[EN DIRECT] Matthieu Boucherit / Alain Josseau – Playing War – Galerie Valérie Delaunay

[EN DIRECT] Matthieu Boucherit / Alain Josseau – Playing War – Galerie Valérie Delaunay

En direct de l’exposition Playing War du 02 juin au 15 juillet 2016, Galerie Valérie Delaunay 22, rue du Cloître-Saint-Merri 75004 Paris.

 

Game over, un jeu de massacre à la lumière de l’innocence Par Laurence Gossart

« Les animaux ne tuent leurs petits que quand l’homme perturbe l’équilibre naturel. Aucune espèce au monde ne fait un tel massacre de ses enfants ». Varenska et Olivier Marc.

Jouer la guerre, jouer à la guerre, rejouer l’état de guerre. Si, de part et d’autre, le « jouer à la guerre » trame l’exposition, la façon dont les deux artistes abordent la relation entre la guerre et le jeu est bien différente. Alain Josseau pointe, non sans une certaine ironie, notre plaisir à jouer à la guerre ainsi qu’au simulacre de cette dernière. Jouer et rejouer la guerre dans des limites poreuses de la fiction et de la construction mentale d’un guerrier dominant finalement assujetti à des modèles, et surtout à des modélisations. Dans ses aquarelles et dessins, Alain Josseau dissout les formes, les corps, les paysages, englobant dans un même jus les renversements sémantiques du play et du game. Comme l’explique Marion Zilio dans le communiqué de presse :  « plus qu’un simulateur augmentant l’habileté, les tactiques stratégiques ou les réflexes en état de stress, les jeux vidéo sont le support d’idéologies qui se trouvent désormais incorporées dans un procès de gamification généralisée du monde ».

Se faisant face, les écrans respectifs des deux artistes jouent de leur différences profondes. A la saturation de la surface morcelée en quatre parties de War map 2 d’Alain Josseau répond la blancheur des surfaces de papier des Traces aveugles de Matthieu Boucherit. De l’un à l’autre, les signes se diluent, parfois dans l’encre, parfois par le processus de transfert qui distancie d’autant plus ces derniers. Le jeu du simulacre et de la simulation poursuit la dissolution du signe comme celle du réel. La part indicible et indicielle de l’œuvre de Matthieu Boucherit renvoie à la trace. Aux traces. Aux traces de la guerre, aux traumas, aux tracés des enfants, aux traces laissées par les gestes que l’artiste reproduit et s’approprie à la fois.

Après avoir conduit un travail de récolte sur des photographies d’enfants ayant vécu la guerre, il se saisit de dessins d’enfants représentant la guerre. Il les photocopie et, en employant les mêmes techniques que celles utilisées sur les originaux, il dessine sur ces copies qu’il applique sur du papier Ingres. Ce papier devient la surface sensible, une surface qui reçoit ces traces tout autant qu’elle met en lumière les gestes des enfants, les prolonge dans l’histoire, au cœur de notre humanité, et leur donne à perdurer grâce au geste médiateur de Matthieu Boucherit. Par ce geste de reproduction, il les donne à voir à ceux qui veulent bien voir. Car il faut s’approcher, poser son regard à la lisière des œuvres, et laisser advenir ces petits dessins enfantins, innocents. La trace persiste, la mémoire résiste, et dans ce jeu de persistance rétinienne, la chaine humaine fait corps, incarnant dans ces Traces aveugles des perceptions enfantines que le temps aurait pu laisser s’enfuir.

« Ce livre est dédié à tous les enfants du monde qui ne peuvent pas, pour une raison ou une autre, laisser de traces afin que d’autres hommes puissent les accueillir. A tous ces enfants que nous aimons au-delà des mots, nous voulons dire que leur souffrance nous fait honte d’être humains ». Cette citation est l’exergue du livre des pédopsychiatres Varenka et Olivier Marc, Premiers dessins d’enfants, les tracés de la mémoire. Mais nous voudrions leur emprunter car les dessins et peintures de Matthieu Boucherit sont aussi des hommages à ces enfants pris au piège de la guerre, pris dans les jeux de guerre. Ainsi en est-il de The Home of Tereska. Tereska, petit bout d’enfant auquel Matthieu Boucherit dédie une peinture. Malgré les processus de distanciation et de médiatisation liés à l’image photographique originale de David Seymour, Tereska draw her home présentée dans la galerie, Matthieu Boucherit offre une amplification et une démultiplication des perceptions de la petite fille. Il se confronte à l’image du photographe et reproduit en peinture, avec un réalisme vertigineux, le dessin qu’elle fait de sa maison… un champ de barbelés. Si dans l’image initiale l’attention est portée à la petite fille en train de dessiner, dans l’oeuvre du peintre c’est bien un dialogue entre les représentations qui est en jeu par delà les années que Matthieu Boucherit instaure. Du dessin à la photographie, de la photographie à la peinture, de la peinture au dessin, comme une mise en abîme des traces par les procédés et processus de création. Le sens se déploie. La maison, espace de refuge et de douceur, est dans le dessin de Tereska, devenue une spirale de fils de fer agressifs qui maillent tout l’espace de son dessin. A bout de bras, elle trace et synthétise cette agression faite à ses perceptions, à son petit corps d’enfant, à son univers de petite fille. Matthieu Boucherit saisit le spectateur par la virtuosité de sa peinture. Pris au piège de l’illusion de l’image peinte, le spectateur est en fait enserré dans ce maillage de fils barbelés, dans ce ressenti d’enfant que seul le dessin peut exprimer. Cette peinture à la surface lisse, dont la matérialité s’absente, a en fait pour unique matériau la mémoire, la trace, le trauma. Et ce matériau transcende la surface.

Si les corps et paysages se dissolvent dans les jus d’aquarelle des War Map et War Game d’Alain Josseau, interrogeant ainsi notre rapport médiatisé au réel, les corps, à l’inverse, malgré une apparente médiatisation et distanciation, se réincarnent via le corps et le geste de Matthieu Boucherit. De façon complémentaire et corrosive, les deux artistes nous renvoient à notre aveuglement et notre façon d’oublier les faits de guerre, tout en les normalisant au travers du business et du ludique. Faisant ainsi de nos consciences amputées les dégâts collatéraux d’une virtualisation magistralement et mondialement orchestrée.

Alain Josseau, War Map 1 et 2
Alain Josseau, War Map 1 et 2

 

David Seymour, Tereska draws her home, 1948. Magnum Image Reference
David Seymour, Tereska draws her home , 1948. Magnum Image Reference
Mathieu Boucherit, The home of Tereska, Acrylique sur toile, 116x89cm, 2016
Matthieu Boucherit, The home of Tereska, Acrylique sur toile, 116x89cm, 2016

Pour en savoir plus :
www.valeriedelaunay.com

Artistes : Matthieu Boucherit, né en 1986 à Cholet. Diplômé en communication visuelle à Nantes puis d’un Master en Arts plastiques à l’université de Toulouse.
Alain Josseau est représenté par la Galerie Claire gastaud.