les océans à différents points du globe et qui, comme pour le projet À contretemps, constituent des sortes de cartes abstraites qui nous parlent du territoire. Ce mouvement se retrouve dans ces déambulations sur ces aires. Je suis toujours très attentive à la relation entre la nature et l’homme. Comment ce dernier aménage l’espace et essaye de la contraindre, comment la nature essaye toujours d’échapper à l’espace qui lui a été impartie. Nous avons aussi poursuivi cette idée de cartographie en envoyant à nos amis des cartes postales des aires. J’aimerai prochainement éditer une carte avec des données GPS comme celles utilisées par les coureurs à pied, avec cette idée de relevé, pour tracer un parcours. Un travail sur l’espace et le temps même si les photographies aériennes réfèrent à une typologie des aires d’autoroute.

Texte Point contemporain © 2017

Javiera Tejerina-Risso
Née à Santiago du Chili, le 3 décembre 1980.

Vit et travaille à Marseille.
javieratejerina-risso.com

Diego Ortiz
Né à Cali en Colombie en 1980.
Vit et travaille à Marseille.
www.diegoaortiz.com

www.fluxo.fr

https://a-contretemps.tumblr.com

 

Javiera Tejerina et Diego Ortiz, A Contretemps
J18 – La nuit américaine – 16.09.16 – Aire de la Loyère

 

Javiera Tejerina et Diego Ortiz, A Contretemps
J21 – Autonautes de Luxe – 19.09.16 – Marcigny

 

Javiera Tejerina et Diego Ortiz, A Contretemps
J27 – J’irais graver sur vos tombes – 25.09.16 -Aire de La Roche