CAROLINE DARGÈRE, RESIDENCE #64 – USINE UTOPIK

CAROLINE DARGÈRE, RESIDENCE #64 – USINE UTOPIK

Caroline Dargère, sculpture-1, 2020. Papier mâché
Résidence #64 – Usine Utopik
©Usine Utopik

EN DIRECT / Caroline Dargère – Résidence #64 – Usine Utopik

par Odile Crespy

Formée aux différentes disciplines classiques des arts plastiques – peinture, gravure, estampe, céramique etc. – enseignées à l’École d’art d’Épinal et aux Ateliers d’art de la mairie de Paris, Caroline Dargère a exercé quelque temps le métier d’agente hospitalière avant de devenir…tatoueuse professionnelle, une activité plus en rapport avec sa vie d’artiste : « depuis mon adolescence, j’ai cristallisé par le tatouage le manque de communication avec mon entourage », explique-t-elle, assumant aujourd’hui, sans provocation particulière, d’être tatouée de la tête aux pieds de dessins noirs et blancs dont elle a réalisé quelques-uns elle-même. La pratique, ancestrale et marginale à la fois, est revenue au goût du jour dans les milieux « punks » et « bikers » des années quatre-vingt, avant de se démocratiser réellement. Notre artiste, sans le dire, revendique cette appartenance, un peu décalée dans le temps, à cette génération d’artistes underground qui, à l’exemple de Basquiat, s’exprimaient avec une énergie rageuse sur les murs des quartiers populaires, les entrepôts abandonnés ou les couloirs de métro. Les « nouvelles figurations » qui s’opposaient aux courants abstraits de la décennie précédente et entérinaient le pouvoir de l’image, ouvraient la voie à la bad painting, aux graffiti etc, sous une forme plus ou moins savante ou populaire, qui ont fait florès en Amérique et dans toute l’Europe. Caroline Dargère vit dans cette continuité, au rythme du noise rock, dérive expérimentale de la musique métallo-punk et se nourrit des sujets puisés dans les mass-media, la BD (elle adore les épiphanians de Ludovic Deleurme) et autres mangas (comme la série Apple Seed), les films d’animation (voir Miyazaki et sa Princesse Mononoké), la littérature fantastique, de Lovecraft, Tolkien ou Stephen King à… Flaubert (celui des Trois Contes). Elle aime les mélanges, les dissonances et la provocation mais c’est avec une certaine distance, avec humour et ironie, qu’elle invente ses figures et compose ses fresques narratives ou ses tableaux.

Depuis une dizaine d’années l’artiste présente ses travaux dans des villes de France (Strasbourg, Angoulème, Paris…), et de Belgique ( résidence à Charleroi ). Il s’agit de « fresques » réalisées sur des murs « abandonnés » ou des simulacres de murs : sur la toile elle peint des murs de briques ou de bois ou tout autre décor sur lesquels vont vivre ses personnages. En grand sorcier, elle y fait apparaître, plutôt dans la bonne humeur et les couleurs vives, un univers fantasque où les monstres côtoient l’enfer ou la mort tout en faisant la fête : des « aliens », des créatures hybrides, des formes flottantes d’humanoïdes et autres mutants, des spectres aux bras démesurés articulés comme des poupées coréennes et tout un bestiaire d’animaux fantasmés dont elle accentue les caractères menaçants…et symboliques. Ils évoluent dans sa jungle personnelle, dansent dans un enfer chaotique sur un parterre macabre ou, au contraire, dans un îlot de vacances ou sur un damier…Parfois apparaît un pseudo-Mickey, parfois le visage de la Mort, subrepticement…Il est clair que l’artiste, s’inspirant des légendes et de sa mythologie personnelle, se raconte une histoire et qu’elle nous donne tout le loisir de l’interpréter !

Le grand confinement

Arrivée sur le lieu de sa Résidence en Normandie quelques jours avant le décret de confinement obligatoire dû à la pandémie du Covid-19 en ce printemps 2020, l’artiste choisit de rester sur place dans un isolement consenti, pour se concentrer totalement sur son travail. L’Usine Utopik, un espace vaste et transparent (c’est une ancienne serre horticole) et les circonstances ne peuvent manquer de l’inspirer ! Après six semaines de travail, elle laisse aux visiteurs de l’été un ensemble de sculptures en carton et papier mâché peint et deux grands tableaux (autour de 5 X 2,2O mètres) qui racontent chacun un bref moment de cette histoire paroxystique, où la vie s’écoule au ralenti : à eux d’en imaginer l’avant et l’après !

