OSCAR DUBLIN

PORTRAIT D’ARTISTE / Oscar Dublin
par Clara Pagnussatt

Que se passe-t-il avant que quelque chose ne se passe vraiment ? Est-on dans la création ? A quoi pense-t-on et que fait-on quand on rêve de quelque chose et qu’on n’y est pas encore ? Devant moi : un jeune homme de 16 ans qui peint, trop jeune pour se poser la question d’une carrière de peintre. Qu’est-ce que cela signifie, promet ?

Au commencement était le désir. A l’origine du désir, une médiation : « J’ai eu le désir de peindre en regardant les œuvres, parce que ma mère m’emmenait aux musées ». Cette genèse, origine et commencement, laissera-t-elle éclore une émergence ? Un jeune qui peint est voué à naître à la peinture pour devenir un jeune peintre. Oscar Dublin est sur le chemin et, nonobstant un travail régulier et prolifique, voire l’exposition de ses œuvres à l’invitation d’une grande agence artistique, l’on postulera avec Rainer Maria Rilke qu’il se trouve avant tout commencement 1.

Oscar Dublin demeure suspendu au regard tant de fois fixé sur les toiles des maîtres, ce sont eux qui désormais le prennent par la main. La Renaissance − un recommencement − sera le point de départ. Et ce sera de la main du Caravage, dont la vie romanesque bouleverse le jeune adolescent avant de succomber à sa peinture, touché par la déferlante d’émotions qui y jaillissent, de la souffrance à l’extase.

En disciple, Oscar Dublin puise dans les tableaux des maîtres. En artiste naissant, il crée, invente, réinterprète les codes. La figure est extraite de son contexte et le visage de son contexte le plus intime qu’est le corps. Ainsi, les repères deviennent flous tandis que les émotions se précisent. Lorsque le visage isolé, bouche béante ou yeux évidés, prend l’allure d’un masque, l’expressivité en est accentuée par une forme d’étrangeté. Là où l’on s’attendrait au relâchement imminent de l’expression d’une émotion forte, le masque la fige inéluctablement. L’on pense également au paradoxe lexical du prosopon grec qui désigne aussi bien le masque scénique du théâtre que la personne elle-même. Et la question s’impose : devant quoi, devant qui sommes-nous ? Les visages se mêlent, se dédoublent, se décuplent. Ils surgissent d’un fond rouge, noir ou or qui les dramatise encore. Ils prennent des tonalités qui intensifient les émotions ou bien des nuances diluées et des traits à peine esquissés qui évoquent l’évanescent. Tout est là pour voiler et révéler à la fois. Le recours à une technique mixte et à des supports comme le bois permet à Oscar Dublin de créer une matière à son tour énigmatique. Le dessin précède, toujours, à la mine de plomb ou à la sanguine, ou encore, à la technique digitale. L’on y croise Méduse, la Jeune fille à la perle, une Madone, Marie Madeleine, Judith et sa servante, David et Goliath…

Ce travail, cette recherche créative, véritable pratique artistique, ne font-ils pas d’Oscar Dublin un jeune peintre ? Rares sont les témoignages sur l’expérience artistique à l’adolescence, avant l’intégration d’une formation académique dont le but sera d’être reconnu comme tel, mais que se passe-t-il avant que quelque chose ne se passe vraiment ?

En poursuivant son exhortation au jeune poète, à nouveau Rilke nous éclaire :

« Vous êtes si jeune, vous êtes avant tout commencement, et je voudrais, aussi bien que je le puis, vous prier, cher Monsieur, d’être patient envers tout ce qu’il y a d’irrésolu dans votre cœur et d’essayer d’aimer les questions elles-mêmes comme des chambres fermées, comme des livres écrits dans une langue très étrangère. N’allez pas chercher maintenant les réponses qui ne peuvent vous être données puisque vous ne pourriez pas les vivre. Et il s’agit de tout vivre. Vivez maintenant les questions. Peut-être en viendrez-vous à vivre peu à peu, sans vous en rendre compte, un jour lointain, l’entrée dans la réponse. »

1^ Rainer Maria RILKE, Lettres à un jeune poète, 1929.

Clara Pagnussatt
Critique d’art et commissaire d’exposition