Des maux pour des mots

Des maux pour des mots

« Le courage ne crie pas toujours. Parfois, il est la petite voix qui te chuchote », pourrait dire Jeanne Susplugas à la place d’Emily Dickinson, à qui elle emprunte le titre de sa nouvelle exposition « Nul besoin de maison pour être hanté ».

L’artiste y reprend à travers plusieurs oeuvres récentes (sculptures, photographies, néons, dessins, installations), ses thèmes de prédilection traitant de l’enfermement, l’aliénation, la science et par conséquent du rapport réflexif de soi à l’autre, ou de soi à soi. Un état CONFUSED écrit en toutes lettres comme l’entrée de l’espace (mental) où tout va se jouer.

De son autoportrait en hommage à Gordon Matta-Clark (sérigraphie Hair) aux différentes représentations des cerveaux en passant par les dessins de l’Arbre généalogique, l’on observe avec fascination le leitmotiv des mêmes lignes éclatées, en quelque sorte des ramifications explosées ici et là. L’ensemble se présente comme un récit, à la lecture d’une histoire qui trouve son origine dans le centre névralgique du corps : le cerveau. C’est par lui que passent toutes les ramifications nerveuses, il y coordonne tout. Déjà présent dans son travail, le cerveau, siège de l’esprit, est aussi l’objet symbolique des émotions dont elle n’a de cesse d’exprimer les formes obsessionnelles de l’enfermement psychique et physique comme dans son dessin à l’encre, In my brain. Dans cette image faussement naïve, elle traduit par ces réseaux de neurones artificiels, les pensées qui hantent « la maison ». Celle définie par Jules Michelet qui la considère comme « la personne même, sa forme et son effort le plus immédiat ; je dirais sa souffrance ». Mais, n’est-ce pas là, le sens qu’elle confère à la photographie de Gordon Matta-Clark : « J’ai toujours vu dans le travail de Gordon un lien à son histoire familiale, la gémellité, la séparation de ses parents et de la fratrie, l’éloignement géographique. Couper une maison, c’est couper une famille. C’est aussi donner à voir l’intérieur. Personne ne sait vraiment ce qu’il se passe derrière la porte. »

Regarder l’Autre pour parler de soi. Ces mèches éparses sont autant de questions que l’on se pose dans notre rapport à l’intime, la projection sociale ou encore la filiation familiale. De cette façon, la série de dessins Arbre généalogique apparaît comme une critique grinçante de la quête des origines où les pathologies sont inscrites à la place des noms. L’on revient une nouvelle fois, aux addictions et aux phobies logées dans le cerveau pour tourner en boucle, à la manière de la boule à facettes, Disco Ball, conçue par la mise en volume de la formule chimique d’un anxiolytique. Une béquille chimique, comme Jeanne Susplugas aime les appeler, pour aider à mieux supporter la vie et fuir les fantômes de notre propre maison. À l’image des hallucinations baudelairiennes: « Les sons ont une couleur, les couleurs ont une musique », force est de constater que l’art est pour l’artiste, une maison qui s’efforce d’être hantée.

Texte Christine Blanchet © 2018

 

 

Jeanne Susplugas
Née à Montpellier. Vit à Paris.

www.susplugas.com

 

Jeanne Susplugas, In my brain (M.), 2018. 50 x 65cm, encre sur papier
Jeanne Susplugas, In my brain (M.), 2018. 50 x 65cm, encre sur papier