[FOCUS] Giulia Andreani, Le cours de dessin

[FOCUS] Giulia Andreani, Le cours de dessin

Focus sur l’oeuvre Le cours de dessin de l’artiste peintre Giulia Andreani.

Oeuvre : Le cours de dessin, 2015, 150x200cm, acrylique sur toile.

Artiste : Giulia Andreani, née à Venise (Italie) en 1985. Vit et travaille à Paris. Formée à l’Académie des Beaux-Arts de Venise (Accademia di Belle Arti, Italie, 2008).

L’image d’archive est à la source des peintures de Giulia Andreani. Un travail de recherche par lequel l’artiste exhume des photographies qui serviront de support à la construction de ses œuvres. Images de propagande nazie, de l’histoire de l’Italie mussolinienne ou de la Guerre Froide, Giulia Andreani interroge la photographie, sa portée, les récits qu’elle véhicule parfois de manière implicite. En écho à Gerhard Richter qui disait utiliser « La photographie comme Rembrandt le dessin ou Vermeer la camera obscura, pour en faire un tableau »(1), les oeuvres de Giulia Andreani, s’éloignent de la simple restitution historique pour devenir aussi le récit d’autres histoires.

Giulia Andreani incarne, avec une toute nouvelle génération de peintres, l’héritage artistique de la Nouvelle École, celle née à Leipzig dans les années 2000, mais aussi d’artistes historiques comme Gerhard Richter ou Georg Baselitz, et qui a marqué le retour d’une certaine peinture figurative. Un retour que l’artiste, formée à l’académie des beaux-arts de Venise, a étudié durant son parcours universitaire en France :

« Je me suis aperçue que finalement je faisais toutes ces recherches en histoire de l’art avec une nécessité de peintre. J’ai mis à profit d’autres textes que j’avais rencontrés et qui ont nourri ma réflexion plus tôt, pendant mes études aux Beaux-Arts notamment sur la question de la photographie. Je constate aujourd’hui combien tous mes travaux sont intimement liés et, qu’ils rendent compte aussi d’une forme de sincérité. » Giulia Andreani (Citation extraite de l’entretien réalisé avec l’artiste par Point contemporain)

Présentée dans le cadre de son exposition personnelle Tout geste est renversement (2), l’œuvre Le cours de dessin met en scène la figure de la femme artiste, à travers l’artiste berlinoise dadaïste Hannah Höch dont “l’histoire m’a beaucoup fasciné car comme pour beaucoup de femmes, son travail a été souvent laissé de coté l’écriture de l’histoire de l’art du Xxe siecle.” Les dadaïstes inspirent le travail de Giulia Andreani notamment par la technique du collage et l’utilisation de la photographie de presse.

Hannah Höch, Modenschau
Hannah Höch, Modenschau

« La couleur que j’utilise est aussi en référence aux collages de Hanna Höch, qui ont souvent la vraie couleur de l’aquarelle que j’emploie, celle du gris de Payne. Une couleur proche de celle de la vieille encre des anciennes photos de presse, que l’on retrouve aussi dans les collages de Raoul Haussmann ou de John Heartfield. »

Giulia Andreani travaille avec une palette chromatique très restreinte, presque exclusivement composée de gris de Payne, une couleur dont la teinte est proche du rendu de l’aquarelle. Une couleur qui donne à ses œuvres le sentiment d’être face à un document historique, et qui crée un rapprochement entre la peinture et la photographie ancienne, entre l’Histoire et les histoires qu’elles suggèrent :

« Je ne tente pas de reformuler des énoncés par la peinture, mais de faire apparaître des vérités qui sont autres et qui échappent au sens de la lecture, et de l’ouvrir à l’expérience du spectateur. » Giulia Andreani (Citation extraite de l’entretien réalisé avec l’artiste par Point contemporain)

Une expérience que l’artiste suscite en modifiant certains éléments de l’image source, en insistant sur certaines zones, accentuant le contraste du bleuté du gris de Payne jusqu’au noir. Les choix opérés par l’artiste changent la lecture de l’image initiale. De la peinture d’histoire, elle nous fait basculer vers une peinture qui se tourne vers les études de genre.

Giulia Andreani, Le cours de dessin, vue de l'exposition Tout geste est renversement. Photographie Rebecca Fanuelle ©galerie Maïa Muller
Giulia Andreani, Le cours de dessin,
vue de l’exposition Tout geste est renversement
Photographie Rebecca Fanuelle ©galerie Maïa Muller

En faisant de la figure de Hanna Höch le personnage central du Cours de dessin, Giulia Andreani met en avant une forme d’engagement politique ainsi que la revendication d’une certaine liberté formelle dans le passage d’un médium à un autre :

« Le dadaïsme berlinois était finalement le plus figuratif en Europe, celui de Hanna Höch peut-être le plus ouvert et le plus pictural. D’ailleurs cette artiste berlinoise a beaucoup peint. Ses collages sont plus connus mais elle les a aussi transposé en peinture, leur donnant ainsi un peu plus de liberté« 

Inspiré d’une photographie que l’artiste a trouvée dans l’ancien atelier de son grand-père, Le Cours de dessin, est révélateur de cette assimilation de l’Histoire dans la propre histoire de l’artiste. Giulia Andreani a découvert avec beaucoup d’étonnement “qu’à l’époque fasciste les femmes n’avaient pas le droit d’être inscrites à des cours de dessin dans les Écoles des Beaux-Arts et encore moins à des cours de nu. Cette photo témoigne donc d’une forme de transgression, réelle ou mise en scène.Si le document source, daté des années 30, retrace une certaine période de l’Italie fasciste, l’oeuvre sur toile contient une “certaine part auto-référentielle” par la condition même de l’artiste qui est une femme peintre.

Par son intérêt pour le gris de Payne, son choix du monochrome et toutes ces « petites subversions » qui caractérisent sa pratique, Giulia Andreani compose des oeuvres qui recèlent une profonde part autobiographique. Chacune marque en effet un engagement, une affection, un état de la femme, de l’artiste. Corps exhibé, personnages arme au poing et au port altier, point d’image lisse ou anodine dans les oeuvres de Giulia Andreani qui marquent au contraire toutes un fort engagement pictural.

 

(1) in Gerhard Richter, Textes, Les presses du réel, 1995
(2) Giulia andreani * tout geste est renversement *, exposition personnelle du 21 mars au 25 avril 2015, Galerie Maïa Muller, Paris. Source : galeriemaiamuller.com

Pour en savoir plus :

giuliaandreani.blogspot.fr