CORNELIA EICHHORN

CORNELIA EICHHORN

Cornelia Eichhorn, Détour 2, 2018. Papiers découpés collage, 10x15cm. ADAGP2018

ENTRETIEN / Propos de Cornelia Eichhorn recueillis par Lucie Camous

Cornelia Eichhorn mène une œuvre dans laquelle elle analyse l’humain et la communication non-verbale au travers du prisme des groupes sociaux et de ses rivalités. Beaucoup de ce que les gens sont ou pensent passe inaperçu en étant pourtant constamment énoncé de manière inconsciente. Langages corporels, signaux instinctifs et part sauvage sont autant de conversations, invisibles à l’œil nu, que Cornelia Eichhorn s’évertue de retranscrire. 

L.C Avant toute chose, quel est pour toi l’élément déclencheur d’une création ?

C.E Je tiens un journal dans lequel je note des scènes et des dialogues dont je suis témoin. J’y retranscris des interactions relationnelles, verbales comme non verbal, que j’observe ou que je vis. Souvent ce sont dans ces événements qu’apparaissent les mots clés de mes recherches. 

L.C Je trouvais intéressant de parler de la manière dont tu élabores tes projets, peux-tu m’en dire plus sur ton modus operandi ? 

C.E L’ancrage commun de toutes mes productions est la collection de visuels, dans des livres, des magazines, sur internet, mais également des photos que je prends moi-même. Malformations corporelles, maladies cutanées … certaines déclenchent des associations avec les notes de mon journal ou d’autres images de mes multiples bases de données. Parfois une image me vient aussi, en floutant une image nette ou le flou d’un arrêt sur image dans des films. Je ne fais pas de croquis préparatoire en amont, c’est en dessinant une première image que d’autres viennent naturellement s’y associer. C’est l’aller-retour continu entre recherche et dessins qui fait évoluer la composition. 

L.C Toutes tes productions s’articulent toujours autour de dialogues impossibles, mais la technique du collage est récente dans ton travail. D’où vient ce changement ? 

C.E Mes dessins, réalistes et minutieux sont extrêmement chronophages. J’ai eu envie de dépasser cette technique pour trouver plus de légèreté et de rapidité dans mon travail.

Attirée par l’abstraction je suis tombée pendant mes recherches sur un livre pour enfant utilisant des découpages papier. Je me suis inspirée de l’utilisation de cette technique pour simplifier mes formes. Ce sont des manières très différentes de réfléchir, de composer et de projeter des idées. Le recul que je prends en découpant des aplats m’offre un regard neuf quand je reviens aux dessins. Comme si c’était deux langues différentes mais complémentaires. Je n’ai pas l’intention d’arrêter le dessin réaliste mais plutôt de naviguer entre les deux techniques, voire les associer par moment.

L.C Et le choix nouveau de la couleur est lié à tes recherches autours de l’abstraction ? 

La couleur me permet de rendre tout plus joyeux, enfantin et drôle au premier abord, c’est comme un masque, un déguisement. Les superpositions de couches de papier rendent perceptibles les nœuds des relations humaines et leurs violences latentes. De loin c’est une image innocente, mais plus le regard s’approche plus les tensions des corps apparaissent. J’aime la notion de jeu dans lequel on peut entrer innocemment pour passer de l’autre côté du miroir presque littéralement par ces couches. 

L.C Tu parles de « langage corporel », est-ce que tu pourrais en donner ta définition ?

C.E J’inclus dans ce que je nomme langage corporel tout ce qui émane des corps, tout ce qui se dit sans mot : tenue du corps, gestes et regards, style vestimentaire.

On peut s’habiller et se tenir avec une certaine intention, on peut rationnaliser ce que l’on décide de mettre en avant, s’en excuser, le modifier mais la majeure partie de ce que l’on signale aux autres nous échappe. Tout ça n’est après tout qu’une accumulation d’interprétations subjectives. C’est la partie inconsciente qui m’intéresse davantage parce que ce sont des dialogues sourds, hors contrôle. Ils sont pour moi plus parlant, nos corps disent bien plus que ce que l’on s’autorise généralement à formuler à voix haute.

