OLIVIER ADELINE

OLIVIER ADELINE

Série de 3 Pièges, Huile sur bois, 20,3×26,7cm, 2021-2022 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur

PORTRAIT D’ARTISTE / Olivier Adeline – Où commence la peinture ?

Par Camille Pradon

Enchevêtrement de cadres, pigments, colles, huiles, pinceaux, brosses, toiles, rouleaux, poudres, casseroles et autres récipients de toute nature…
Nous sommes bien dans l’atelier d’un peintre. Sur une corde à linge qui traverse la pièce, est pendue une succession de papiers japonais au grain très fin. Chacun d’eux a longuement été trempé dans un bain d’eau et de couleur appliquée en monochrome, puis laissés à évaporation libre. Par sa densité, le papier absorbe et dirige la couleur qui s’agglutine ça et là pour venir en aimanter la trame. Cet imprévisible jeu d’imprégnation a pour effet de dessiner les contours de réseaux dentelés ou de structures moléculaires.

« La peinture, avant d’être fixe et inerte passe par un état liquide et mouvant, pour ne pas dire vivant. (…) La matière alors s’agence, s’aimante et s’agglutine seule, à la manière d’un parasite évoluant dans une boîte de pétri. » Il poursuit, « Le contrôle n’est plus unilatéral, il passe de l’un à l’autre de manière évidente ! ». Olivier Adeline déroule sur le sol une fragile liasse de feuilles, où se lit donc la fin en série du monochrome et son indépendante réorganisation. S’essayant à de nombreuses combinaisons, l’artiste ajuste et ritualise sa recherche avec une méthode qu’il invente et adapte à partir de tests minutieux.

Il désigne un ensemble de petits formats aux fonds soit rose, vert, marron et bleu pâle, où l’on observe là aussi l’émergence de curieuses formes : intestinales et pulluleuses, dessinant des mouvements concentriques comme des corps organiques en mutation… Cellules chimériques ou futures xénogreffes ? Parfois rassemblées en son milieu, certaines paraissent se jouer des bords de la peinture, s’échappant d’un bout à l’autre du cadre. Produites à l’aide d’une petite machine artisanale, elles constituent un large canevas d’œuvres par lequel l’artiste modèle une autre technique, celle des Pièges.
Notons en toute aparté que les murs de l’atelier sont recouverts de carreaux blancs, stéréotypes de l’officine médicale, qui forment une grille sur laquelle s’alignent les nombreuses expériences en cours. C’est donc ici que les métamorphoses opèrent presque d’elles-mêmes… Car ses interventions, Olivier Adeline tente de les réduire au maximum, en quête de la mise à distance du geste de peindre – du moins, celui qui fait tenir le pinceau à la main. Il lui préférera par exemple, la seule morsure de la couleur dans le papier et l’étude de ses réactions instables en milieu liquide, ou encore, la capture d’un élément tel que l’air, qu’il transforme en outil de travail.

Un tiers de l’espace est occupé par une ossature en bois montée sur roues, mélange de cordages et de poulies soutenant une grande plaque vitrée retenue par un cadre en métal. Le tout surplombe un bassin d’eau, où repose un support enduit de peinture à l’huile. Il s’agit d’une réplique de la petite machine mentionnée plus tôt, offrant à l’artiste la possibilité de s’adonner au grand format. Le corps, lui, actionne et fait varier ce système qui permet d’apposer délicatement la plaque sur la surface, piégeant une ou plusieurs bulles qui font à leur tour pression sur la peinture. C’est ainsi que la migration de l’air enfante le motif, chassé, traqué par à-coups sous la vitre – au même titre que se repoussent eau et huile.