Caroline Dargère, chien bleu, 2020, peinture acrylique, 496x220cm - Residence #64 - Usine Utopik - ©Usine Utopik
Caroline Dargère, chien bleu, 2020. Peinture acrylique, 496 x 220 cm
– Residence #64 – Usine Utopik – ©Usine Utopik
Caroline Dargère, Intérieur, 2020, peinture acrylique, 423x220cm - Residences #64 - Usine Utopik - ©Usine Utopik
Caroline Dargère, Intérieur, 2020. Peinture acrylique, 423 x 220 cm
– Residence #64 – Usine Utopik – ©Usine Utopik

L’espace est structuré par des lignes de fuite simples, telles qu’enseignées au cours élémentaire. L’ambiance est celle d’une salle paisible, malgré quelques signes étranges. Un grand chien couché sur un tapis Ikea en occupe la partie principale. Sa tête, dressée, est enveloppée de bandelettes, comme une momie. Son œil unique, presqu’au centre du tableau, est vigilant comme celui des Cyclopes, ces êtres qui symbolisent depuis l’Antiquité la force brute et la souffrance mais ont toujours eu des affinités avec le genre humain. Attend-il ses maîtres ou est-il la métaphore de l’artiste invitée ? Autour de lui, un univers réaliste de choses du quotidien : deux gamelles pleines (le tableau est pris sur le vif), un cactus géant dans un pot de porcelaine chinoise ou une colonie de « belles de bitume » épanouies et vivaces qui ont su s’introduire à travers les craquelures du carrelage. D’un tuyau sort une nuée blanche, un gaz désinfectant peut-être ? À travers le plafond de verre (comme celui de l’Usine Utopik), le ciel étoilé paraît indifférent à ce qui se prépare…

Caroline Dargère, Corono, 2020, peinture acrylique, 400x220cm - Residences #64 - Usine Utopik - ©Usine Utopik
Caroline Dargère, Corono, 2020. Peinture acrylique, 400 x 220 cm
– Residence #64 – Usine Utopik – ©Usine Utopik

Construit de façon plus sommaire encore (une simple ligne horizontale sépare le sol du mur), l’espace reprend l’idée d’un « salon », exprimée au minimum : guéridon sur petit tapis rond, vase, cendrier où brûle une cigarette, bouteilles vides… Plus significatives sont les quatre fenêtres qui structurent l’ensemble : leurs grillages semblent empêcher d’entrer les virus mortifères, énOrmes, qui se cramponnent aux vitres…Un couple d’humanoïdes se terre à l’intérieur pour se protéger. L’ambiance est lugubre : le mâle (?) porte deux ailes de super-héros mais surtout un masque-barrière contre la maladie. Assis sur ses talons, il paraît adresser une supplique au ciel avec sa main levée. La femelle, sexuellement plus reconnaissable, grise de chagrin, pleure de son œil unique la mort de quelques guêpes qui lui tombent des mains (l’artiste s’est inspirée de la ruche d’abeilles qui existait de l’autre côté du mur de l’Usine Utopik, devenu mur de confinement). Quelques bestioles joufflues à cinq pattes et aux oreilles pointues, ni souris ni rats mais de cette espèce qui se glisse dans les fentes et semble douée d’une incroyable capacité à surmonter les obstacles, notamment les épidémies, viennent la consoler et la rassurer. Ils sont parfois porteurs de symboles bienfaisants : relire la fable Le Lion et le Rat !

Caroline Dargère, sculpture-2, 2020. Papier maché - Résidence #64 - Usine Utopik - ©Usine Utopik
Caroline Dargère, sculpture-2, 2020. Papier mâché
– Résidence #64 – Usine Utopik – ©Usine Utopik
Caroline Dargère, sculpture-3, 2020. Papier mâché - Résidence #64 - Usine Utopik - ©Usine Utopik
Caroline Dargère, sculpture-3, 2020. Papier mâché
– Résidence #64 – Usine Utopik – ©Usine Utopik

Les trois sculptures, trois humanoïdes de couleurs différentes (réalisés à échelle humaine), pourraient très bien être sortis de cet enfermement : l’un d’eux, notamment, qui n’en aurait extrait qu’une partie de son corps! Mais ils apportent un autre sujet de réflexion. L’un est asexué, un autre est hermaphrodite. Notre artiste, féministe engagée, combat pour l’égalité des sexes et des couleurs. Le débat sur la tolérance et l’acceptation de l’autre est loin d’être terminé !

Odile Crespy

CAROLINE DARGÈRE – BIOGRAPHIE
Née en 1990 à Longjumeau (région parisienne)
Vit et travaille à Strasbourg

USINE UTOPIK
Centre de création contemporaine, l’Usine Utopik est implantée dans d’anciennes serres horticoles à Tessy-Bocage depuis 2009.
Son projet, porté par l’association ADN (Art et Design en Normandie), est soutenu par la région Normandie qui en fait l’un des cinq relais culturels régionaux. Son rayonnement a permis de bénéficier également de la reconnaissance et du soutien du ministère de la Culture (DRAC), du Département de la Manche, de l’Agglomération de Saint-Lô et de la commune de Tessy-Bocage.

La Minoterie 50420 Tessy-Bocage
https://www.usine-utopik.com