L.C Dans l’ensemble de tes pièces on peut retrouver une impression de cohabitations forcées chez les êtres qui partagent les espaces de tes dessins, est ce que tu relirais ça à l’incapacité d’échanger, de communiquer associer à nos sociétés contemporaines ?

C.E Ce sont nos communications tacites qui sont souvent sources de malentendus, qui créent des frustrations qui creusent des sillons d’où émergent des violences verbales et physiques. Les signes de rejets implicites, d’exclusions du groupe m’intéressent particulièrement. C’est subtil, imperceptible et je les trouve personnellement plus violents encore que tous les éclats de colère.

On est tous confrontés de façon très régulière, à des moments d’incompréhension, de rejet et de totale invisibilisation en société. Ces moments qui sont à peine saisissables font partie pour moi des fondations de chaque individu et participent à la manière dont nous nous comportons en retour avec les autres. 

L.C Cela rejoint ce que tu me disais précédemment sur les codes sociaux et ce que l’on renvoie aux autres. Sur le même principe, est ce que tu pourrais me parler un peu plus des évocations des corps ? 

C.E J’apparente d’avantage les relations humaines à des paysages qui subissent l’érosion, des architectures en construction et cette métaphore me sert à exprimer leurs évolutions. Ces environnements se jouent souvent sur la peau comme une surface « terrain de jeu ». C’est elle qui est un miroir, un portail perméable entre les conflits intérieurs et les conflits avec les autres. 

L.C Je voudrais te poser une question concernant les nombreuses recherches de corps mutilés, en décomposition que tu réalises pour les réintroduire dans tes œuvres. C’est devenu récurrent dans ton travail, quel en a été le point de départ ?

C.E Née en Allemagne de l’Est quelques années avant la chute du mur, jusqu’à ma majorité j’ai régulièrement été extraite de mon environnement, d’abord suite à de nombreux déplacements subis par ma famille, puis lorsque j’ai pris la décision de m’installer en France. L’impossibilité d’établir des rapports dans la durée avec les gens a été un vecteur de beaucoup d’intériorisation. Au commencement source de pas mal de souffrance, cela m’a ensuite permis de développer un certain goût pour l’observation. Les mécaniques des groupes, dont les interactions sont toujours autant source de fascination pour moi, sont devenues mon sujet de prédilection. 

Propos de Cornelia Eichhorn recueillis par Lucie Camous

Cornelia Eichhorn, De l'Allemagne, Livre pauvre 2019. Papiers découpés collage, 50x70cm. ADAGP2019
Cornelia Eichhorn, De l’Allemagne, Livre pauvre 2019.
Papiers découpés collage, 50x70cm. ADAGP2019
Cornelia Eichhorn, De la fixation des grandes pierres, 2017. Graphite et crayons couleurs, A4. ADAGP2017
Cornelia Eichhorn, De la fixation des grandes pierres, 2017. Graphite et crayons couleurs, A4. ADAGP2017
Cornelia Eichhorn, Du lait bleu jusqu'à l'épaule, 2017. Graphite, 40x50cm. ADAGP2017
Cornelia Eichhorn, Du lait bleu jusqu’à l’épaule, 2017. Graphite, 40x50cm. ADAGP2017
Cornelia Eichhorn, Le dard indomptable, 2019. Papiers découpés, collage, 50x70cm. ADAGP2019
Cornelia Eichhorn, Le dard indomptable, 2019. Papiers découpés, collage, 50x70cm. ADAGP2019
Cornelia Eichhorn, Porc-épic, 2017. Graphite, 40x50cm. ADAGP2017
Cornelia Eichhorn, Porc-épic, 2017. Graphite, 40x50cm. ADAGP2017
Cornelia Eichhorn, QUIRL, 2018. Crayons couleur, graphite, 10x15cm. ADAGP2018
Cornelia Eichhorn, QUIRL, 2018. Crayons couleur, graphite, 10x15cm. ADAGP2018

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