Traversé par de nombreuses influences, dont le mouvement Supports/Surfaces et Gutai – soit l’association des deux termes suivants : instrument (gu 具) + corps (tai 体) –, ayant en partie étudié au Japon, l’artiste s’applique à brouiller les codes de bienséance de la peinture pour mieux la mettre en tension. Ce paradoxal croisement entre dialectique de la forme et ses multiples développements organiques révoque l’idée d’une approche qui ne serait qu’exclusivement formaliste.
On se demande si ce clivage, ce tiraillement, ressenti quant aux relations entre forme et figure, matière et image, geste et signe – qui s’entrechoquent ou s’annulent par endroits dans la peinture d’Olivier Adeline – ne résulterait pas d’une question aussi simple que cruciale : « Où commence la peinture ? »
Face à ses œuvres, on pourrait dire qu’avant de commencer, la peinture se fait. Elle peut se cultiver, se tasser sur elle-même, fusionner avec son support, etc… chose importante, elle ne fait pas image, malgré la tentation de lui conférer cet attribut. D’autant plus, lorsque l’on apprend qu’avant de construire son dispositif, l’artiste expérimente déjà la formation d’agrégats picturaux dans une petite série réalisée à l’intérieur de cuvettes de laboratoire photographique. Sa peinture s’est donc un temps développée au fond de cet objet essentiel à l’éveil de l’image analogique, là où l’utilisation de sa machine semble désigner un leitmotiv adjacent… soit que la couche picturale est une couche sensible, réactive.
La pratique de ce « chemin de traverse », l’artiste en fait le parcours d’un réapprentissage, tendu vers un équilibre contradictoire entre contrôle de la forme et son autogénération. Il dégage plusieurs ellipses dans la peinture, dont celle qui se nourrit des contours de l’air en tant qu’élément de représentation, ou encore cette autre qui place le corps « au service de la matière ». Ce dialogue permanent avec l’invisible fait que chacune d’elles peut possiblement devenir un signe, une manifestation interstitielle et complexe élevée par lui. Naissance d’un fragile écosystème qui s’incarne en toute étrangeté, plutôt qu’il ne se décrit.

Camille Pradon

Les pièges, détail, Huile sur bois, 20,3x26,7cm, 2021-2022 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur
Les pièges, détail, Huile sur bois, 20,3×26,7cm, 2021-2022 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur
Les boîtes de Pétri, Aquarelle sur papier, 45,4x35cm, 2020 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur
Les boîtes de Pétri, Aquarelle sur papier, 45,4x35cm, 2020 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur
Vue d'atelier, Olivier Adeline, cliché Camille Pradon 2020
Vue d’atelier, Olivier Adeline, cliché Camille Pradon 2020
Les pièges, Huile sur toile, 185x145cm, 2021 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur
Les pièges, Huile sur toile, 185x145cm, 2021 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur
Les pièges, Pigments sur plâtre, 33x43cm, 2021 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur
Les pièges, Pigments sur plâtre, 33x43cm, 2021 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur
Les pièges, Pigments sur plâtre, 33x43cm, 2021 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur
Les pièges, Pigments sur plâtre, 33x43cm, 2021 © Olivier Adeline, cliché Mario Simon Lafleur

OLIVIER ADELINE – BIOGRAPHIE
Né en 1990, à Paris. Vit à Aubervilliers et est résident des ateliers d’artistes de L’Orfèvrerie à Saint-Denis.
Diplômé de l’École supérieure d’art et de design de Saint-Étienne en 2016, il s’installe à Paris et devient régisseur d’œuvres en galerie d’art puis monteur d’expositions. Il travaille aujourd’hui en tant que vernisseur et peintre dans une menuiserie. Sous son équipement de « chimiste », Olivier développe son regard critique sur la matière de la peinture, sur ses aspects industriels et artisanaux.
« J’ai souvent en tête l’image des cultures de Lithium. J’ai toujours été frappé par ces étangs verdâtres. Ambivalence entre la séduction perceptive et conscience de la toxicité de cette chimie. Je suis imbibé de cette esthétique paradoxale, l’alliage de deux opposés. En tant que vernisseur, j’utilise en permanence des chimies toxiques et j’ai surtout l’impression d’endosser le rôle d’un sorcier macabre.
À contrario, les formes que je produis à l’atelier sont issues de processus naturels qui donnent naissance – par les chimies présentes dans les pigments – à des créatures « autonomes ». À la manière d’un alchimiste qui s’évertuerait à cultiver l’impureté des formes. »

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