Julie Digard et Jordan Madlon, Forme manquée

Julie Digard et Jordan Madlon, Forme manquée

Si les formes nous cherchent,
elles vont finir par nous trouver.

Se rappelle-t-on encore que dans les années 50 sévissait dans les milieux artistiques la « querelle du froid et du chaud » qui opposait l’abstraction géométrique dite froide à l‘abstraction lyrique regardée plus chaude, gestuelle et débridée. Pour le dire plus vite : une beauté du monde versus la vie intérieure du peintre. Les temps ont changé. Le tranchant de cette controverse autour des approches binaires qui ont construit les lectures de l’art nous paraît bien émoussé aujourd’hui au regard de ce que nous propose la jeune création contemporaine avec l’hybridation des univers artistiques et le déplacement incessant des vocabulaires formels.

L’exposition de Julie Digard et Jordan Madlon nous introduit aux enjeux d’une abstraction renouvelée dont la syntaxe est à la fois plus déroutante mais aussi plus proche de nous. Ils offrent deux facettes d’un travail contenu dans les périmètres serrés d’une démarche plutôt formelle mais débordant de couleurs, de vibrations et d‘énergie communicative. Julie Digard nous propose les géométries acryliques, douces et sans sécheresse de compositions construites en plan suggérés. Elle organise les plâtres, les cadres et le tissu avec une discipline qui ne renonce pas à une exubérance des courbes, des angles et des aplats nés dans le blanc du gesso. Les ensembles sont ordonnés avec précision mais conçus avec la subtilité de laisser paraitre leur incapacité à contraindre un certain désordre. L’artiste qui travaille en séries, combine sa rigueur à des expressions ludiques très ouvertes à l’aide de prismes aux géométries non conventionnelles et aux teintes saturées. Les propositions de Jordan Madlon interrogent dans leurs gestualités les manières d’occuper l’espace de la peinture et son hors champ. Faut-il exclure l’espace réel ou en faire un élément essentiel ? L’inclusion de l’espace environnant induit-elle une certaine forme d’expérience esthétique ? Comment faire objet autonome sans nier l’espace d’installation ? L’artiste procède par collages, dialogues des matières, adjonctions de petits motifs, volumes incongrus accrochés aux murs, rondeurs baroques, angulations et découpages. Les oeuvres abstraites procèdent ici par associations ou expansions hors des contraintes du cadre, faisant ou défaisant des harmonies jamais stables.

C’est étrangement sous le signe du manque que les deux artistes ont souhaité placer leurs propositions communes en titrant leur exposition. S’agit-il de désigner l’inaptitude de nature du langage de la peinture à se saisir du réel qui se dérobe et échappe à sa mise en mots ? Toujours en passion la peinture, toujours vaincue. L’impossible à peindre, c’est ce qui est insuffisance, trou, perte, discontinuité. Ce qui fait défaut. Mais de ce combat contre l’insuffisance des formes, Julie Digard et Jordan Madlon nous disent qu’il est paradoxalement possible d’en approcher la vigueur. Avec la présentation d’un monde hyper mobile, hybride, fait d’intensions indécises, d’anomalies montrées, de discordances et de ratures. D’évitements subtils, d’accidents provoqués et de belles rencontres qui nous obligent à être les témoins actifs de ces interrogations.

Texte Christian Sozzi © Galerie B+ Lyon Octobre 2018

 

 

 

Jordan Madlon, Scène d’intérieur chez Mr M. à ma soeur
Jordan Madlon, Scène d’intérieur chez Mr M. à ma soeur

 

 

Julie Digard, Est ce que ça va s'éffondrer
Julie Digard, Est ce que ça va s’éffondrer