Galatée, corps ductile exposition personnelle de Delphine Mogarra

Galatée, corps ductile exposition personnelle de Delphine Mogarra

« Sous ses doigts, l’ivoire mollit et, ayant perdu sa dureté,
Devient malléable et cède, comme la cire de l’Hymette
S’amollit au soleil et se plie aux nombreuses formes
Que lui donne le pouce qui, en la travaillant, met au jour ses possibilités. »
Ovide, Les Métamorphoses, Livre X, Chant d’Orphée

 

Delphine Mogarra est une artiste solaire, portée par une poésie incarnée et une détermination farouche à aller au bout de ses recherches, empruntant pour cela à la fois à la poétique des mots et des formes, à la sensualité des gestes et à la rigueur scientifique.

L’atelier marseillais est à l’image de cette jeune femme multiple.
Au rez-de-chaussée de l’ancien garage ouvert sur la rue par une grande porte vitrée, la pièce principale où se trouve la table de travail de l’artiste est baignée de lumière et invite à la discussion autour d’un tasse de café servie sur le bar, réchauffée par la musique.
Mais tout en haut des marches de bois de l’escalier à pic, à l’abri des regards, dans le secret de deux petites pièces aux murs blanchis, éclairés par des rosaces de verre et des néons, l’ambiance est tout autre. Il s’agit là de se confronter à la matière et pour ce faire Delphine Mogarra n’a aucune hésitation. Elle prend son temps, procède avec force et méthode, installe ses outils, ses moules, ses récipients, chausse son masque et dirige les opérations. Elle tord, imbibe, trempe, attache, mélange, étire, coupe, tranche, moule, superpose. De suspensions en précipités elle presse, observe, distille, attend et recommence.

Delphine Mogarra est en constante expérimentation, en observation et analyse continues du monde.
Les moindres petits morceaux de matière deviennent des univers, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, l’artiste fait le pas, photographie, cadre, déchire et nous entraine avec elle dans une échelle nouvelle dont elle est la maîtresse, immense et minuscule, abyssale et stratosphérique.

A cela les mots s’ajoutent, s’accrochent, s’entremêlent pour raconter sa vision, sa recherche. La poésie, la mythologie, la philosophie, la science, Delphine Mogarra les lit, s’en imprègne et écrit, mettant ainsi en forme les mots comme un paysage sculpté. Un chemin qui nous guide jusqu’à son univers artistique.

Le mythe de Galatée – la belle statue à laquelle Vénus donna vie pour honorer l’amour que Pygmalion portait à sa création d’ivoire – hante et habite le travail de l’artiste.
Delphine Mogarra sculpte la matière inerte et lui donne vie sous ses doigts agiles, elle aime tant sa matière qu’en la travaillant elle la rend vivante. Sous sa lame, le papier devient pulsatile, vibratile, respirant, palpitant ; il prend vie.
Et ses sculptures suivent la même métamorphose, elles sont autant de cellules en mutation, de corps pulsants, d’œufs prêts à éclore, de mondes en expansion.

L’artiste nous donne à voir sa réflexion sur le monde, le frottement, l’excroissance, la forme du corps, le plein et le vide.
Son œuvre est une philosophie tactile. Elle écrit de ses mains une ode sensuelle à la vie, une ode sexuelle même, comme source de toute vie. Une vie pleine, avec ses fluides, ses sécrétions, ses glandes, ses organes, ses cicatrices, son cœur et qui palpite.

L’exposition Galatée, corps ductile à la Villa Henry dévoile la maïeutique expérimentale, la lutte intime de l’artiste pour donner vie à ses œuvres. Et comme Delphine Mogarra ne fait rien à demi, elle pousse son expérimentation au plus loin, étirant le possible physique à son maximum, testant la ductilité de ses corps-sculptures jusqu’à la césure, jusqu’au déchirement final.

Ici l’artiste élabore sa recherche autour de la matière, une matière molle, lisse, tendre, rugueuse ou hérissée selon les pièces et qui se transforme, devient autre, frémissant d’un désir de vie qui, telle Galatée, se métamorphose : de labile, fluide, glissante ou languide à durcie, tendue, érigée, déchirée ou inversement.

Les formes palpables et palpitantes des sculptures de Delphine Mogarra se déploient dans l’espace de la salle, jouent avec la lumière, avec les volutes des carreaux de ciment, suivent un mouvement qui leur est propre. Transformées, accouchées, elles se tordent pour être mieux vues, offertes aux regards, léchées par la lumière, le soleil jouant avec leurs courbes, leurs matités, leurs transparences.
Les dessins flottent sur le mur, vibrants, bruissant comme des ailes d’oiseaux contre la paroi, désireux eux aussi d’être caressés, traversés par la lumière, par les regards.
Chaque dessin, chaque sculpture est un corps pulsant, chaque œuvre prend vie, faisant monde : translucidité, rondeur, langueur… on y touche, on y plonge, on s’y perd.
Mais l’artiste veille. On se sentait pris de vertige, elle nous rattrape in extremis, d’une main souple et ferme. L’objet est l’étude. Alors que nous étions étourdis par la poésie et le corps à corps, Delphine Mogarra étudiait les changements d’état de la matière, les états intermédiaires de la métamorphose, la cristallisation des sensations, la rencontre entre la matière et le souvenir.
On assiste à une expérience parfaitement orchestrée par l’artiste. Mais une expérience mue en rencontre organique, lutte des forces contraires, la peau dressée, fusion complexe des corps en présence.
Ici se pose son regard : dans l’interstice, dans l’impossible réalisé, dans la poétique expérimentée, analysée. Ici, la recherche d’un équilibre de la pesanteur, d’une esthétique de la transparence, l’analyse de la labilité des forces, de la texturation de la surface, des sensations remplissant les formes ; l’œil à travers les apparences, aspiration, érection, les gouttes montent, les poids s’opposent.

Le saisissement du trouble.
Un éclat.
Une mise à l’épreuve.

La mise au monde.

Texte Isabelle Pellegrini / Circa @circaip, février 2019

 

 

Infos pratiques

09 AU 30/03 – DELPHINE MOGARRA – GALATÉE, CORPS DUCTILE – VILLA HENRY NICE

ouverture les mardis et jeudis de 11h à 13h & sur rdv au 06 61 93 02 52 ou isabelle@pellegrini.fr
Villa Henry 27 bd Carnot 06300 Nice
commissariat : Isabelle Pellegrini / Circa @circaip

 

 

Vue d'exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa
Vue d’exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra
Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa

 

Vue d'exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa
Vue d’exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra
Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa

 

Vue d'exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa
Vue d’exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra
Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa

 

Vue d'exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa
Vue d’exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra
Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa

 

Vue d'exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa
Vue d’exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra
Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa

 

Vue d'exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa
Vue d’exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra
Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa

 

Vue d'exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa
Vue d’exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra
Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa

 

Vue d'exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa
Vue d’exposition Galatée, corps ductile de Delphine Mogarra
Photo © Anthony Lanneretonne pour Circa